Chroniques noires et partisanes

Étiquette : seuil policiers

UN SALE HIVER de Sam Millar / Seuil policiers

Traduction : Patrick Raynal.

 

« Il neige dru sur Belfast lorsque, tôt le matin, Karl Kane, allant chercher le lait devant sa porte, y trouve aussi une main sectionnée. La deuxième à se matérialiser dans la ville en quelques semaines. Que signifient ces macabres cartes de visite ? Attiré par la récompense substantielle qu’offre un homme d’affaires inquiet pour la réputation de la ville, Kane enquête. Un caïd local, brute impitoyable qui contrôle la drogue et la prostitution, retient son attention. De bars crapoteux, où des clients à la sexualité incertaine n’hésitent pas à sortir leur couteau, en bordels lamentables, Kane aborde une nouvelle descente en enfer. »

Troisième aventure de Karl Kane et moi qui n’étais pas très chaud sur la série jusqu’à maintenant, je dois bien reconnaître que Sam Millar a trouvé la bonne vitesse de croisière avec ce nouvel opus. Terminés les côtés très glauques même si cela reste très très chaud, mises entre parenthèses les nouvelles des hémorroïdes du héros, de l’action et de l’humour, beaucoup d’humour dans les dialogues et un héros tout simplement humain, le genre de type qu’on aimerait avoir comme pote.

Dans « Un sale hiver », on se sent aussi beaucoup plus en Irlande que d’habitude à moins que je me fasse des idées. Toujours est-il que Karl Kane pourrait devenir un ami irlandais très fréquentable un peu comme Jack Taylor de Ken Bruen. Petite parenthèse, les éditeurs se foutent des lecteurs au point de nous priver de la dernière aventure de ce suicide sur deux jambes qu’est le sublime Jack Taylor. En France, visiblement, on n’aura pas le droit de lire « Purgatory » sorti en 2013.

« Un sale hiver » c’est de l’action, de l’humour vachard, une enquête bien fichue, ancrée en Ulster, un thème général qui provoque forcément une réflexion chez le lecteur et des remarques bien senties qui ne peuvent que créer une empathie pour l’auteur.

« je souhaite que tous ces crétins de religieux se contentent de disparaître et nous laissent le boulot quotidien de la vie normale. »

« Des politiciens locaux…D’habitude « ennemis mortels » pour les caméras vigilantes et les crétins qui votaient pour eux, ils se tapaient dans le dos comme des cousins perdus de vue depuis longtemps. »

La curaille, les enflures de politiciens, si cela peut vous rassurer, il n’y a donc pas qu’en France qu’ils emmerdent les gens.

Bref, le Sam Millar nouveau est bon.

Wollanup.

 

 

LES JUSTICIERS DE GLASGOW de Gordon Ferris au Seuil policiers

Traduction : Hubert Tézenas.

Gordon Ferris est un auteur de polars écossais qui travaillait auparavant pour le ministère de la défense britannique.  Six de ses sept romans se déroulent dans l’immédiat après-guerre, une période bien noire qui fascine l’auteur : époque où le pays ruiné doit se relever et les chantiers de reconstruction entraînent forcément une corruption énorme.  « Les justiciers de Glasgow » est le deuxième tome d’un quatuor dont le héros est Douglas Brodie. Le premier tome « La cabane des pendus » a été publié aux presses de la cité en 2012 et est ressorti en poche en mars.

« Glasgow, la ville d’Écosse la mieux taillée pour le roman noir, connaît un été torride en cette année 1946. Douglas Brodie, ex-flic et sous-off tout juste démobilisé, vient d’être embauché comme reporter à la Gazette, où il doit vite faire ses preuves. L’occasion lui en est fournie par les exactions d’une bande de justiciers autoproclamés « les Marshals de Glasgow », qui ont l’accent des Highlands et envoient aux journaux des épîtres enflammées et agrémentées de citations des Évangiles. Leur mission ? Infliger un châtiment selon eux bien mérité à des criminels qui sont passés entre les mailles du filet de la justice. Dans une atmosphère alourdie par la pauvreté, les spéculations liées à la reconstruction et les dysfonctionnements de l’État, Brodie part pour une croisade en eaux troubles qui marquera durablement sa conscience. »

Je n’ai pas lu le premier tome de ce quatuor, et si cette enquête passionnante ne m’a pas posé de problème de compréhension (elle forme un tout, est indépendante bien que des conséquences et des personnages de la première enquête refassent surface) elle m’a néanmoins donné envie de lire le premier opus pour mieux comprendre les relations entre les personnages bien sûr, mais surtout parce que Gordon Ferris réussit à nous plonger dans une ambiance qui sonne juste dans cette période historique tourmentée dont on parle assez peu pourtant, et que Douglas Brodie est un personnage auquel on s’attache vite, dangereusement cabossé mais pas encore totalement brisé avec encore assez de rage pour se révolter contre les injustices.

