Grandiose Michaud !
« Dans le nouveau silence qui avait suivi, un frisson peut-être venu des insomnies qu’il évoquait avec un trouble dans son regard et j’avais compris qu’il était inutile de lui demander de s’expliquer quant au legs qu’il entendait me transmettre, la froideur, la nuit, la peur. J’avais avancé mes mains vers les siennes en vue de vérifier si elles contenaient encore quelque chaleur, mais il se levait déjà, son corps alourdi par les confidences qu’il venait de me faire : tu verras, on s’habitue à tout, même à l’horreur… »
Blizzard et Orages – les deux parties du roman comme deux cerneaux de noix : deux saisons, deux personnages. Hiver et été, une femme et un homme réunis autour de Cold Mountain pour des raisons aussi différentes que similaires : l’héritage d’une maison pour Marie, l’héritage d’une fausse identité pour Ric.
Marie Saintonge arrive au Massif Bleu suite à la mort de son oncle Adrien qui vient de se suicider : elle hérite de la maison située au pied de cette montagne qu’elle décide de nommer Cold Mountain – cette montagne, « une veuve, une stèle érodée par des millénaires de deuil ».
Difficile de savoir ce qui se passe autour de ce massif : l’air est oppressé par le souffle de ce monstre de granit qui semble ne jamais dormir. La tempête talonne Marie et s’installe quelques heures après son arrivée et en peu de temps la neige occupe tout le paysage.
Dès lors on s’installe dans un huis clos pesant et on assiste à la défaillance progressive de Marie : la solitude, interrompue par des éruptions intempestives – hommes ? fantômes ? – la radio qui fonctionne par à coups pour égrener les noms des morts et des disparus dans la tempête, les bouteilles de vin qui se vident comme par miracle, « un homme de pierre ou de bois, de glace souillée de détritus » qui la surveille, qui en joue. Et puis les bonhommes-allumettes gribouillés par une main invisibles autour de la maison, sur la maison, apparaissant et disparaissant comme dans un jeu macabre.
Ric, le raté, le double visible d’un écrivain star qui le rémunère pour l’incarner en société depuis une vingtaine d’années, se trouve complètement désemparé à la mort de son « patron » suicidé dans sa belle demeure. Il décide de finir le manuscrit de Chris Julian dans les lieux-mêmes où se déroule l’intrigue du livre inachevé : les Chutes rouges, sur le Massif Bleu.
Le séjour de Ric au camping des Chutes rouges prend assez rapidement une tournure angoissante : pour cette deuxième partie du roman, Andrée Michaud installe l’écrivain en herbe en tant que narrateur. C’est donc à travers ses mots que le lecteur vit cet été cauchemardesque lors duquel les orages accouchent des cadavres, le petit monde du camping est gagné par une paranoïa aigue et Ric devient le coupable idéal devant tous ses voisins.
A la différence de Marie – et probablement la vie sociale existante n’y est pas étrangère – Ric parvient à garder son sang froid même lorsque des petits bonhommes-allumettes commencent à faire leur apparition par-ci, par-là, même lorsque la réalité commence à un peu trop rejoindre la fiction décrite dans le manuscrit qu’il s’acharne à finir.
Il existe une pratique thérapeutique appelée celle des « bonhommes-allumettes », née sous la plume d’un thérapeute canadien, Jacques Martel. Je n’en sais rien si cela a un quelconque rapport avec les dessins fantomatiques qui apparaissent et disparaissent autour de Marie et de Ric. En revanche, cette pratique est censée casser les relations d’attachement toxiques – l’obsession de Marie pour le suicide de son oncle ? l’identité perdue de Ric au détriment d’une existence de porte-plume raté ?
Quoi qu’il en soit, ce dernier roman d’Andrée A. Michaud est tout simplement grandiose : il met l’individu face à soi-même, à ses responsabilités et à ses angoisses dans un contexte extrêmement difficile. C’est aussi la raison pour laquelle chaque lecteur aura certainement sa propre interprétation : ce texte arrive à parler au plus intime de soi-même.
Monica.
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