Chroniques noires et partisanes

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TOUR MORT de Stéphane Grangier / Goater noir.

Il est l’heure de s’envoyer le troisième shot de la semaine, tiré des vieux bocaux du patron dans l’objectif d’instruire – si possible – au sujet des littératures « étrangères », à savoir textes et auteurs rattachés de quelque façon à cette protubérance terrestre nommée Armorique. Si on y connaît là-bas au moins cinquante nuances de gris triste ou enchanteur, on y poursuit l’étude de gammes plus noires. Avec un peu d’avance sur le calendrier éditorial, il est l’heure de se pencher sur la dernière production du résident rennais Stéphane Grangier, déjà tagué dans ces pages pour des participations à des projets collectifs (Rennes No(ir) futur, Sandinista ! Hommage à The Clash) et pour des œuvres en solo (Fioul). Tout cela en gardant grande fidélité à un éditeur généraliste majeur de la région, Goater, qui n’a pas négligé dès ses débuts d’ouvrir une branche Goater noir. Frédéric Paulin, Marek Corbel, Marion Chemin, Nathalie Burel… y ont fait étape, juste pour dire.

Un casse qui échoue et voici quelques malfrats qui se réfugient à la maison de la poésie de Rennes. Se faisant passer pour des apprentis poètes, pourtant traqués, ils vont tout tenter pour s’échapper, prenant en otage, poètes et bénévoles, avec comme destination Belle-île, la bien nommée. Un road trip très explosif qui suinte la vie et les galères des déclassés.

Tout d’abord un peu de sémantique. Pourtant supposé familier des quais et bon cavalier des embarcations du Finistère-Sud, j’ai dû m’informer. Un tour mort, c’est une façon basique d’enrouler son bout (on ne doit pas dire corde…) autour d’un truc stable, une bitte d’amarrage si disponible. Ce serait la première étape ou manœuvre, pour nouer quelque chose de plus solide que vous choisirez dans les dictionnaires de nœuds, en fonction de la nature de votre esquif. Pour résumer, c’est fait pour accrocher, de façon provisoire.

Provisoire, c’est un mot-clé pour définir la suite en avant des aventures des personnages de Stéphane Grangier. Des braqueurs losers, plus Extrême limite que Point Break, à Rennes, un beau matin, en échec, alors en fuite et barricadés dans un premier temps dans un établissement à vocation culturelle. Il faut forcer la porte d’un léger coup de coude (l’ouverture aux publics, on sait ce que c’est) et prendre, en douceur, des otages. Cela tombe bien, voilà dans les lieux un quatuor représentatif de la nazerie de tout un milieu, dans son époque aussi naze. Nazerie à la hauteur de celles de nos cons-cons flingueurs. La première centaine des pages de Stéphane Grangier fait tout bonnement frétiller. Tout bonnement très acides, comme on aime. Après, l’acidité ne disparaît pas. Mais nous partons vers des ailleurs moins concentrés. On enfile les canaux, puis les départementales, jusqu’au trait de côte et une traversée. Le gars Grangier se réjouit des road-trips bretons. Then, Hollywood, Plomodiern, now Rennes, Belle-île. C’est très bien, cela fait découvrir notre belle région selon des itinéraires moins balisés pour le tourisme des cons. Pour n’en rien dire de plus, ça va finir dans des eaux sales, tout ça. Sales, salées et vinaigrées. Façon Grangier.

Paotrsaout

PS: l’auteur est présent ce week-end à Rue des livres à Rennes.

FIOUL de Stéphane Grangier / Goater Noir.

 

Du raffinage des matières noires à la base des littératures de même couleur, on extrait des produits de viscosités diverses. Le contenu du gros baril (et la couleur d’icelui) de Stéphane Grangier, intitulé Fioul, ne prendra donc personne par surprise. Il s’agit là du deuxième roman de l’auteur, après Hollywood-Plomodiern paru chez Goater Noir en 2014, un road movie foutraque et West Coast, c’est-à-dire terminant en butée dans le Cap-Sizun finistérien (dont l’auteur est bien plus proche sentimentalement) au lieu que dans les canyons qui entourent la Cité des Anges. Quelques-uns des lecteurs de ce blog auront peut-être entendu parler de cette maison d’édition rennaise dont les Nyctalopes ont déjà chroniqué des romans (Thierry Paulin, Marek Corbel) ou un recueil collectif (Sandinista ! Hommage à The Clash), dans lequel Paulin, Corbel et Grangier se côtoient car, à Rennes, on écrit et on publie aussi en camaraderie.

Déjà manifesté dans Hollywood-Plomodiern, le plaisir de Stéphane Grangier à faire clapoter dans la même nappe bitumineuse les méandres de mecs cabossés par la vie, pas glorieux et même fumiers sur les bords, se réitère dans Fioul. S’additionnent, s’embrouillent et s’enfoncent, dans le roman, un auteur en panne d’inspiration et de force pour parcourir le prochain mètre (à moins qu’il ne s’arrose le moral de gnôle et de poudre), pas très heureux dans ses choix féminins, des bandits manchots (du bulbe) lancés à sa poursuite, réveillés d’une congélation barbouze par un coup de fil, des flics à problèmes qui remontent la piste sanglante et, loin au dessus, des pontes noirs salauds de la finance grise. D’une préfecture sur les bords de la Vilaine, nous carburerons jusqu’à un département du Var en prise avec des vilains, proches du FN.  Pour finir, il y aura une mare où les cloques de goudron éclateront et feront sombrer les losers de droit, sinon de destin. Il est d’ailleurs difficile d’étiqueter un roman qui mélange des éléments de polar, de thriller économique et de fibroscopie biographique.

Ecrit avec une langue crue, verte, Fioul est pourtant bien d’un noir hydrocarbure. Epais également car l’auteur est généreux, ce qui parfois fait naître l’idée d’un découennage de bon aloi. Au risque de nous faire perdre les saillies de l’auteur ou les épices de poésie sale dont il a le secret, capable par exemple de ressortir un doigt d’un rectum enrobé d’effluves « sylvestres ».

Un texte noir et visqueux qui se répand inexorablement. On fait confiance à l’étanchéité de sa combinaison ou on fait demi-tour.

Paotrsaout

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