Dans l’Ecosse d’après-guerre, les chantiers de reconstruction représentent des marchés énormes qui aiguisent les appétits des nantis qui ont déjà profité de l’économie de guerre. Pendant ce temps, la population tente de se remettre au mieux de cette tragédie et de reprendre une vie normale malgré la pauvreté, les tickets de rationnement et les traumatismes de la guerre. La plupart des ex-soldats, démobilisés tentent d’oublier les horreurs vécues dans l’alcool. Certains ont récolté la gloire en combattant, d’autres, faits prisonniers rapidement, n’ont même pas cette consolation et malgré qu’ils aient vécu eux aussi un calvaire, ils n’en retirent que mépris et honte. Beaucoup se retrouvent dans la misère ayant perdu les repères de leur vie d’avant.

Douglas Brodie, a surmonté la phase la plus alcoolisée de sa démobilisation, il fait encore des cauchemars mais a trouvé un poste de journaliste stagiaire et vivote tant bien que mal. Il est sensible au sort de tous ces ex-soldats abandonnés à leur sort après avoir risqué leur vie et entraîne son amie avocate, Samantha Campbell, à défendre l’un d’eux accusé de vol. Ce faisant il va devenir l’interlocuteur privilégié des justiciers sauvages qui sévissent dans la ville et sur lesquels il est chargé d’enquêter. Dans le même temps son mentor au journal, Wullie McAllister, déniche ce qui sera son dernier scoop avant la retraite : une affaire de corruption où pègre et puissants sont mêlés.

Gordon Ferris mêle ces deux enquêtes d’une main de maître sans jamais nous perdre, sur un rythme trépidant, sans temps mort, enchaînant les scènes d’action en ville ou dans les paysages magnifiques d’Ecosse. Et il réussit à intégrer à ce polar, classique dans sa construction, la description de la ville où cette justice sauvage ne choque pas tant que ça finalement, révélant les pires côtés de cette société, les raccourcis faciles, les intolérances qui peuvent la gangréner.

Les personnages avec leurs doutes et leurs failles sont loin d’être monolithiques et c’est ce qui les rend attachants et crédibles. Brodie est déglingué par les horreurs de la guerre, mais retrouve le réflexe de tuer pour lequel il a été formaté pendant six ans rapidement, il comprend les motivations désespérées des marshals de Glasgow mais sait aussi à quel chaos ça peut mener…

Un très bon polar, passionnant et intelligent.

Raccoon

BERLIN 49 de Joseph Kanon/Policiers Seuil.

« Berlin-Est en 1949, territoire sous occupation soviétique. Alex Meier, jeune écrivain juif qui avait quitté avant guerre la ville pour les Etats-Unis, est de retour, contraint par la menace de la chasse aux sorcières maccarthyste. Encore bercé par l’idéal communiste de sa jeunesse, il arrive dans sa ville natale peu après un réfugié célèbre, Bertolt Brecht, et découvre la vie quotidienne (ruines, couvre-feu, rationnement, propagande, délation…) en même temps qu’il retrouve son amour de jeunesse, une aristocrate allemande devenue la maîtresse d’un dignitaire soviétique. Les circonstances particulières de leurs vies respectives – lui a laissé En Amérique un fils, qu’il veut être sûr de revoir, elle a un jeune frère poursuivi par la police – contraignent Alex à devenir espion pour la CIA. Mais pour quel camp opère-t-il, au bout du compte ? La reconstitution du Berlin d’après guerre est époustouflante (en particulier la première de Mère Courage en présence de Brecht), la réflexion sur les dangers de l’idéalisme aveugle menée avec finesse, et le dénouement digne de Casablanca.  »

