Chroniques noires et partisanes

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UN BON INDIEN EST UN INDIEN MORT / Entretien express avec Stephen Graham Jones

Le roman « Un bon Indien est un Indien mort » ne laisse personne indifférent. On aime ou on déteste cette histoire cauchemardesque de vengeance indienne. Profitant de sa présence à America, nous avons pu passer quelques minutes avec son auteur Stephen Graham Jones, entre une des ses séances de dédicaces et un enregistrement pour Arte. Ce joli petit moment, sur des transats dans le hall de la mairie de Vincennes, a été rendu possible grâce à l’entregent et la gentillesse d’Alain Deroudilhe attaché de presse efficace de Rivages et de l’éditeur français du romancier, Valentin Baillehache. Soulignons aussi et surtout la traduction efficace des propos effectuée par Clément Martin, très pro. Merci à eux et bien sûr à Stephen Graham Jones, passionnant et très disponible tout au long du festival.


“Un bon Indien est un Indien mort” chez Rivages est votre second roman à paraître en France après “Galeux” à La Volte. On va sûrement très vite s’habituer à l’auteur mais qui est l’homme ?

Je suis né au Texas en 72 et j’ai grandi dans une ferme où je travaillais avec des chevaux, des tracteurs et je n’ai jamais envisagé d’être auteur, d’avoir une vie dans la littérature. Ça s’est passé un peu par hasard et je suis toujours étonné de la façon dont ça s’est déroulé mais j’adore la vie que je mène maintenant.

Vous écrivez depuis longtemps, y a-t’il eu un élément déclencheur ou est-ce inscrit en vous depuis toujours?

Quand j’avais 19 ans, une fois, j’avais prévu de ne pas faire le travail pour une dissertation. J’étais à l’hôpital à ce moment-là et j’écrivais un peu n’importe quoi sur un petit carnet à spirales et je me suis dit que peut-être je pourrais avoir la moyenne si je rendais ça à la place du travail exigé. J’ai donc rendu cette copie à ma prof et au lieu de me mettre juste la moyenne, elle l’a tapée, je ne m’étais jamais servi d’une machine à écrire ou d’un traitement de texte et l’a envoyée à un concours de nouvelles local que j’ai finalement gagné et qui m’a rapporté cinquante dollars. Cette somme de cinquante dollars est l’argent qui vaut le plus à mes yeux depuis, parce qu’il m’a fait comprendre que si on raconte des histoires correctement, les gens écoutent et sont prêts à vous accorder une certaine importance, un certain crédit.

Comment écrivez-vous ? Planifiez-vous votre roman ou partez-vous d’une image, d’un thème, d’une idée ?

Je ne planifie jamais mes romans.Je commence souvent en ayant aucune idée. Je vais chercher à entendre une voix avant toute chose. Et une fois que je l’ai et que j’entends cette voix dire la première phrase du roman, en fait, cette voix va tout me donner, à la fois l’angle du roman, son style, la narration. Cette première phrase va en amener une autre, puis une troisième, puis un paragraphe, puis un chapitre et enfin le roman. Même quand il s’agit de thrillers ou de polars, je ne connais pas la fin et je finis par être moi-même surpris par le final.

Vous citez Lansdale (entretien Nyctalopes) dans vos références et il a effectivement commencé par des récits d’horreur pour aller vers le polar, le noir. Pensez-vous effectuer la même démarche un jour?

Ah, ça, c’est une très bonne question. Avoir la même carrière que Joe Lansdale serait un honneur car il est vraiment fantastique. En fait, depuis 2002, je sais que Joe lansdale est mon héros. J’ai participé avec lui à une rencontre lors d’un salon et lors du moment des questions / réponses une personne lui a demandé à quel genre il appartenait et il a juste répondu qu’il faisait du Joe Lansdale et donc c’est un stade auquel j’aimerais arriver… faire du Graham Jones. J’ai déjà écrit des romans policiers par le passé mais je ne sais pas encore où va me mener ma carrière. Ce dont je suis sûr, c’est que mes trois prochaines sorties seront dans le domaine de la littérature d’horreur puisque les livres sont déjà écrits. 

Pourquoi ce choix de la littérature d’horreur ?

J’aime l’horreur parce qu’elle va créer des réactions viscérales chez le lecteur. Pour moi, il y a deux genres qui exacerbent les sentiments, l’horreur et le romanesque, ils peuvent créer l’émotion et terroriser. Les romans d’horreur ne peuvent qu’effrayer, on se retourne quand on se retrouve seul dans un immense parking la nuit, on regarde sous son lit avant de se coucher. De manière générale, la littérature d’horreur va pondre des œufs dans l’esprit du lecteur qui écloront peut être vers deux heures du mat, au cœur de la nuit sombre. Et c’est ce que j’apprécie, ces réactions que cela peut générer chez le lecteur.

J’ai l’impression qu’il y a deux histoires dans “Un bon Indien est un Indien mort” ; un jeu de massacre très cinématographique et jouissif mais aussi le témoignage d’un certain mal être des jeunes Amérindiens comme on pouvait le lire notamment chez Tommy Orange ?

