Chroniques noires et partisanes

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Meurtres sur l’île de Stéphane Pajot / La Geste

 — Hé regardez, il y un type dans le cimetière !

 Les têtes des piliers de comptoir se détournèrent vers l’entrée du bistrot, une baie vitrée qui donnait sur le mur du cimetière de Lampaul. C’est Phiphi qui vit l’homme depuis son poste de tavernier alors qu’il avalait la dernière gorgée d’un verre de Pimousse. Le groupe, composé de Roscoff, Moja le Rude, Chiquita, Luc et Tino, s’avança jusqu’au palier du bistrot. Effectivement, il y avait la tête d’un homme qui dépassait du mur, juste en face d’eux. Une tête de plus que le mur pourtant haut de deux mètres. Luc reconnut la tête du sniper vu dans l’autocar d’Ouessant. Mais que faisait le lascar à la tête élastique dans le cimetière ?

 — C’est peut-être un mort vivant, chuchota Tino, un vampire qui cherche une grenadine.

Luc Mandoline, dit l’embaumeur, ancien légionnaire thanatopracteur professionnel, débarque sur Ouessant pour une cérémonie mortuaire. Son ami Pat Kerbili est disparu en mer lors du naufrage de La Perle. À peine arrivé, il est témoin d’un homicide par KO pour une histoire de patrimoine historique français. Le soir, Dédé Péron, survivant du naufrage et comateux, est exécuté sur son lit d’hôpital.

Stéphane Pajot ne perd pas temps, le décor est vite planté, l’histoire est balancée encore plus vite. Comme le troisième cadavre qui arrive bien trempé, quant aux suivants, ils ne seront pas mieux lotis. Pendant ce temps, Luc Mandoline se retrouve les pieds dans une histoire d’espionnage, pris pour cible par un tireur maladroit qui finira les yeux crevés, et enfin, en possession d’un hypothétique graal gaulliste. La brochette de personnages, tous plus ou moins déglingués à l’alcool, semble issue d’une bédé de Tardi croisée avec des San Antonio.

Le but de Stéphane Pajot est bien de distraire, j’imagine bien notre auteur avec une mine goguenarde en train d’écrire des phrases comme : Il n’a pas loin pour se loger, gloussa un des deux quinquas, pilier de comptoir averti et tronche de déconneur patenté, en jetant un cil de l’autre côté de la rue vers le cimetière. Il reste de la place. Ou dans le genre sentencieux : La bière, elle coule pareil dans ton gosier que je sache. Pimousse ou binouze même combat !                        
Il reprend ici un personnage créé par Stanislas Petrosky, dont les aventures ont connu plusieurs auteurs et une bonne brassée de volumes.

On croise quelques familiers de l’île, Yann Tiersen, Christophe Miossec, d’ailleurs on boit un paquet de verres au siège du fan club mondial de ce dernier. S. Pajot distille également quelques hommages discrets à Édouard Glissant et Tristan Corbière, à Frédéric Dard et son Alexandre-Benoît, aux marins du Bugaled Breizh, et bien sûr au Poulpe, grand-oncle de Luc Mandoline. Et à d’autres, connus ou inconnus, mais bien réels.

Stéphane Pajot se (et nous) fait plaisir, « Meurtres sur l’île », mélange de polar, d’humour et d’histoire de la seconde guerre mondiale, c’est deux cents pages bien envoyées et lues avec le sourire collé aux lèvres du début à la fin.

NicoTag

 Phiphi la boulange glissa Neil Young dans la platine, Hey hey my my. L’un des plus beaux morceaux que la planète rock ait engendrés. C’est pas moi qui le dit…

MATOS de Stéphane Pajot / Moissons Noires / La Geste Editions

Elvis et Hendrix sont dans un bateau… Lequel tombera à l’eau le premier ? Leur océan manque d’horizon, les tours d’une banlieue provinciale de l’Ouest en bouchent salement les perspectives d’avenir.


Pour l’état civil, Hendrix c’est Tony l’Arbitre, fan de Jimi Hendrix donc et médiateur de la Cité des Cerisiers, d’où son pseudonyme. Elvis, c’est Issa, gamin poussé comme une herbe folle sous les ombres conjuguées d’un quartier en friche et du rock’n’roll des grands frères. Pour le reste du décor, c’est le gris, le deal, le chômage, la débrouille et les disparitions, ce qui est plus néfaste au calme précaire de l’endroit. Forcément, les flics et les journalistes y mettent le nez.