Après un intermède stambouliote avec « Le passager d’ Istambul « Joseph Kanon retrouve le terrain de jeu qui l’a révélé avec l’adaptation au cinéma de « L ‘ami allemand »par Steven Soderbergh (avec George Clooney,Cate Blanchett et Tobey Maguire).
Retour au Berlin de l’immédiat après-guerre au propre comme au figuré puisque le cœur de l’histoire c’est le retour d’Alex Meier un jeune et brillant écrivain. Après avoir fui les nazis juste avant la guerre pour les USA, il se voit contraint de faire le chemin inverse autant a priori par convictions idéologiques que pour échapper aux chasses aux sorcières du sénateur McCarthy.
En janvier 49 l’avenir du monde se joue à Berlin et semble proche de basculer dans un nouveau conflit.Les Russes sont les nouveaux maîtres,le blocus de la ville bat son plein et le pont aérien pour le ravitaillement de la partie ouest de la ville tourne à plein régime quand les artistes et/ou intellectuels allemands communistes ou socialistes font le retour.
Dans son style racé Joseph Kanon joue avec les ambiguïtés de la période: récupération des nazis, exploitation des prisonniers de guerre allemands, agents doubles, manipulations, trahisons…… et histoire d’amour: Alex retrouve Irene, ils vont tenter de survivre et revivre au milieu du chaos.

Comme souvent avec Kanon il faut un temps de mise en route, qui pourrait rédhibitoire pour certains, pour que son style emprunt de classicisme trouve son rythme de croisière et une fois qu’il est atteint l’histoire prend toute sa force. Un très beau roman d’espionnage dans lequel tout le monde est prêt à payer le prix du billet de retour.

Fab.

LE PACTE DU PETIT JUGE de Mimmo Gangemi / Seuil policiers

Traduction : Christophe Mileschi.

Mimmo Gangemi a écrit 9 romans policiers qui ont eu du succès en Italie. Le premier opus des aventures du petit juge a été adapté en mini-série télé. Ce roman est le deuxième dans la série du petit juge Alberto Lenzi,  seuls romans de Gangemi publiés en France.

« Alberto Lenzi, magistrat dans une petite ville de la plaine de Gioia Tauro, aime les restaurants, les jolies femmes et ses parties de poker du vendredi soir. Mais la belle vie ne saurait durer : des travailleurs journaliers noirs se révoltent contre les conditions misérables dans lesquelles ils ramassent les oranges. Trois d’entre eux, ayant échappé à la police, sont sauvagement assassinés en rase campagne. Puis une cargaison de deux cents kilos de cocaïne arrivée au port dans un conteneur de planches d’acajou disparaît de manière inexplicable. Pas le moindre indice en vue. Le « petit juge » Lenzi, chargé de régler tout ça, sollicite sa source privilégiée, don Mico. Mais il soupçonne vite le chef de la famille Rota d’orienter l’enquête où bon lui semble… »

Mimmo Gangemi est né et a toujours vécu en Calabre, région où il situe son roman et ce n’est pas le moindre des charmes de ce roman, on est dans l’ambiance de cette petite ville de Calabre où les racontars circulent très vite, où les réputations sont fragiles mais où prononcer certains noms peut s’avérer mortel. On ressent l’attachement à cette terre qui doit être magnifique où il doit faire bon vivre si on ne tient pas compte de la puissance de l’emprise de la ndrangheta. La terreur qu’elle fait régner est intégrée à la vie, ancrée dans le comportement de chacun : il est des choses qui ne se font pas, ne se disent pas et peuvent à peine se penser. C’est une deuxième loi qui s’impose à tous et bien plus brutalement que celle de l’Etat. Mimmo Gangemi nous emmène parfois au cours de son récit au « cercle », une espèce de club où les sociétaires, notables, sont de véritables langues de vipères et c’est assez drôle d’assister à leurs rétropédalages quand ils sont allés trop loin.

Mimmo Gangemi  nous les montre ces familles ndranghetistes qui s’approprient sans état d’âme tout ce qui rapporte, dépouillent sans le moindre scrupule les gens du pays et bien sûr exploitent sans vergogne, entre autres les travailleurs africains sans papier. Il n’idéalise pas du tout leur pseudo code d’honneur, ce sont d’anciens paysans bien rustres, bien cupides qui n’hésitent pas à tuer, torturer et trahir pour accaparer les richesses de ce territoire ici principalement  le port où transitent les marchandises de bien des trafics. La seule chose sur laquelle les gens peuvent compter c’est qu’il y a plusieurs familles sur les rangs et qu’elles sont susceptibles de s’entretuer, tant qu’elles ne font pas de victimes innocentes, le petit juge s’en fout.

Le fond est noir mais le ton plutôt léger, le juge Alberto Lenzi ne se fait guère d’illusion sur lui-même et il n’a rien d’un héros. Il exerce son métier sans faire trop de zèle, évitant les zones dangereuses ou s’en accommodant et mène une vie agréable de petit macho italien. Il a quelques problèmes à supporter sa hiérarchie. Mais quand son orgueil est mis à mal, quand il devient la risée du tribunal parce qu’on a barboté une grosse quantité de drogue sous sa responsabilité, il voit rouge et est presque prêt à en oublier la prudence.

