“Un soir de février, Eisinger reçoit un appel de son agente : la directrice des relations publiques du groupe Black lui propose d’écrire l’histoire de cette entreprise de télécommunications du Midwest. Vlad accepte à condition d’en faire plus qu’un ouvrage documentaire, plutôt une sorte de légende de Tar, le patron très charismatique du groupe. Quelques semaines après le début du projet, Tar stoppe tout et renvoie Vlad.
Fauché, en panne d’inspiration, Vlad accepte alors une commande sous pseudo pour une nouvelle collection de true fiction. Ce sera How America was made, un polar dans lequel un écrivain engagé par un géant de l’industrie pétrolière se trouve confronté aux pratiques douteuses de Wall Street. Le héros, Tom Capote, en faisant ses recherches, découvre les magouilles du patron du groupe, un certain Laser.
Vlad fait vivre à Tom toutes les aventures d’un héros de roman populaire : il échappe à la mort, séduit la femme du méchant, manque d’être jeté dans une cage avec des ours, fuit en jet aux Bahamas et se retrouve à écrire le récit de ses aventures pour tenter de faire éclater la vérité et sauver sa peau. Contre toute attente, How America Was Made est un succès phénoménal. Mais c’est sans compter sur la paranoïa de Tar, qui pense qu’il s’agit d’un roman à clef mettant à jour ses malversations à l’encontre de Black et destiné à le faire chanter.”
Ouh là, en plus d’une quatrième de couverture très longue, il y aurait beaucoup à dire sur ce roman, agrémenté d’une magnifique couverture à l’ancienne de la collection policière de Gallimard. Ravissant sur la forme, prompt à rassembler les lecteurs les plus anciens de la célèbre vieille dame très respectable qu’est la Série Noire, l’auteur enfonce le clou avec un titre particulièrement vintage. D’accord dans les années 60, mais maintenant qui utilise encore le terme de “rififi” magnifiquement obsolète mais chargé de souvenirs de romans et films noirs d’une époque révolue. En l’associant à Wall Street, “cette Babylone moderne où la valeur d’un homme se juge à la seule aune du fric qu’il rapporte à ses employeurs”, l’auteur retourne à ses obsessions littéraires sur l’argent sale des puissants de ce monde.
Qui est donc ce romancier Vlad Eisinger que nous présente et traduit Antoine Bello, l’auteur reconnu d’ “Ada” entre autres? Tout simplement Antoine Bello lui-même, l’auteur de “Roman Américain”, où apparaissait le personnage de Vlad Eisinger, analyste économique, dans une intrigue qui montrait et dénonçait les dérives d’un capitalisme moderne dur. Les lecteurs habituels du romancier franco-américain auront bien sûr saisi l’astuce, la finesse d’un Bello, qui, comme son héros de papier, avance masqué pour mieux se faire plaisir avec une intrigue policière particulièrement classique mais absolument adorable par son côté décalé véritablement revendiqué.
Véritable hommage et analyse du roman policier d’un certain âge d’or, Bello convoque Truman Capote, Spillane, Hammet, Chandler, Wolfe… et Manchette dont il plagie sans vergogne une tentative de meurtre par noyade tirée de “Le petit bleu de la côte ouest”, pour mieux les imiter, utiliser leurs facilités d’écriture, leurs arrangements avec la réalité et c’est vraiment jouissif. Finement grossier, intelligemment naïf, “du rififi à Wall Street” est une adorable fantaisie policière que goûteront tous les lecteurs qui on déjà dévoré ces grands maîtres.
Alors, appâtés par un titre qui sonne très bien la série B des années 50, 60, les amateurs de romans vite torchés, hard boiled et offrant un plaisir brut immédiat resteront peut-être au bord de la route. Mais les autres, les curieux seront très vite emportés par cette parodie, par cette analyse et cette utilisation caricaturale des ressorts littéraires du polar. Il faudrait vraiment être dans de mauvaises dispositions pour ne pas être rapidement gagné par le plaisir évident qu’a eu Antoine Bello à écrire ce roman et à se “moquer” de ses illustres prédécesseurs. Une fois entré dans cette histoire qui s’emboîte dans une autre (pour rester très, très simple car parfois et vous le constaterez on est dans la haute-voltige littéraire) , il est très difficile de se départir du sourire, quand l’auteur vous parle de ses difficultés d’écriture, de la liberté de ses personnages lui échappant, des ficelles qu’il emploie, de ses arrangement avec la vérité, de l’écriture de scènes de cul…
Antoine Bello s’est fait plaisir, il le dit d’ailleurs par l’intermédiaire de son héros, si si.
“Au fond, travailler sous pseudonyme pour une collection de seconde zone m’avait désinhibé. J’avais écrit sans me soucier de la critique, en présumant que mes lecteurs seraient rares et peu exigeants. N’ayant ni réputation à défendre, ni à me préoccuper de la place que ce nouvel opus prendrait dans mon oeuvre, j’avais donné libre cours à ma verve, sans sentir derrière mon épaule le regard désapprobateur de mes maîtres en littérature. «
“Du rififi à Wall Street”, bel hommage à une littérature ricaine noire découverte en France grâce à la Série Noire est-il vraiment à sa place dans la collection? Je me garderai bien de juger mais ne ratez pas ces trois cents pages malines, fines et très intelligentes. Ce faux polar est, de très loin, bien meilleur que tous les supposés « vrais », fadasses, déjà si souvent lus, qu’on nous refourgue en ce début d’année bien pauvre.
Magnifique !
Wollanup.
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