Traduction : Jérôme Schmidt.

 

Steve Toltz dont le premier roman « Une partie du tout » a été finaliste pour deux prix prestigieux, signe ici son deuxième roman. Australien d’origine, il a vécu dans différents pays (Canada, France, Espagne) avant de s’établir à New York et a exercé des métiers variés : cameraman, agent de sécurité, responsable de télémarketing, détective privé… appliquant le conseil d’un de ses personnages de « Vivant, où est ta victoire ? » « Dès que vous aurez trouvé une voie de garage, vous vous y enfermerez. Quoi que vous fassiez, ne vous éparpillez pas, ne vous spécialisez pas ou ne maîtrisez pas quelque profession – une fois que vous serez « qualifié », vous ne vous en sortirez plus. »

« Aldo et Liam, deux amis, deux paumés, deux virtuoses du fiasco.
Aldo, inventeur insatiable de films de zombies made in Australia, de chewing-gums pour chiens, de vêtements de grossesse gothiques. Aldo, malchanceux perpétuel, phobique chronique, ami encombrant, amant lamentable. Aldo dont la vie semble guidée par une force qui le dépasse : l’échec.
Liam, ami indéfectible, flic cynique, écrivain raté, se détestant lui-même et détestant encore plus la société. Liam qui porte en lui, c’est certain, un chef-d’oeuvre. Et qui voit en l’existence même d’Aldo le matériau qui lui manquait.
Et Liam de se lancer un défi : devenir le biographe d’Aldo. Pour découvrir au passage que la cruauté humaine n’a guère de limites ; que Dieu rit de ses créatures ; et que nous créons de l’art parce que, être vivant, c’est être l’otage de ravisseurs silencieux dont nous ne pouvons même pas deviner les revendications.
 »

Dans ce livre, Steve Toltz, nous entraîne dans un univers très sombre. La vie n’est pas rose pour nos deux héros confrontés à la mort dès l’enfance, ils ont tous deux perdu une sœur. Ils ont une vision très noire du monde et un grand espoir chacun, une quête éperdue de réussite : dans la richesse qui les mettrait lui et les siens définitivement à l’abri pour Aldo, dans l’aboutissement de ses velléités artistiques et l’écriture de son grand roman pour Liam. En les confrontant aux difficultés, aux échecs, et pas qu’un peu, Steve Toltz nous livre une vision terrible de la condition humaine.

Il y a chez lui une critique violente de notre société et de notre mode de vie mais il va encore plus loin et touche à l’universel, en s’attaquant tout simplement aux questions les plus basiques et les plus essentielles : qui sommes-nous ? Pourquoi ?…  Il traite nos angoisses les plus primaires : la souffrance, le deuil, la solitude… de ce que nous sommes prêts à croire ou à faire pour les ignorer, de l’amour qui peut apaiser la souffrance. Et cela avec une verve et un humour ravageur qui font éclater de rire en lisant les pires horreurs.

Car la vie n’est pas un long fleuve tranquille pour Liam et Aldo, loin de là ! Surtout pour ce dernier qui accumule tellement d’échecs qu’il n’en peut plus et tente plusieurs fois de se suicider, mais l’échec lui colle tellement à la peau qu’il rate même ses suicides. Et le spectacle de ses gesticulations, celles d’un homme qui se noie, est tel qu’Aldo devient la « muse » d’artistes en devenir (encore des portraits forts et cruels !). Il finit par être confronté à ses pires terreurs : la prison et l’hôpital, paralysé. Il y a là des pages criantes de vérité quand on sait que Steve Toltz a lui-même été paralysé pendant des mois avec beaucoup d’incertitude sur le pronostic.

Le roman est peaufiné à l’extrême.  C’est peu de dire que Steve Toltz écrit bien ! Les phrases sont précises, bien balancées, elles font toujours mouche et font passer outre que parfois les idées se répètent un peu. Liam et Aldo sont tour à tour narrateurs et livrent sans pudeur leurs pensées qui sonnent si juste. On a également le droit à une déposition chez les flics ahurissante, à un dialogue avec Dieu (oui, oui, lui-même !), à des poésies…

On se régale de cette variété de styles et on accepte de se coltiner toute cette noirceur car on y est entraîné de manière brillante, intelligente et drôle. L’humour, la « politesse du désespoir », est ici cruel mais il évite de fondre en larmes et permet de faire face au chaos absurde qu’est la vie.

Un roman brillant, très noir.

Raccoon