Waiting For Nothing
Traduction: Raoul de Roussy de Sales
“États-Unis, années 1930. Tom, un homme à la dérive, raconte sans détour sa vie dans la rue, la brutalité et l’inhumanité de la Grande Dépression. Cet individu issu de la classe moyenne, éduqué, perd tout du jour au lendemain. Le quotidien se partage entre courses mortelles pour prendre un train en marche, rencontres avec les marginaux et le désespoir de ceux qui cherchent un endroit où dormir et de quoi manger pour survivre. Tout ce qui compte, c’est le présent. Et celui de Tom est pavé de famine, de pannes, de galères, de relations éphémères et des images emblématiques de l’Amérique de l’époque.”
La faim. Nous sommes chanceux quand elle nous est étrangère. S’estimer heureux de ne pas crever la dalle est un minimum. Le fait d’avoir également un toit sur notre tête et de quoi nous chauffer est un privilège que d’autres n’ont pas. Un confort que, parfois, nous n’estimons pas assez. C’est l’habitude. Le petit train-train. Mais rien n’est éternel. Des acquis que l’on pense pérennes peuvent disparaître du jour au lendemain. C’est ce qui s’est passé pour l’écrivain Tom Kromer, en son temps, lors de la Grande Dépression des années 1930 aux Etats-Unis. Son unique roman, Les vagabonds de la faim, nous entraîne au fond du gouffre. La chute est brutale.
Il est une certitude. Les pages de cette nouvelle édition du livre Les vagabonds de la faim se dévorent. Elles laissent le lecteur affamé, tant on éprouve ce que traverse notre héros, mais elles se dévorent. Tom Kromer nous donne à vivre la misère. Une misère terriblement intense et désespérée. « Le pied sur une thune je peux vous dire si c’est pile ou face. C’est vous dire l’épaisseur de mes semelles. »
Tout sonne sincère et authentique dans le choix de ses mots. Tout est si noir ici qu’il n’a pas besoin de grossir inutilement le trait. On ne perçoit pas de volonté d’aller dans l’excès de fatalisme bien qu’il soit difficile de faire plus noir que ça. Notre héros, Tom, survit tant qu’il peut dans un monde qui semble ne plus rien pouvoir pour lui, ni pour qui que ce soit qui a touché le fond. Il est la victime et le témoin d’une réalité cruelle et tragique. C’est le vécu de l’auteur qui parle dans ce roman et ça se ressent.
Les vagabonds de la faim est un voyage dans lequel la mort n’est jamais loin. La douleur et la peine non plus. C’est sale, ça pue et c’est souvent très laid. Les phrases sont courtes, dénuées d’artifices, épurées pourrait-on dire. Elles sont aussi peu habillées que les personnages que l’on rencontre au fil du roman. La langue est celle des vagabonds de l’époque. On y lit dans ce roman des choses difficilement oubliables, de celles qui vous écrasent, qui vous broient :
« Contempler ces stiffs autour de leurs feux, c’est regarder un cimetière. C’est à peine s’il y a de la place pour circuler entre les tombes. Pas d’épitaphes gravées dans le marbre par ici. Ces tombes sont des hommes. Les épitaphes sont ces sillons qui creusent leurs joues. Ces hommes sont des morts. Le jour, ce sont des fantômes qui errent dans les rues. La nuit, ce sont des fantômes qui dorment enveloppés dans le journal d’hier, en guise de couverture. »
Un livre sans espoir, c’est ce qu’est Les vagabonds de la faim. C’est aussi un témoignage choc et puissant de ce qu’est la véritable misère, de ce que c’est que vivre sans travail, sans argent, sans toit, sans nourriture, sans rien. Des conditions de vie qui brisent tout être humain. Si c’est une autre époque dont il est question, cette misère, elle, est intemporelle.
« J’écrirais le livre que j’écrirai un jour, quand je saurai à quoi ils pensent ceux qui sont assis sur les bancs dans le parc à regarder droit devant eux dans la nuit. »
Ce livre, Tom Kromer l’a bel et bien écrit. Encore trop méconnu, il est pourtant indispensable de le lire.
Brother Jo.
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