Palanquine, énorme boule de feu rouge sang, traverse les abysses sidéraux à notre rencontre. Inéluctablement. On la surnomme « la Messagère », mais il apparaîtrait surtout qu’elle draine davantage d’interrogations dans son sillage stellaire que de réponses…

Ce monstre cosmique paré du feu de l’Apocalypse a le temps de l’éternité pour lui et semble bien se rire de nos misérables destinées humaines. Il parcourt les éons avec l’assurance d’un Dieu, nous promettant la destruction dans un temps qui sera le sien. Arrivée aux abords de notre système solaire en ce matin d’un XXIIe siècle agonisant, Palanquine colore de flaques sanguines notre planète et plonge l’humanité dans une transe mystique où tous les repères fondent et se désagrègent.

Parce qu’il refuse l’inévitable, qu’une vingtaine d’années supplémentaires en recherche pourraient permettre à une technologie émergente de dévier l’astre honni, le professeur Desmond Lockerbie décide d’envoyer vers le passé des messagers, les rectifieurs. Leur mission consistera à faire avancer les progrès scientifiques de manière suffisamment notable qu’ils puissent endiguer la course de Palanquine dans un lointain futur et parer au cauchemar de la fin des temps. Seront-ils plus forts que ce que l’Histoire avait prévu pour nous ?

Dès les premiers chapitres du Temps de Palanquine, le lecteur se trouve plongé d’une poigne impitoyable dans un monde sombre et oppressant, fortement teinté steampunk (au sens littéral du terme) pour des raisons que nous ne dévoilerons pas ici.

Nous abordons la pénombre d’un appartement de Délicité, ville monstre à l’agonie, théâtre rétro-futuriste et déliquescent dont l’esthétisme se trouve coincé quelque part entre les années 40 du siècle dernier et un futur bien trop proche. Nous y rencontrons John Linker, le narrateur de l’histoire, fou d’amour pour la belle Eleanor Wayne autour de laquelle gravite le merle Nemo et ses trilles chantantes. Ce couple, tel le roc dans le tempête, s’engagera dans l’aventure de la rectification temporelle accompagné de deux acolytes, Sarah Quarry et William Torn. L’un bourreau et l’autre victime, pôles magnétiques entre lesquels s’électrise un arc hideux de violences sexuelles et psychologiques. Une bien étrange équipe pour une destination non moins étonnante et incertaine…

« Alors qu’est ce qu’on est vraiment lorsque d’un coup tout déraille ? J’essaie d’affronter cela et de l’écrire. Et quoi de plus terrible que l’aliénation subie par les êtres humains ? De plus révélateur ? Je parle de l’aliénation sous toutes ses formes : physique, mentale et sociale. C’est mon terreau à moi. »

(entretien paru dans Bifrost n°85 entre Tierry Di Rollo et Olivier Girard, son éditeur)

Si Thierry Di Rollo nous parle ici de voyages temporels, avec force théories et lois scientifiques à l’appui, on aura vite compris que l’intérêt de cet ouvrage se situe ailleurs, c’est à dire vers le centre, dans les nimbes intérieures et autres circonvolutions de l’âme humaine (ou du moins de sa psyché).

Treizième roman à l’actif de l’écrivain, Le Temps de Palanquine s’inscrit par conséquent et par essence dans une dimension poétique, onirique et introspective. S’il renoue bien ici avec les obsessions récurrentes de l’auteur – la violence, le désespoir, le sexe, la drogue (vous reprendrez bien un peu de K. Beckin ?) – il n’en demeure pas moins une tentative nouvelle, alors que tout s’effondre, d’un sursaut vers la vie peu coutumier à l’auteur.

Ce nouvel opus de Di Rollo s’étire en effet comme une ode tenace contre le déterminisme et la fatalité, comme un trait acéré pour l’audace et la croyance dans les champs des possibles. Même si l’espoir s’avère aussi ténu qu’un électron dérivant dans l’infini quantique ; parce que demain est encore là et qu’il faut bien continuer… le Temps de Palanquine s’érige pour ainsi dire en un ardent et phallique majeur dressé à la face de la toute puissante loi de l’entropie et à celle de l’esprit borné, prisonnier de ses propres schémas.

On se réjouira des petites notes d’humour ponctuant le récit comme autant de bulles d’oxygène. Je pense ici au mot laissé par Lockerbie lors de la première mission menée par l’équipe, ou à cette savoureuse rencontre inopinée entre Eleanor et Philip K. Dick à l’occasion d’une convention de SF en 1972.

Le Temps de Palanquine, ouvrage hypnotique à effet de boucle rétroactive s’annonce comme un événement fort ainsi qu’un jalon intime à part dans le parcours littéraire de l’auteur. Une lumière au bout du tunnel.

Wangobi.