Traduction : Pierre Deshusses.
Avec « Sombre vallée » paru en 2010 en Allemagne Thomas Willmann journaliste culturel, spécialisé en musicologie signait son premier et seul roman à ce jour. L’histoire a été adaptée au cinéma en 2014 par Andreas Prochaska mais le film n’est jamais sorti en France malgré une bonne moisson de Lola d’or récompensant les meilleurs films allemands. Je ne l’ai pas vu, donc je me garderai bien d’émettre un avis. En revanche, je ne pourrai taire mon amour pour ce roman époustouflant de classe. Si, déjà malheureux, vous aviez loupé « un ciel rouge le matin » de Paul Lynch, il y a deux, trois ans, ne ratez pas ce roman, assez similaire dans le style et dans la puissance dégagée par l’intrigue.
Si Nyctalopes ne vous déçoit pas trop souvent, si vous m’ accordez une quelconque confiance, foncez l’acheter lors de sa sortie le 4 afin de le savourer le lendemain, férié.
Ne lisez pas, non plus, la quatrième de couverture, contentez-vous de ce petit extrait:
« Quand l’étranger est arrivé sur sa mule un soir, les villageois se sont interrogés. Greider est-il vraiment peintre, comme il le prétend ? Ou est-il guidé par de plus sombres desseins ?
Et puis un mort, un fils du clan Brenner, les fermiers qui règnent en maîtres sur la communauté. Et bientôt la mort d’un autre fils. Et d’autres encore… »
« Sombre vallée », c’est tout d’abord un décor montagneux des Alpes allemandes du XIXème magnifiquement décrit par une plume talentueuse et très évocatrice et vous entraînant dès les premières pages vers une histoire qu’on imagine très rapidement noire tant le peu d’empressement des habitants de la haute vallée, discrète pour mieux cacher ses richesses et sûrement son horreur, est visible. Le premier tiers du roman est assez lent, on assiste à l’installation de Greider, le peintre, dans cette communauté qui lui est assez hostile surtout le clan Brenner qui semble commander dans le village. Cette première partie est très paisible, on découvre le décor, on est un peu dans le tableau « Le voyageur contemplant une mer de nuages » de Caspar David Friedrich.
Mais très rapidement, si vous suivez bien, vous allez découvrir des détails: une peinture dans une grange, un discours d’un notable extrêmement surprenant et choquant… quelques détails qui interpellent le lecteur qui ne sait rien alors de la quête de Greider le jeune étranger arrivé là avec sa mule et donc là, on est plus dans la veine du chef d’oeuvre de Peter Greenaway « meurtre dans un jardin anglais » où un artiste, par son travail de représentation et d’observation fine découvre les anomalies, les incohérences, les non-dits d’un environnement humain d’apparence si lisse et inoffensif malgré sa rudesse. Et même si les œuvres diffèrent dans les époques comme les supports, elles sont toutes animées du même immense talent de suggestion, du même sens divin du détail.
Et puis soudain, on voyage à travers l’Amérique à bord d’une diligence en compagnie d’un garçon de treize ans et de sa mère. Au gré des étapes, de relais en relais, des rencontres plaisantes et d’autres moins et une remarquable avec Holden, un juge qui voyage un temps en leur compagnie et initie l’enfant au tir à la carabine Winchester avant de vivre en leur compagnie une tragédie. Par ce personnage du juge, bel hommage au Cormac McCarthy de « Méridien de sang » Thomas Willmann dépeint l’ambigüité dans la personnalité du jeune juge Holden, personnage affable, charmeur mais chez qui se cache une sourde violence qu’il a parfois du mal à dissimuler.
C’est ici que sont dévoilées les premières clés de l’énigme avant un retour empli de frustration pour les Alpes où, pour la première fois de l’histoire, va résonner le glas, lançant ce que l’on pourrait appeler un « western bretzel » mais sans une once mépris de ma part, juste une image pour mieux situer cette partie proche de l’univers de Sergio Leone.
Il y aura d’autres flash-backs situés vingt plus tôt où seront racontées la mégalomanie, la barbarie, l’asservissement, le sacrifice, le meurtre et qui expliqueront la présence, tout sauf fortuite, de Greider et annonceront deux cents pages ahurissantes, une tourmente de violence physique et morale, parfois modérée par des touches d’humanité, de tendresse, d’amour et qui guideront le lecteur vers l’inévitable règlement de compte final génial et terrible à nouveau servi par un style magnifique.
Intelligemment violent et violemment intelligent.
Wollanup.
PS: Un immense merci à la fée Diane des éditions Belfond pour ce beau cadeau.
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