Traduction : Sabine Porte
Travis Mulhauser est né, a grandi dans le Michigan. Désormais, il vit et enseigne en Caroline du nord mais c’est dans l’état du nord qu’il puise son inspiration. Il y situe Cutler, petite ville imaginaire, théâtre de ce roman et des nouvelles qu’il a écrites. Ce territoire aux hivers plus que rudes est ravagé par la meth qui est apparemment un des plus grands fléaux aux Etats-Unis. Dans cette petite ville, le trafiquant de marijuana et de cocaïne fait figure de notable, c’est dire !
Percy, 16 ans, est obligée de veiller sur sa mère, accro à la meth. Elle a dû renoncer au lycée et malgré ses incessantes promesses, sa mère disparaît régulièrement pour aller se défoncer la tête. En pleine tempête de neige, Percy, inquiète, part récupérer sa mère chez son dealer au fin fond des collines enneigées du nord et découvre un bébé à l’abandon…
« Quand j’ai senti sa petite main qui m’agrippait, mon cœur s’est arrêté de battre. Il était posé là, dans le courant d’air glacial, le visage déjà couvert de flocons. Un bébé. Minuscule sous l’ampoule nue de cette chambre poussiéreuse. Je le voyais pleurer, ses cris se perdaient dans le vent. Je n’ai pas réfléchi : je l’ai pris dans mes bras et je me suis enfuie. Je m’appelle Percy. J’ai seize ans. Voici mon histoire. »
On pense évidemment à « Un hiver de glace » de Daniel Woodrell : Percy, à l’instar de Ree, est une ado qui doit tout assumer. Elle a la même force, le même courage résigné. Le monde des adultes qu’elle côtoie est glauque, elle le sait mais par loyauté et avec une étincelle d’espoir qu’elle ne peut se résoudre à éteindre malgré la triste réalité, elle couvre sa mère et fait face aux catastrophes qui arrivent les unes après les autres. Percy est un personnage magnifique.
C’est elle la narratrice la plupart du temps. Elle connaît le côté sombre de la nature humaine et n’a pas froid aux yeux, elle pose sur le monde un regard fataliste et ironique qui lui donne un ton qui amène parfois un sourire et permet au lecteur de souffler car elle, Percy, n’en a pas beaucoup le temps…
Quand Percy n’est pas narratrice, Travis Mulhauser présente l’équipe des dealers qui vont organiser la traque, enfin organiser est un bien grand mot pour cette bande de tarés furieux complètement ravagés par la drogue qui ont du mal à suivre une idée plus de quelques minutes mais n’en sont pas moins dangereux. Ce ne sont pourtant pas des monstres, peu de gens le sont selon l’auteur, mais la meth fait vraiment disjoncter…
J’ai rarement été happée si rapidement par un bouquin : unité de temps, de lieu, d’espace… Travis Mulhauser capte le lecteur dès les premières pages et ne le lâche plus. Percy va trouver de l’aide chez un de ses ex-beaux-pères qui a décroché de la meth et se contente désormais de l’alcool, un mec clean pour la région, quoi ! On les suit dans leur fuite en sachant que forcément des choses vont foirer dans ce comté où « le plus dur, ce n’est pas tant le froid, mais le fait qu’à un moment ou à un autre, on morfle tellement qu’on finit par se sentir visé. » et on tremble.
Travis Mulhauser écrit avec un style simplissime, épuré et parvient pourtant à nous faire tout ressentir : la vie sordide des junkies, leurs pensées hallucinées et aléatoires, le froid mordant de l’hiver, la peur mêlée de colère de Percy, l’amour instantané qu’elle porte à ce bébé inconnu, son besoin irréfléchi de le sauver… Les personnages, leurs émotions sont vraisemblables, terriblement humains. Un immense talent de conteur!
Un livre époustouflant qu’on lit d’une traite.
Raccoon
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