Certains bouquins vous chopent dès les premières lignes et même parfois, plus rarement, rien que la couverture vous donne la chair de poule. Cette femme floue en couverture de “Traverser la nuit” attire immédiatement le regard et si on teintait de bleu ses lèvres, elle évoquerait irrésistiblement certaines amazones d’Enki Bilal. Évidemment, votre regard accroche ensuite la signature. Hervé Le Corre n’est plus à présenter et, s’il vous est inconnu, vous pouvez pénétrer son univers noir avec ce roman qui est, pour moi, le plus brillant de sa déjà très belle oeuvre. Enfin, ce titre vous paraîtra si juste une fois le livre lu.
Trois personnages, trois destins, trois vies cabossées… Louise aide-ménagère qui élève seul Sam, Jourdan un flic qui enquête sur un tueur de femmes à Bordeaux et Christian un employé qui regrette l’adrénaline ressentie autrefois avec l’opération Barkhane. Tous trois doivent affronter leur enfer nocturne, naviguer sur leur Styx intime, parvenir à “traverser la nuit”. Louise endure les coups ou les menaces de son ex. Jourdan sent sa femme s’éloigner de sa vie, remplacée dans ses nuits par les victimes de ses enquêtes. Christian, lui, quand les pulsions sont trop fortes, massacre des femmes dans la nuit bordelaise…
Le tueur, la victime et le flic… scenar simpliste, rebattu, léger, et donc avec une intrigue initiale à deux balles, Le Corre vous sort un extraordinaire roman noir, parfois très loin des standards et pourtant très classique dans cette volonté de montrer la saloperie du monde dans lequel nous vivons, l’inhumanité de certaines situations vécues par de gens non pas indigents mais tout simplement infiniment malheureux, malchanceux, largués. Le Corre, mieux que tout autre, écrit, décrit la souffrance avec toutefois cette pudeur préférant la grandeur du propos à la démonstration de la déchéance et de la bestialité. Pourtant ce roman est très dur, malgré une plume qui se préfère parfois très discrète, c’est noir, ça pue la peur, le désespoir, la folie et la mort.
La lecture régulière de polars apporte, empiriquement, une connaissance de certains petits trucs, de petites aides pour entretenir un suspense ou relancer une intrigue chez les auteurs, actes réalisés avec plus ou moins de talent ou de réussite. Rien de ça ici. “Traverser la nuit “est l’exemple du roman noir parfait, s’imposant dès les premières lignes par une écriture juste, belle sans paraître empruntée, montrant compassion pour les femmes battues et colère contre les violences des salauds individuels ou institutionnels. La lecture ne souffre d’aucune baisse de tension. Le Corre vous emporte et s’il vous épargne bien des détails sordides il vous oblige néanmoins, malignement, à créer vos propres visions du cauchemar. L’auteur va réussir à vous suggérer l’abjection sans jamais l’énoncer laissant ainsi volontairement des zones d’ombre, laissant des points de suspension assassins… qui interrogent et vous détournent de l’attaque qui va vous terrassera.
“Traverser la nuit”, c’est parfois très dur, toujours superbe !
Clete.
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