The Deluge
Traduction: Charles Recoursé
On a tous connu des lectures profondément marquantes mais personnellement je n’ai pas le souvenir d’un roman qui m’ait à ce point choqué, terrifié et bouleversé. On quitte Le déluge avec un sentiment d’épuisement et une tristesse incommensurable, infinie. Et chaque jour, l’actualité nous rappelle le cauchemar en préparation. Cette semaine: l’inquiétude autour de la disparition prochaine des îles Samoa dans l’indifférence internationale, un cyclone monstrueux fonçant sur le Japon…
Débutant en 2013 avec l’alarme lancée par Tony Prius un scientifique américain auteur d’un livre choc sur le dérèglement climatique Le déluge raconte les conséquences de cette catastrophe en gestation jusqu’en 2039. Il s’agit bien sûr d’un scenario imaginé par Stephen Markley, juste un scenario terrifiant mais il existe certainement bien d’autres variantes bien pires que celui raconté ici. L’auteur conte ouragans, méga tempêtes et tsunamis, inondations, températures extrêmes, migrations climatiques, famines, soulèvements et guerres civiles, incendies monstrueux, répression dans le sang, chaos…
Pour autant, Le déluge n’est absolument pas un roman catastrophe de plus. D’ailleurs ces plaies d’Egypte modernes sont racontées avec beaucoup de détachement à la manière événementielle d’un journaliste impartial. Dans Ohio, son premier roman en cours d’adaptation pour HBO, Markley suivait le destin de plusieurs personnages qui se retrouvaient tous, par hasard, un jour dans la ville où ils avaient grandi bien des années auparavant. Dans Le déluge, de la même manière, des hommes et des femmes impliqués directement ou indirectement dans une lutte contre le réchauffement climatique, vont converger, non pas vers un lieu cette fois mais une date: 2039. Nous partagerons les combats, les luttes, les épreuves, la souffrance, les espoirs et les désillusions, les choix d’un scientifique lanceur d’alerte, d’un statisticien, d’un toxico de l’Ohio prêt à tout pour sa dose, d’un groupe écoterroriste aux tendances survivalistes, d’un acteur de cinéma devenu prédicateur puis se prenant pour une divinité, d’une pasionaria pour qui toutes les alliances politiques sont bonnes pour mener à terme son projet de décarbonation, autant de détonateurs pour un drame si crédible parce qu’en partie déjà visible, patent. Certains personnages sont si justement peints qu’à la fin, on s’étonne qu’ils ne soient pas vraiment réels. Forcément cette histoire est dramatique et le destin de certains vous fera mal sans aucun doute.
Le déluge devient rapidement très addictif avec certaines scènes totalement ahurissantes dignes des plus grands thrillers. Néanmoins, certains passages s’avèrent ardus, c’est une histoire qui se mérite parfois malgré le talent et l’intelligence de l’auteur. On est dans les très hautes sphères où talent littéraire et connaissance d’un sujet dans toutes ses composantes s’harmonisent, un peu comme chez Richard Powers avec une érudition au service du propos comme chez Pynchon également. Rien n’est oublié, tout est détaillé. Néanmoins, notez que l’auteur montre surtout l’aspect américain des catastrophes des luttes et des magouilles des politiques et des industriels. Mais le transfert avec la France se fait facilement en imaginant Bordeaux submergée, Marseille en flammes et une répression sanglante à Paris et en observant tout simplement le triste cirque de la classe politique française.
« Un nouvel âge sombre point à l’horizon. Fanatismes religieux, factionnalisme ethnique et extrémisme politique finiront par engloutir la planète, et le pillage des ressources naturelles ne fera que s’accroître du fait des élites qui tenteront désespérément d’accumuler autant de capital que possible afin de se prémunir contre l’inévitable… Le recul brutal de la civilisation sera incarné dans le monde entier par des chefs de guerre en costume sur mesure, qui n’hésiteront pas à tuer pour accéder au pouvoir ».
Après, ne le négligeons pas, Le déluge dépasse les 1000 pages et sa lecture, loin d’être aisée, est d’une tristesse infinie. On peut donc aussi bien se dire « après moi le déluge ». Par contre, il ne faudra pas non plus feindre l’ignorance quand l’obscurité nous enveloppera… bientôt.
Clete
Commentaires récents