Traduction: Nicolas Guichard.
Nyctalopes s’intéresse enfin à la collection musicale Rivages Rouge dont les bouquins m’ont souvent fait saliver et donc, avant un passionnant ouvrage sur le concert tragique des Rolling Stones à Altamont en 1969, voici un bon, très bon ouvrage sur Frank Sinatra.
Mais, ce n’est absolument pas une biographie du parcours du musicien qui m’aurait gavé très rapidement, le monsieur ne faisant vraiment pas partie de mon petit monde musical. Non, non dès le titre très évocateur mais parfaitement justifié, bien qu’ici on ne soit pas dans la fiction, on pointe une parenté avec James Ellroy que l’on comprend dès les premières pages tournées. Les sous-titres « Showbiz, casinos et mafia » offrent même une compréhension encore plus fine du propos envisagé et génialement traité.
Dans ses remerciements, l’auteur résume sommairement les évènements qui vont, je l’espère, finir de vous convaincre que vous avez là un livre nettement au-dessus de beaucoup de romans noirs et qu’une fois de plus, la réalité dézingue la fiction.
« Cinq personnages, une dizaine de seconds rôles importants, huit films environ, deux bandes originales, une campagne présidentielle, une maison de disques, deux casinos et d’innombrables mariages, liaisons, complots, scandales, cigarettes et verres… » et des femmes, des femmes, des femmes…
Si vous aimez la littérature noire ricaine, ses grands personnages, ses mythes et ses réalités dans cet environnement de l’après-guerre où les héros blancs ricains auréolés de leur statut de sauveur du monde occidental balançaient leur modèle social, politique et culturel à une Europe occidentale béate d’admiration.
Et d’un point de vue culturel, Sinatra, Dean, Martin, Sammy Davis Jr. (pour la caution morale, le soutien à la cause noire, pipeau, pipeau !) plus deux autres tristes sires dont un, Anglais, a touché le jackpot en épousant Pat qui est la sœur d’un certain Jack Kennedy, homme politique qui monte, étaient les meilleurs ambassadeurs d’un bon goût américain… Le Rat Pack, tel est le nom de ce groupe d’amuseurs et de chanteurs qui seront au sommet, sur les planches comme dans les affaires louches de 1957 à 1963, la mort de Marylin Monroe puis l’assassinat de Kennedy étant deux tragédies fatales à cette bande de gros cons, ouais, j’ai eu beau chercher, c’est le qualificatif qui leur convient le mieux.
Et le bouquin est franchement passionnant par tout ce qu’on y apprend de leurs frasques bien sûr mais ils n’étaient pas les premiers du showbiz à se comporter comme des barbares et ils n’auront pas été les derniers non plus, montrant la voie aux apôtres de « sex and drugs and rock n’roll ». On trouve son lot de belles et de surprenantes anecdotes people qui montrent comment le Rat Pack se foutait de son public, comment Sinatra enregistrait un morceau en une unique prise, comment il fallait lui brandir de grands panneaux blancs pour qu’il puisse déclamer ses dialogues dans les films, comment ces gugusses se comportaient de manière odieuse avec les actrices et mannequins qu’ils se refilaient, comment ils méprisaient le commun des mortels. Outrageants, lamentables, finalement communs dans ce milieu.
Mais la richesse de l’ouvrage vient de sa description des relations de Sinatra et Dean Martin avec Giancana, boss de la mafia de Chicago : les deals, les affaires, Las Vegas et ses gros profits. On voit aussi les intrigues politiques par le biais de Kennedy complètement inféodé à la mafia depuis l’aide de la pieuvre pour son accession à la présidence et par les relations très régulières et anciennes de son père Joe Kennedy, sénateur et surtout arnaqueur, avec les vrais maîtres du pays à l’époque.
Et tout ceci est écrit d’une belle plume, très vive, souvent assassine pour l’homme mais très respectueuse du talent d’interprète de l’artiste, mais juste de ce point. Il faut dire que le Sinatra qui apparait ici est particulièrement méprisable. Ne surchargeant pas son récit de détails inutiles, Shawn Levy nous entraîne dans une histoire bien épatante où on assiste à une ascension magnifique tout en espérant une chute proche tant ces fumistes glorifiés, canonisés, sont aussi méprisables que certains personnages des romans d’Ellroy dont on espère la mort, de préférence douloureuse, tant ces salopards sont à gerber parfois depuis plusieurs romans.
D’un point de vue musical, « le crépuscule des stars », sera le fait d’un jeune plouc blanc pauvre du Sud profond nommé Elvis Presley dans un premier temps puis de quatre garçons dans le vent venant de la perfide Albion dont les ventes de disques leur feront bien comprendre que leur temps est passé.
Une culture américaine beauf, vitrine d’une Amérique qu’on a imposée comme modèle social et culturel au monde.
Passionnant.
Wollanup.
PS : si l’époque vous passionne, ne ratez pas le sublime « Dino » de Nick Tosches chez Rivages à propos de Dean martin et le non moins réussi « les larmes d’Edgar » de Marc Dugain sur Edgar Hoover, patron du FBI, grosse enflure de l’époque, étrangement absent du livre.
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