« Le book, pour un graffeur des années 1990, c’est comme le Nouveau Testament, les Évangiles. Étymologiquement parlant, le mot « évangile » vient du grec evangélion qui signifie : « bonne nouvelle ». Et la bonne nouvelle c’est :

   Au commencement était le spray

   Et le spray s’est tourné vers Dieu

   En lui était la vie, et la peinture était la lumière des hommes

   Et la peinture brille dans les ténèbres

   Et les ténèbres ne l’ont pas comprise.« 

 La posture religieuse de la (superbe !) couverture et du titre se retrouve dans la table des matières : Apocalypse, Genèse, et des suivants du même acabit. Ce livre de Karim Madani est rythmé par les allusions aux récits bibliques qu’il a semées du début à la fin. 

 « Tu ne trahiras point » relate l’histoire de ce qu’on a appelé le Procès de Versailles. Comment une bonne cinquantaine de personnes se sont retrouvées dans le box des accusés pour avoir taggé des wagons, des palissades, des entrepôts, etc. Ça s’appelle peintures illégales et dégradations volontaires. 

 Il fait défiler dans le chapitre Apocalypse les multiples opérations qui ont abouti aux heures de garde à vue subies par les pseudo-criminels de la bombe acrylique. La débauche de moyens employés par la police dans cette affaire est digne du grand banditisme, de gangsters ou d’assassins : filatures, écoutes téléphoniques, perquisitions, saisies de matériels, etc. L’énergie déployée est proprement sidérante.

 Genèse, ce chapitre est l’occasion pour l’auteur de remonter aux origines du graff parisien avec l’arrivée du rap et de sa culture de bandes ; il y signe aussi quelques belles phrases autobiographiques. Et surtout raconte l’adolescence et les débuts de Luc, alias Comer, personnage au centre du livre. 

Les sous-sols du métro parisien,  c’est du pur gruyère. Il pleut à verse à la surface, et des milliers de trous à rats, d’excavations, d’anfractuosités, de galeries percées et de canalisations dégoulinent de flotte polluée sur fond de beat hypnotique — la goutte d’eau qui s’écrase, répercutée à l’infini dans un écho souterrain et inquiétant. Ce sont les organes internes de la ville : je visite les entrailles de Paris. Tout y est différent. Les odeurs. Les sons. Comer m’a prévenu. Je respire à pleins poumons l’air vicié de la crypte, comme si j’étais sur le plateau des Glières, un bâton de ski à la main.

 Dans les quatre grands chapitres du livre, Karim Madani nous fait découvrir ce monde du graff, peu connu, exaltant, parfois dangereux, considéré comme criminel ; il résume quelques faits d’armes notables, parfois médiatiques, auxquels est mêlé Comer, dont un avec un autre graffeur surnommé Dunk, est un véritable morceau d’anthologie de l’art du portrait.


« Tu ne trahiras point » est un récit nerveux qui met en lumière une certaine schizophrénie de notre société, d’un côté les graffeurs sont mis en garde à vue et écopent d’amendes, de l’autre, le marché de l’art et les galeries leur courent après et spéculent sur leurs oeuvres.

 L’auteur glisse également quelques paragraphes sur la capitale, avec la même verve que Jean-Pierre Clébert dans « Paris insolite » ou Blaise Cendrars et sa « Banlieue de Paris ».

 Si on est théoriquement dans du reportage au long-cours, de la narrative non-fiction, les mots déboulent comme dans un bon vieux polar à papa, avec un savoureux mélange d’argot parisien et de jargon de tagger. Karim Madani ne s’encombre pas de sentiments, de détails superflus. L’écriture fuse, aussi pressée qu’un jet de peinture.

NicoTag

J’aurais pu piocher dans la petite discographie collée à la fin de cet élégant volume, mais j’ai préféré « Sinnerman » de Nina Simone, le rythme de ce remix par Felix Da Housecat est semblable à celui des phrases de Karim Madani.