Traduction: Madame Hélène Fournier, rien que ça déjà !
Dan Chaon, auteur américain, déjà publié cinq fois par Francis Geffard chez Albin Michel revient cette année avec un roman encensé aux USA et qui devrait connaître pareil plébiscite ici, j’espère, tant il a la couleur des grands romans qu’on n’oublie pas.
« Nous n’arrêtons pas de nous raconter des histoires sur nous-mêmes. Mais nous ne pouvons maîtriser ces histoires. Les événements de notre vie ont une signification parce que nous choisissons de leur en donner une. »
Tel pourrait être le mantra de Dustin Tillman, psychologue dans la banlieue de Cleveland. Ce quadragénaire, marié et père de deux adolescents, mène une vie somme toute banale lorsqu’il apprend que son frère adoptif, Rusty, vient d’être libéré de prison. C’est sur son témoignage que, trente ans plus tôt, celui-ci a été condamné à perpétuité pour le meurtre de leurs parents et de deux proches. Maintenant que des tests ADN innocentent son frère, Dustin s’attend au pire.
Au même moment, l’un de ses patients, un policier en congé longue maladie, lui fait part de son obsession pour une étrange affaire : la disparition de plusieurs étudiants des environs retrouvés noyés, y voyant la marque d’un serial killer. Pour échapper à sa vie personnelle, Dustin se laisse peu à peu entraîner dans une enquête périlleuse, au risque de franchir les limites que lui impose son rôle de thérapeute.
Dans un entretien accordé au quotidien le Monde en 2011, Dan Chaon déclarait à propos de son roman “cette vie ou une autre “:
« Je voulais écrire un thriller, tout en même temps qu’ explorer les thèmes qui me tiennent à cœur. Pour moi, la plus inquiétante des questions reste : peut-on vraiment connaître quelqu’un ? »
Huit ans après, Dan Chaon en est au même point de ses interrogations tout en tentant, enfin c’est ce qu’il prétend, malicieux, d’écrire à nouveau un thriller. Car en effet, le roman démarre comme un bon vieux polar avec deux intrigues criminelles. Dès les premières pages au son de Black Sabbath est racontée la tragédie des années 80 et le meurtre des parents de Dustin puis très vite le récit alterne avec le présent et une enquête officieuse sur un supposé serial killer avec, en fond sonore, le premier album de Modest Mouse, parfait pour illustrer le désarroi ambiant.
Puis, Dan Chaon passe à un tout autre genre de roman, très loin du factuel, même si bien sûr tout est étroitement lié et parfois de manière très fine, discrète, innocente, alors que rien n’est innocent chez Chaon, chaque détail parait millimétré. Partant de la rencontre entre Dustin et celle qui deviendra son épouse puis la mère de ses enfants, nous est racontée toute la vie de cet homme aujourd’hui complètement perdu par la mort de son épouse et l’innocence de son demi-frère qu’il a contribué à emprisonner et n’arrivant pas non plus à établir de liens avec ses deux fils ados. Dustin est Le personnage de cette histoire et Dan Chaon nous fait souvent voyager dans son cerveau, très loin…
Alors, “Une douce lueur de malveillance”, expression qui arrive tôt dans le roman comme un avertissement de la malice de l’auteur qui brouille souvent les cartes, détournant, interrompant son propos, en repartant sur un autre sujet ou nous réexpédiant dans une autre époque tout en nous imposant parfois jusqu’ à la torture, une réflexion sur les actes de Dustin bien sûr mais aussi sur le ressenti, sur la vie de Rusty qui a passé 30 ans de sa vie derrière les barreaux alors qu’il était innocent. Dan Chaon est vraiment le maître du jeu et il impose son rythme de lecture nous harcelant, incitant à l’interrogation, créant le doute et par dessus tout un malaise bien tangible, omniprésent. Effarante narration. Dans un style qui ne brille pas particulièrement tout en s’avérant proche de l’exhaustivité, Chaon arrive à imposer questions, doutes, sentiments, remettant en cause les personnalités que le lecteur a pu bâtir partiellement au fur et à mesure de sa lecture.
La drogue, les médias, les légendes urbaines, la pensée mainstream, sont aussi citées, expliquées pour élargir la connaissance des deux affaires, montrant leur influence sur la perception d’un événement, sur la valeur d’un témoignage, sur la “vérité” qu’on peut bâtir, sur les souvenirs qu’on se crée, sur les moments qu’on veut oublier. Comment se crée notre conscience ? Quelle est la part de l’inconscient ?
La citation de Lynda Barry: “L’avenir est immobile Le passé mouvant.”présente dans le roman est un judicieux résumé du périple dans l’inconscient individuel mais aussi collectif proposé magistralement par Dan Chaon aux lecteurs patients: le voyage est long, exigeant, périlleux, parfois fastidieux et imposant une totale immersion mais il vous porte très haut, très loin…
Vertigineux, trouble, dérangeant jusqu’au malaise, la grande classe !
Wollanup.
PS et NB: L’auteur sera présent au festival America à Vincennes lors du weekend du 20 au 23 septembre et participera à une rencontre animée par Christine Ferniot de Télérama à la médiathèque d’ Alforville le 19 septembre à 20 heures 30 ( 82 rue Marcel Bourdarias 94140 Alfortville tel 01 43 75 10 01 pour réserver) . A ne pas rater, je pense.
Commentaires récents