Traduction: Charles Bonnot

« La route rétrécit encore et les derniers jardins manucurés disparurent pour de bon. Derrière un bosquet d’ifs morts, une lande marécageuse s’ouvrit de part et d’autre de la route. Des monticules marron, des broussailles et des ajoncs meublaient ce vide infini. De vilains ruisseaux rouille serpentaient dans les prés et de la mauvaise herbe brune poussait de chaque côté des clôtures, essayant de reconquérir le chemin plein d’ornières et Pit Road. La route était quant à elle recouverte de poussière de charbon dans laquelle le taxi laissait des traces comme dans un négatif de neige fraîche.« 

En 1992 Shuggie Bain, 15 ans, vit seul dans un meublé, on fait connaissance dans un rapide premier chapitre, puis l’histoire fait un demi-tour 10 ans avant, et nous remontons les années 80 pendant presque cinq cents pages .
Douglas Stuart est natif du Glasgow où se déroule « Shuggie Bain ». Il connait bien Sighthill, Pithead et l’East End, les quartiers où vivent ses personnages, il y a grandi.

On pense au tableau qu’Alan Parks a commencé avec « Janvier noir », mais si on veut vraiment se faire une idée précise on peut aller voir du côté de Raymond Depardon. En 1980, le Sunday Times Magazine lui commande un reportage sur la ville écossaise mais, finalement, ne le publie pas. Ses photos, publiées pour la première fois en 2016, illustrent parfaitement « Shuggie Bain ».
Comme dans le livre du photographe, le décor est gris-marron, cette indéfinissable couleur de la misère ; Glasgow, ancienne ville industrielle, réduite à un squelette lessivé par la pluie.
Ils sont nombreux les Britanniques à nous avoir rapporté les affres du thatchérisme, que ce soit à Manchester, Leeds, ou Sheffield ; romanciers, musiciens ou cinéastes. Douglas Stuart, lui, ne parle pas de politique, il nous raconte les conséquences. 


« Agnes était assise, le dos droit, dans le fauteuil près de la fenêtre et regardait la rue. Des hordes de gamins jouaient dehors mais Shuggie n’en faisait pas partie. A dix heure et demie son ménage et son maquillage étaient faits, et bien qu’elle ne comptât pas sortir elle mit son pull décolleté et une jupe grise moulante. Elle buvait sa vieille bière en se demandant où son fils se cachait pour écahpper à son enfance. » 


L’histoire tourne autour de Shuggie et Agnes, sa mère, peu à peu leur monde se délite. Les départs plus ou moins volontaires des autres personnages, tous douloureux de toute façon. 

Elle qui se rêve Liz Taylor, tourne à la bière et à la vodka, tellement dépendante qu’elle est prête à tout pour une canette, tourne méchante, sombre dans l’acrimonie jusqu’à détester ses enfants affamés.
Le pire étant pour Shuggie, qui non seulement vit dans un enfer en essayant de sauver sa mère, doit aussi composer avec la cruauté des autres, enfants et adultes. Il découvre son homosexualité sans vraiment comprendre, et cette différence est insupportable pour les autres. Ce qui lui vaut des insultes, des bousculades et des cassages de gueule.

Plus on avance dans le roman plus on s’enfonce dans le sordide, plus les épaules de Shuggie ploient sous la misère de sa condition de gosse délaissé par tous, avec une mère alcoolique au dernier stade. C’est déprimant, ça picole en permanence, les hommes sont brutaux, les femmes violentées, les enfants laissés sur le côté dans le meilleur des cas. L’amitié ou l’amour n’existent pas, ou presque, un peu dans les première et dernière parties en 1992.

Douglas Stuart est cru dans son roman, il montre sans fausse pudeur les ravages de l’alcool, sur la personne qui boit mais également sur l’entourage ; Agnes siphonne plus qu’elle ne boit, les plus âgés des enfants font leurs valises, les amis ne sont que des profiteurs du corps d’Agnes, quant à son mari… Le tableau n’a rien d’idyllique, sauf qu’il y a Shuggie. Jamais il ne renonce à aider, soigner, ramasser celle qu’il aime éperdument. Il tente tout ce qu’il peut pour qu’elle continue les réunions aux Alcooliques Anonymes, pour éviter qu’elle ne glisse chaque jour un peu plus dans les bouteilles et les canettes. Il l’entoure d’un amour infini.

Ce livre, en plus d’être un véritable page turner, est un cœur battant, aussi vivant que Shuggie. Douglas Stuart signe un roman, sombre, noir comme le charbon et les terrils de Pithead, mais surtout un livre qui mérite la pleine lumière.

NicoTag


La scène musicale de Glasgow est vivace. Au début des années 90, Shuggie a probablement entendu parler de Teenage Fanclub, groupe glaswegian, comme lui.