Traduction: Nicolas Richard
“Londres, 1967. Dans l’effervescence des Swinging Sixties se forme un improbable groupe de folk-rock psychédélique nommé Utopia Avenue. Chapeauté par l’excentrique manager canadien Levon Frankland, ce groupe fictif connaît une ascension fulgurante…”
Il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne, on le sait et c’est souvent le scénario des romans racontant la trajectoire météorique de groupes de rock. Une fois au sommet, c’est le crash… la mégalomanie, la dope, les scandales… mais on connaît aussi le talent et l’art de surprendre d’un David Mitchell qui a déjà enchanté avec Cartographie des nuages qui deviendra Cloud Atlas au cinéma, L’Âme des horloges ou encore Les Mille Automnes de Jacob de Zoet et nul doute qu’il saura renouveler un cadre déjà bien usé. D’ailleurs les fidèles de l’auteur auront le droit à deux superbes clins d’œil faisant référence à des histoires anciennes de l’écrivain britannique. David Mitchell écrit des histoires au long cours, minutieuses mais restant toujours passionnantes et Utopia Avenue et ses 750 pages serrées ne fera pas exception pour le bonheur des lecteurs qui auront la chance d’ accrocher tout de suite.
Utopia Avenue est un groupe imaginaire mais l’auteur l’a tellement détaillé et a intégré sa carrière à la scène londonienne de l’époque qu’il semble bien souvent réel. Mitchell part très loin, jusqu’aux premiers émois musicaux puis remonte petit à petit jusqu’à la rencontre et la formation du groupe.
« Qu’obtient-on en croisant un jeune bassiste en colère, une doyenne de la scène folk, un demi-dieu de la Stratocaster et un batteur jazz ? “ Le résultat va nous être raconté de manière exhaustive: la rencontre, le nom du groupe, les premières répétitions, les options musicales, les premières maquettes, le premier contrat, le premier single, le premier passage en radio d’un morceau, les salles vétustes et les concerts besogneux, Top Of The Pops, les premières interviews, le début de reconnaissance, la connivence, les fans, les groupies, les parasites, le LSD, le premier album, les tournées, la gloire, New-York, la Californie… tout est narré avec beaucoup d’humour et combiné avec les heurs et malheurs des vies de Dean, Griff, Elf et Jasper.
Utopia Avenue raconte le swinging London et on croise un Marc Bolan très à l’ouest avant T.Rex, David Bowie espérant la sortie de son premier 45 tours, Brian Jones, Syd Barrett, John Lennon et tant d’autres que les amateurs de cette période redécouvriront avec sûrement beaucoup de plaisir. Et puis Top of the Pops, Le Marquee, Hammersmith Odeon, Melody Maker, NME… autant de symboles qui rafraîchiront la mémoire de beaucoup de vieux rockers.
Mais, très vite, le succès du groupe les amène à se frotter à la scène américaine: la folie new-yorkaise d’abord et la rencontre de Janis Joplin, Leonard Cohen et Jimi Hendrix puis le havre psychédélique de Laurel Canyon avec Jerry Garcia du Grateful Dead. Alors, parfois, cela fait un peu “Rock and Roll Hall of Fame” mais le roman fonctionne aussi parfaitement par ses personnages très précisément dépeints, animés, banalement humains finalement.
L’ amour de la musique sera le meilleur des sésames pour apprécier pleinement Utopia Avenue mais pas l’unique. Par ses analyses très techniques des morceaux comme par ses recensions de concerts électriques, foireux et glorieux, l’auteur montre une solide connaissance du genre et d’une époque qu’il n’a jamais vécue. Mais la tendresse de David Mitchell pour ses personnages et leur histoire souvent cabossée aussi fait que Utopia Avenue emporte le lecteur très loin, radieux, et le laisse salement démuni et triste devant la tragédie qui va briser le rêve éveillé de ces quatre jeunes gens dans le vent.
Passionnant, expert et charmant, certainement le plus beau roman que je pourrais conseiller pour l’été.
Clete.
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