Credo bien connu de tous maintenant en France et dans de nombreux pays occidentaux: libéralisme, mondialisation, délocalisation et bien profond dans le fion des populations sinistrées.Triste litanie qui n’empêche pas les gens de toujours voter pour les apôtres du libéralisme de droite comme hélas de gauche ou de toute autre coterie nouvelle perlimpinpinesque et malfaisante. C’est dans ce cadre nauséeux et pourtant si banal qu’ évolue le roman de Laurent Chalumeau.
Pour les vieux fondus de zik, le nom de Chalumeau doit éveiller les souvenirs de sa signature dans Rock n’ Folk où il était, tel qu’on les nommait à l’époque, un rock critique installé à NY. Evidemment, on est proches du Jurassique pour les mélomanes… Au début des années 80, pas de bornes d’écoute, de streaming, de piratage, de clips teasers, juste des vinyles, assez onéreux pour les budgets étudiants et on se devait de croire, de donner sa confiance à quelques plumes et les avis de Chalumeau décevaient très rarement. Par la suite, le nom de Chalumeau m’est apparu comme le signataire des textes d’ Antoine de Caunes sur Canal. Puis, son nom sur des romans, sur un biographie d’Elmore Leonard (ah ouais !) avec qui il partage le vœu honorable et pieux de ne garder dans le roman que ce qui est sûr de ne pas ennuyer le lecteur. Enfin dernièrement plusieurs avis sur le web comme le conseil d’une personne dont j’apprécie souvent les choix et je suis entré dans l’univers livresque de Laurent Chalumeau, pleinement parce que je me suis enfilé, dans la foulée, le précédent “ VIP”, encore un acronyme…
Sous la colère, on a tous un jour ou l’autre rêvé d’avoir la personne responsable de nos tourments ou malheurs devant soi ligotée, bâillonnée, à notre merci et Chalumeau l’a fait !!! L’époque est à la bienveillance dans le discours comme dans les attitudes et nul doute que les esprits un peu chagrins n’ apprécieront pas l’engin de destruction massive de Laurent Chalumeau haut de 200 pages où il prend un certain plaisir très communicatif à montrer son courroux, son indignation avec un ton explosivement réjouissant, parfaitement roboratif.
Alain est en “fin de droits” dans une région sinistrée par la délocalisation de la seule entreprise viable du coin (si le sujet vous intéresse, ne ratez pas l’important film “en guerre” de Stéphane Brizé sur le combat des représentants d’une classe ouvrière, butée dans son primitisme alors qu’ aujourd’hui en 2018, il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi). De plus et c’est bien plus terrible, Véro, son épouse, son amante effrontée, son phare et son trophée a demandé et obtenu le divorce. Alain serait ricain, il prendrait de bonnes bitures, se laisserait pousser cheveux et barbe, prendrait sa guitare et composerait une putain de chanson country à pleurer mais Alain est français, particulièrement remonté. Quinqua, il sait très bien que le bonheur de sa petite vie ne reviendra plus. Terminées les soirées avec les potes en famille, les virées coquines avec Véro, une petite mais finalement heureuse existence, les espoirs de gloire, de richesse enterrés depuis longtemps. Mais vaille que vaille la TV nous montre tous les jours le spectacle de vies qui nous dictent un peu de pudeur dans nos litanies larmoyantes. Mais là, Alain a vraiment morflé et il veut se venger sur les trois personnes toxiques responsable de son malheur. Et l’hallali peut commencer.
Alain décide d’enlever et de torturer jusqu’à la mort trois responsables, de les faire payer. En premier, un supérieur hiérarchique de Véro, harceleur, à l’origine de la crise de Véro et du divorce, ultime tragédie orchestrée par une psy qui a ouvert les yeux de la pauvre Véro concernant son gros macho de mari, en l’occurrence Alain. Hum, mauvais calcul, cette psy sera la troisième victime… Entre les deux, un ex ministre et chacun reconnaîtra le bellâtre précieux qui, il y a quelques années vantait les produits français en posant en marinière avec un robot Moulinex. Le bougre avait alors beaucoup promis et rien donné, s’était barré et revient là en campagne, chevalier blanc ingénu à la mémoire de poisson rouge.
Trois actes, trois thèmes, trois victimes. Trois fois bravo !
Utilisant un humour très corrosif, dans un monologue infernal de 200 pages, Alain se raconte, se veut pédagogue en expliquant à chacun de ses victimes les erreurs qu’il a commises, didactique,compréhensif mais très déterminé. Ainsi le féminisme, le harcèlement dans l’entreprise, les promotions canapé sont montrées, dénoncées. Chalumeau n’est néanmoins pas le chantre du féminisme et enchaînera avec des propos durs quand il « s’occupera »de la psy.
Profondément social, Chalumeau, comme son héros hallucinant halluciné, frappe, provoque, cogne, défonce, se défoule et cet exutoire révèle des tirades très pertinentes ou particulièrement agréables à l’oreille. Très remonté, il montre le libéralisme, la machine à engraisser les actionnaires et à broyer les masses inutiles. Et à nouveau, ça décoiffe, VNR est un vrai coup de gueule, loin d’être consensuel et particulièrement réussi au moyen d’un plume intelligemment adaptée au propos, au brûlot. On ne saurait oublier de mentionner que le roman de Laurent Chalumeau a le mérite, non négligeable de mettre en lumière une France qui n’existe pas vraiment, des Français qui n’intéressent plus grand monde, des combats qui ne font plus les unes et qui n’ont plus droit qu’à l’indifférence polie de l’Etat… anachronismes perturbants et persistants de la France obsolète du vingtième siècle.
Fable noire particulièrement réjouissante, au rythme infernal, aussi réjouissante qu’angoissante, “VNR” cogne, cogne très fort et fait un bien fou
Wollanup.
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