Presque… car en fait c’est vraiment dangereux !

On pense bien sûr à Montalbano même si le style est moins truculent que celui de Camilleri, mais c’est tout de même un bon polar avec une atmosphère bien à lui qui le rend agréable à lire.

Raccoon

MEURTRES RITUELS A IMBABA de Parker Bilal au Seuil/policiers

Traduction : Gérard de Chergé

Parker Bilal est le pseudonyme sous lequel Jamal Majhoub, écrivain anglo-soudanais dont certains romans sont publiés chez Actes Sud, écrit ses romans policiers. C’est ici le deuxième opus des aventures de Makana. On peut le lire indépendamment, l’auteur n’est pas un débutant et il réussit à rappeler les éléments indispensables pour comprendre la cause de la présence de Makana au Caire par petites touches. Ceux qui, comme moi, ont lu le premier seront ravis de retrouver ce détective attachant qui a déjà vécu la montée de l’intégrisme au Soudan, qui le voit émerger et monter en puissance dans son pays d’accueil et qui a du mal à garder sa langue dans sa poche.

« Le Caire, 2001. Makana, ex-officier de police soudanais exilé politique en Égypte, est chargé d’identifier l’auteur d’une lettre de menaces reçue par le patron de l’agence de voyages l’Ibis bleu. Peu après, Meera, employée copte de l’agence et femme d’un universitaire musulman révoqué pour opinions subversives, est assassinée dans une galerie marchande. Makana voit là un lien avec les meurtres sanglants de jeunes garçons à Imbaba, quartier déshérité comptant plusieurs églises. Et si les autorités avaient décidé d’en rendre les coptes responsables ? Ce qui semble à première vue n’être qu’un complot politico-religieux se révèle peu à peu, au fil d’une enquête semée d’embûches qui mène Makana jusqu’à Louxor et à un monastère désaffecté dans le désert, une magouille impliquant une banque cairote coupable de transactions douteuses.

Pouvoir, argent et corruption : une équation vieille comme le monde… »

On retrouve donc Makana, toujours désespéré par la perte de sa femme et de sa fille, vivotant sur la vieille péniche délabrée au bord du Nil. Au nom de la solidarité entre exilés et parce qu’il faut bien payer le loyer, il accepte cette affaire de lettre de menaces.

On retrouve également ses amis : Sami le journaliste intègre et donc souvent menacé et sa femme Rania, Aswani le restaurateur qui accepte de faire crédit, Yunis un faussaire presque aveugle qui connaît les dessous troubles de la ville, sa logeuse Oum Ali… qui forment la petite bande typique des acolytes du détective mais qui sont tellement bien croqués, intégrés au récit et à la réalité de la ville qu’ils dépassent largement les clichés. Pas de doute, Parker Bilal sait écrire !

Et on retrouve Le Caire bien sûr, le terrain d’investigation de Makana. Parker Bilal décrit magnifiquement cette ville. La description n’est pas idyllique, l’auteur nous montre une ville sous tension, surpeuplée où l’urbanisme sauvage et la corruption ont créé des quartiers entiers livrés à la misère et à la violence. Des enfants vivent dans la rue, y meurent aussi sans que cela dérange grand-monde.

Tous les ingrédients sont là pour une explosion de violence, il suffit de désigner un bouc émissaire à la vindicte populaire et… les Coptes sont là. L’enquête de Makana va dériver après l’assassinat de Meera, vers les meurtres d’enfants des rues d’Imbaba et vers les intégristes qui ne sont jamais loin, envahissant peu à peu toutes les sphères de la société égyptienne.

On assiste à cette montée, on en comprend les mécanismes avec la connivence entre les services secrets, les intégristes, la pègre… tout ce beau monde trafique et se fait de l’argent ensemble. Le talent de Parker Bilal est d’intégrer tout ça à une enquête complexe, passionnante et mouvementée.

Et violente, forcément ! Tous ces gens ne sont pas des enfants de chœur et les réponses à qui s’occupe un peu trop de ce qui ne le regarde pas sont violentes et disproportionnées. Ça ne rigole pas avec les opposants dans cette ville où on peut disparaître sans laisser de trace du jour au lendemain !

Parker Bilal nous fait ressentir cette atmosphère oppressante de peur, de violence, de danger. Il y a  quelques lueurs d’espoir avec des personnages qui se révoltent un peu. Mais le livre se termine le 11 septembre 2001… Ce n’est que le début, il va s’en passer encore des choses…

Un excellent polar noir, très noir et très intelligent !

Raccoon.

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