Avec la simplicité coutumière et la verve limpide qu’on lui connait, Stéphane Pajot, lui-même journaliste à Presse Océan, auteur d’une jolie guirlande de polars et d’ouvrages dédiés à sa chère ville de Nantes, fait d’une toile de fond familière un autre théâtre à vau-l’eau où les dérapages des uns entraînent la noyade des autres.
Les décennies défilent, le Club des 27 (option guitaristes gauchers pour le coup) accueille Kurt Cobain, le quotidien s’enlise. Issa grandit, Tony trébuche sur des accusations solidement enracinées et dégringole jusqu’au fond du trou. De drame en drame, Issa se retrouve adulte, à Essaouira et presque serein, sur la terre de ses ancêtres et sur les traces d’Hendrix, le vrai. Mais le retour à la case départ, pour une vengeance à mordre froide, l’appelle comme autant d’inéluctables sirènes.
D’autres revanches s’agrègent à la sienne et convergent bientôt vers un estuaire commun, celui de la Loire et de vies en longs fleuves d’intranquillité chronique. Issa, Tony, Bilal, Mathieu, Léa : tout le monde morfle, comme autant de figurants face aux rôles prépondérants des dérives ordinaires « et finalement les châteaux de sable s’effondrent dans la mer » (Castles Made Of Sand, Jimi Hendrix)

JLM

NANTES BANG ! BANG ! de Stéphane Pajot / Editions d’Orbestier.

Résumer Stéphane Pajot à ses accueillants polars (Aztèques Freaks, Deadline à Ouessant, Anomalie P., Le Rêve armoricain…) serait oublier son considérable travail de découverte et de mémoire dédié à sa chère ville de Nantes. Difficile de faire le compte des ouvrages qu’il a consacrés au sujet : Nantes insolite, Nantes rayonnante, Nantes aux mille visages, Petit lexique du Nantais pur beurre, et j’en passe des légions namnètes… Nantes sous toutes ses coutures et cassures, de ses boulevards oxygénés à ses ruelles plus sombres et insolites, Nantes d’hier et d’aujourd’hui, Nantes solaire ou noire.

Ne manquait au tableau brossé par un auteur solidement ancré à ses racines qu’un lien capable de raccrocher les différents wagons d’une œuvre pléthorique. Et c’est donc avec joie que nous validons la parution de cet attendu chaînon manquant, soit un recueil de 11 nouvelles anthracites, chacune dédiée à un quartier de la cité des ducs de Bretagne. Rappelons également que Stéphane est journaliste à Presse-Océan, le quotidien nantais, et que nous promener en ville en sa compagnie est un régal légitimé.

Démarrage en trombe de la visite guidée par les quartiers sud avec Le Cimetière Saint-Jacques. Et soyons clairs, dès l’incipit la tonalité générale de l’ensemble sera en toute logique « à l’Ouest ». C’est certes inscrit dans le marbre du générique. D’emblée, ça rumine un peu le quotidien de n’importe quel journaliste, mais la poésie du marronnier dérape vers le bar et nous transporte illico jusqu’aux confins de Doulon-Bottière, pour Le Chat noir du Bois Robillard, pour une virée nocturne aussi aléatoire que finalement salvatrice.

Tout est à l’avenant, savonneux et rarement sobre, humble et amèrement souriant. Des Hauts-Pavés à la place de la Petite-Hollande se télescopent des lieux de cœur et des gens de cuir. Les destins de Claude ou Erwan chancellent, celui de James tire ses dernières bordées à 45, degrés ou tours, selon qu’on ait le pied marin ou la fibre rock’n’roll. Stéphane Pajot a les deux, par atavisme (oui, il est bien de cette famille qui navigue ni sur des cageots ni sur des poubelles, comme le chante Renaud) et par sens du refrain concis. Chez lui, ça pétarade et tangue d’un titre qui invite Nancy Sinatra à s’accouder à un zinc des Dervallières jusqu’aux ultimes foulées du Coureur de Port-Boyer. Ça glisse comme un muscadet, ça gratte comme un rosé pamplemousse. Ça n’a l’air de rien, fait justement de tout petits riens, mais ça revient, ça se retient comme une chanson populaire. Bref, il est tard, Elmer Food Beat termine son show à Brétignolles-sur-mer, et on s’égare…

Peu importe, demain matin, même avec une gueule de pin, il fera jour et ne subsistera que le souvenir d’un vrai bon moment.

JLM

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