Traduction: Antoine Chainas

Terry annonça sans préambule :

 ― On n’a plus aucun contact avec le barrage. Le satellite ne fonctionne pas et on ne capte rien à la radio. Inutile de compter sur les téléphones ou la télévision. J’ai donc pris la décision de remettre les générateurs en service avant que les gens s’affolent ou fassent des bêtises. On passera au moins le week-end tranquille. S’il le faut, on prolongera cette mesure la semaine prochaine.

 Evan et Izzy acquiescèrent. Le regard prudent qu’ils échangèrent n’échappa pas au doyen.

 ― Ne vous inquiétez pas, on a déjà été confrontés à des situations similaires, même si on n’a pas eu de panne générale depuis longtemps. Rétablissons l’électricité pour ce week-end et revoyons-nous lundi.

Pas du jour au lendemain mais presque tout le village d’Evan se retrouve sans courant ni réseau d’aucune sorte. Comme lorsqu’il était enfant.
Evan Whitesky vit avec Nicole McCloud, et leurs deux enfants, Maiingan et Nangohns. C’est lui que nous suivons dans  La Lune de l’âpre neige .
Comment faire quand on s’est si vite habitué ? Revenir au mode de vie des anciens de la réserve ne plaît guère. Si certains continuent à perpétuer certaines pratiques ancestrales telles que la chasse ou diverses cérémonies, tout le monde apprécie le chauffage électrique, un film à la télé ou une partie de poker en ligne. Même quand on fait partie des Anichinabés, une première nation amérindienne.

Que s’est-il passé ?
C’est encore l’automne, mais déjà la météo commence à rafraîchir sérieusement cette contrée du nord canadien. On sent bien que ça ne va pas s’arranger, un suspens se met patiemment à grignoter les pages du roman de Waubgeshig Rice. Le dessin de couverture reflète d’ailleurs assez bien le climat anxiogène qui s’empare de la petite communauté. Le problème du réapprovisionnement point rapidement, d’autant que les villes et villages les plus proches sont à plusieurs centaines de kilomètres.
Les nouvelles, funestes, arrivent du sud grâce aux jeunes étudiants de la réserve rentrés précipitamment chez eux. Les horribles scènes de chaos urbain qu’ils décrivent n’ont rien de rassurant quant à notre comportement en cas de pénurie. 

 Viennent également des fuyards par la même route, dont l’un, inspiré d’un être maléfique des légendes amérindiennes, s’invite et abuse de l’hospitalité des villageois en se comportant en colonisateur. Certains, comme Evan et Izzy, refusent de se laisser envahir par cet énergumène dangereux.

L’esprit des Anichinabés subsistait en dépit des épreuves et des tragédies qui marquaient le sort des nations autochtones. Malgré les hésitations ayant précédé la première nuit de tempête, aucune panique n’aggrava la situation. La survie avait toujours constitué un élément essentiel de leur culture, de leur histoire. Les talents qu’ils avaient su préserver au sein de la réserve inhospitalière qu’on leur avait allouée, si loin des terres dont ils étaient originaires, constituaient une fierté qu’ils continuaient de chérir, même après des décennies d’oppression. Les aînés entendaient bien transmettre ce savoir aux plus jeunes, du moins ceux qui étaient disposés à apprendre. Chaque hiver plantait un jalon supplémentaire.

Le thème de la panne n’est pas nouveau dans le genre postapocalyptique. Qu’est-ce qui différencie  La Lune de l’âpre neige  ? 

 Les interrogations de l’auteur sur la survie et l’avenir d’une tribu, qui plus est la sienne ; le retour d’un passé récent mais révolu, l’adaptabilité à un hiver rythmé par le rationnement et les décès. 

 C’est aussi en filigrane une description du mode de vie contemporain dans les réserves avec son lot de problèmes liés à l’alcool et aux drogues, à la violence et aux suicides, et ce qu’il reste des anciennes coutumes tribales.
Et puis bien sûr une écriture très fluide, agréable alors que ce qu’il raconte n’est pas réjouissant, il faut préciser ici que Waubgeshig Rice est également conteur. Il ne cherche jamais le sensationnel, le spectaculaire, il est toujours humble, respectueux de sa tribu.
Antoine Chainas, ici traducteur, a eu la bonne idée de conserver les quelques ornements anichinabés utilisés par l’auteur, toujours en restant intelligible.

Son futur est plausible, La Lune de l’âpre neige est un roman pessimiste, rude parfois, où la solidité de la culture anichinabée est à nouveau mise à l’épreuve par l’arrivée de Blancs. En attendant que ses autres livres soient traduits, il ne faut pas passer à côté de ce roman de Waubgeshig Rice.

NicoTag