La comparaison avec Tommy Orange est pertinente, je le connais, c’est un type bien et un auteur de qualité. Ce qui est marrant c’est que ce jeu de massacre, c’est vraiment ce sur quoi j’étais parti au départ, mais en fait, la partie sociale s’est révélée organiquement pendant l’écriture. Comme je l’ai déjà dit, je n’ai pas de plan, de check list à compléter mais j’ai quelques griefs à l’encontre du monde, notamment la colère contre les brutalités policières sur les personnes à la peau sombre que ce soient les Amérindiens ou les Noirs. Et il s’avère que si dans le cadre de l’histoire, au cours du procédé créatif il peut souligner ces éléments, il le fera. Si je peux…

Le châtiment des quatre jeunes est-il dû à leur méconnaissance, leur oubli des traditions ?

Il y a beaucoup de raisons à ce châtiment : ils ont pénétré une zone réservée aux Anciens dans la Réserve, ils ont chassé sans respecter l’éthique, les traditions et ils n’ont pas mangé la viande de leurs victimes. De manière générale, ils n’ont pas été attentifs à ce qu’ils étaient censés faire et à la manière de chasser. 

Je voulais aussi poser une autre question avec ce roman. Quand on regarde cet écart de dix ans entre la chasse et la punition, la justice, la vengeance, peu importe comment on veut l’appeler, mais pendant ces dix ans, ces quatre amis ont changé. Pourtant il existe toujours ce crime dans le passé, il est toujours présent. Ce châtiment, est-ce qu’ils le méritent toujours ? C’est la question. Et cela fait vraiment mal de les voir subir tels tourments. Ce sont devenus des mecs relativement bien.

Est-ce la première fois que vous venez en France ? Mis à part l’accueil de Rivages et du festival America, quel ressenti avez-vous de votre “french trip” ?

Je trouve que c’est fantastique. J’ai pris quelques cours de français il y a quelques années et je pensais avoir tout oublié, mais en fait je comprends encore pas mal de choses et ça rend le séjour encore plus agréable. Je trouve que tout est vraiment beau ici, que les gens sont très agréables et j’espère revenir le plus souvent possible.

Quelle serait la B.O. pour “Un bon Indien est un Indien mort ? 

(Réflexion…) Townes Van Zandt a écrit une chanson qui se nomme “ Dollar Bill  Blues” qui serait parfaite pour illustrer “Un bon Indien est un Indien mort”.

***

Merci encore à Stephen Graham Jones, à Rivages et à Clément Martin… sans oublier Francis Geffard et son magnifique festival America.

Vincennes le 24/09/2022, 17 h.

Clete.

Stephen Graham Jones et Clément Martin.

UN BON INDIEN EST UN INDIEN MORT de Stephen Graham Jones / Rivages

The Only Good Indians.

Traduction: Jean Esch

Un bon Indien est un Indien mort” signe l’arrivée de l’auteur amérindien Stephen Graham Jones chez Rivages. Il a déjà une trentaine d’ouvrages à son actif, un seul chez nous, et met ici en lumière des jeunes issus, comme lui, de la tribu des Blackfeet. Nombreux sont maintenant les auteurs amérindiens à raconter l’histoire et le présent de leur peuple. On pourra maintenant ajouter à cette liste Stephen Graham Jones, tout en notant sa grande différence dans le contenu avec des écrivains comme Joseph Boyden, Louise Erdrich, Tommy Orange ou Sherman Alexie. Par sa description d’une jeunesse indienne désorientée, on pourrait le rapprocher un tout, tout petit peu de Ici n’est pas ici de Tommy Orange. 

« Quatre amis d’enfance, qui ont grandi dans une réserve amérindienne du Montana, sont hantés par le fantôme d’une femelle élan. Dix ans auparavant, ils ont massacré un troupeau lors d’une partie de chasse illégale. » 

Ben ouais, ce ne sont pas des mauvais bougres, nos quatre gugusses, sont juste un peu cons. Ça partait pourtant d’une intention louable et puis ça a merdé gravement. Et dix ans après, ils vont payer pour leurs fautes. Leur connaissance beaucoup trop limitée du « catéchisme » indien fait qu’ils ne comprennent pas tout de ce qui commence à se tramer autour d’eux. Faut vraiment pas plaisanter avec les coutumes chez les Blackfeet parce que la réponse divine est terrible. Le pardon, la miséricorde, pas en catalogue. Quatre amis séparés par la vie, deux sur la réserve et deux en dehors, vont affronter un ennemi invisible, invincible et cruel. Le roman est particulièrement addictif, surprenant par ce climat inquiétant et constant d’incertitude basculant souvent dans l’effroi, l’horreur. Predator version Blackfoot.

Un bon Indien est un Indien mort  offre, par ailleurs, un bel instantané sur une jeunesse amérindienne désorientée comme chezTommy Orange. Mais surtout, ne désirant pas non plus égarer les plus sensibles, sachez que si Jones fait nouvellement dans le polar et dans le noir comme ici, il est surtout connu comme un spécialiste de littérature d’horreur, un peu comme Lansdale à ses débuts, d’ailleurs cité en fin d’ouvrage comme une grande référence. Et du coup, l’auteur n’a pas pu s’en empêcher, il s’est pas mal lâché et  quelques scènes tournent de manière très prononcée au massacre, à la grande boucherie. On est très loin des facéties de Un blues de coyote de Christopher Moore.

Ça rigole pas dans le Montana, les dieux y sont particulièrement ombrageux et ça pique quand même un peu. Mais quand on a bien intégré la mise en garde, Un bon Indien est un Indien mort s’avère être un effroyable petit joyau rock n’roll.

Clete

PS: Entretien à America à venir.

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