Traduction: Hélène Borraz
Lorsqu’il quitte Harvard à la fin de ses études, James Agee est embauché dans le groupe Time-Life. Travaillant plus particulièrement pour le magazine Fortune, il va couvrir divers événements de gens nantis sous la houlette d’un directeur friand de belles plumes pour illustrer les niaiseries et ventes de charité des puissants d’Amérique. A l’été 36, il est envoyé, comme d’autres équipes, en Alabama, pour décrire les conditions de vie des métayers blancs du sud de l’état après trois ans de mise en application du Agriculture Adjustement Act décidé par Roosevelt et destiné à aider les agriculteurs les plus démunis.
Accompagné du photographe Walker Evans, il décide de partager la vie de trois familles pendant plusieurs semaines. A leur retour, alors qu’ils sont les seuls à avoir ramené du matériau utilisable, leur papier ne sera jamais retenu. Qu’à cela ne tienne Agee et Evans vont se servir de ce document et des photos pour rédiger l’ouvrage devenu mythique « Louons maintenant les grands hommes » qui sort aux Etats Unis en 1941 et qui sera édité par Plon en France au début des années 60. Si « Louons maintenant les grands hommes » est une version beaucoup plus aboutie que l’ouvrage dont nous parlons aujourd’hui, il serait injuste de considérer ce premier jet comme un brouillon enfin édité en France.
Agee a été horrifié, révolté par le quotidien de ces trois familles alors qu’il s’est surtout focalisé sur la famille la moins démunie des trois. Il en ressort un témoignage accablant où Agee, de façon souvent clinique, va montrer les divers pans de la vie de ces malheureux en montrant l’énormité de la situation des pauvres du Sud sans basculer dans la compassion dégoulinante ou l’empathie feinte. Durant ces huit semaines passées dans l’enfer quotidien de ces trois familles, Walker Evans, à qui on reprochera, bien à tort, l’aspect posé de certains portraits va canarder avec son appareil pour mettre en image une réalité qui montre un dénuement et une impuissance à s’en sortir pour ces damnés.
Le contrat ou plutôt la relation de dépendance voire d’esclavage avec le propriétaire, la composition des familles, l’habitat, l’alimentation, les vêtements, le travail, l’éducation, les loisirs sont passés au crible par un James Agee féroce, révolté et détenteur d’une magnifique plume pour créer un panorama complet effarant et créer une œuvre magistrale, une sorte d’ancêtre du gonzo.
J’ai été franchement ébloui par la puissance des propos et par les qualités littéraires. Au fil des pages surgissent des passages empreints d’une poésie qui était le premier talent d’ Agee au milieu d’un tableau cataclysmique. Rentrer dans cette œuvre permet de donner une authenticité et une connaissance des gens qui peuplent les romans anciens ou contemporains traitant du Sud des Etats Unis. Tandis que Walker Evans instaure la genèse d’une photographie sociale. On retiendra aussi une fois de plus, l’importance de l’éducation, dans un monde ingrat.
Un témoignage à ne pas rater quand on aime le Deep South.
Wollanup.
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