Chroniques noires et partisanes

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OÙ REPOSENT NOS OMBRES de Sébastien Vidal / Le mot et le reste

 Sébastien Vidal remonte le temps jusqu’en juillet 1987. Une fille et trois gars d’une quinzaine d’années sont en vacances dans leur village corrézien, passent leur temps devant la télé, à la piscine et surtout dans les bois. C’est en se perdant qu’ils trouvent leur paradis au creux de la forêt, le Puy perdu, proche de la cabane du marginal local, l’Indien, René, sorti d’un roman de Mark Twain ou de Daniel Defoe. Tout semble bien se passer, l’écriture s’étale avec lenteur sur une cinquantaine de pages, pourtant l’auteur sème des inquiétudes, de petits signaux.

D’un coup, on change de rythme, de région ; Jacques et Antonio, deux braqueurs, un meurtrier.
Il n’y croit pas, ça y est, ils ont basculé de l’autre côté. Ils ont tranché net dans le quotidien et la routine. Désormais ce sera ça leur vie, pas d’horaires, pas de boulot merdique payé trois fois rien, pas de contremaître sur le dos, plus de fins de mois difficiles, plus de chômage, ils viennent de se mettre à leur compte.

Ils se trouvent dans la banlieue sud de Paris, à Palaiseau. Ils s’éloignent de l’épicentre, ils veulent se terrer, laisser passer l’orage. Plus les kilomètres défilent, plus les deux hommes redescendent sur terre. Un braquage c’est déjà quelque chose, mais tuer un homme ça n’a rien à voir.

Voici donc deux petites frappes qui viennent de rater leur premier gros coup. Ces deux trafiquants de cigarettes et d’autoradios jouent trop vite trop fort dans la cour des grands et se perdent sur les routes de l’Essonne, en enfilant les conneries comme des perles. Deux tocards coincés dans une cavale qui se poursuit à huis-clos dans des Renault volées.
D’une ambiance cousine des romans et récits de Pierre Bergounioux, on arrive chez le patron, Jean-Patrick Manchette, cité à plusieurs reprises dans le livre mais évident dès l’apparition de Jacques et Antonio.

À partir de là, l’auteur déroule de courts chapitres, tantôt au cœur de la Corrèze de René et des adolescents avec leurs interrogations et leurs douleurs, tantôt pendant la dérive meurtrière des truands abonnés aux vieilles Série Noire de Burnett à Bialot, transformés en ennemis publics N°1.
Chapitres dans lesquels le paysage et la nature sont omniprésents, partout des arbres, des feuilles, de l’eau, des ciels, des ronciers, de l’eau encore ; dans ces passages, Sébastien Vidal peint plus qu’il n’écrit, il donne à voir plus qu’à lire. Il joue également avec la nostalgie mais sans en abuser, son écriture se détache assez rapidement des clichés estampillés années 80 tout en accrochant à son récit de nombreuses références, avec un goût affirmé pour la variété française.

Jacques a ressassé tout un tas de pensées mortifères. Il a sondé en lui et n’a rien trouvé qui soit capable de l’apaiser. Il est là, au bout de la nuit, avec une énorme boule au ventre, un volcan d’acide qui le dévore avec une extrême lenteur. À l’extérieur, il sait qu’il y a le ciel, mais lui se sent étouffé par une voûte lourde et basse qui le comprime, pris au piège de son corps et de la société, il a des envies de meurtres et de violence. Il a envie que quelqu’un débarque à la cabane et les découvre, ça lui donnerait une excuse pour tuer. Et puis à quoi bon des excuses, pas besoin d’excuses. Jacques se lève, mâchoires serrées, le visage est placide, mais son regard halluciné fait peur. Il plaque sa main sur son ventre pour vérifier la présence du pistolet et sort. La lumière qui descend sur lui est douce et colorée. Une lumière d’été chaude qui donne envie de s’y tremper. Les arbres qui cerclent la clairière se dressent et pointent les nuées de leurs corps droits et décidés. Ils bordent le ciel de leurs houppes et le bleu intense de la voûte apparaît comme un lac à l’envers, sans aucun reflet, sans ride, infiniment profond.

Si l’on comprend rapidement qu’à l’issue de  Où reposent nos ombres ces deux histoires vont tragiquement se mêler et laisseront d’amers souvenirs, il faut reconnaître que l’auteur possède un bon tour de main pour nous mener patiemment au bout de ses presque quatre cents pages, sans jamais tomber dans le sensationnalisme. Notamment en donnant naissance à des personnages réalistes et subtils, avec une mention spéciale pour René et Jacques ; ces deux-là sont bien singuliers, des caractères forgés dans la souffrance, reçue comme donnée, tous deux rejetés par la vie, avec en commun un sens très développé de l’injustice. 

NicoTag

ÇA RESTERA COMME UNE LUMIÈRE de Sébastien Vidal / Le mot et le reste.

 « Ça restera comme une lumière » de Sébastien VIDAL m’a happé dès les premières pages et ne m’a plus lâché jusqu’à la dernière. L’auteur a ce style d’écriture qui va droit au but, puissante et captivante. Sébastien VIDAL sait retranscrire à merveille, les émotions, les sentiments de ces personnages, le tout dans un environnement rural, dépeint au point d’avoir l’impression d’y être allé soi-même.

Le personnage principal est Josselin, ancien militaire en opération au Mali revenu blessé physiquement et psychologiquement. Il y a perdu son œil, son compagnon d’arme Erwan et le bien-fondé de son engagement pour sa patrie. En phase de reconstruction, il revient à Missoulat petite ville de province où il a passé 2 mois de vacances inoubliables plus jeune.

Il fait la rencontre de Henri, ferronnier et artiste du métal, personnage fort qui a perdu sa femme dans un tragique accident et coupé tous liens malgré lui avec sa fille Emma.

Les deux hommes vont partager leurs vies pudiquement et s’épauler mutuellement. L’ancien transmettant au plus jeune son savoir-faire et recevant en retour une aide précieuse.

En effet, Missoulat est une petite ville désertée, souffrant économiquement, vivant sous le joug de Charles Thévenet, patron de la seule entreprise du secteur. Thévenet ne vit que pour écraser son prochain dans le seul but d’asseoir un peu plus son empire, contrôlant la politique locale, la gendarmerie et ses citoyens. Il use à volonté d’hommes de main pour arriver à ses fins et il a une sérieuse dent contre Henri dont il veut récupérer les terres et se venger, le pensant coupable de la mort de son fils.

Josselin navigue donc en eaux troubles dans ce climat pesant et va retrouver ses amis d’enfance Martin et Emma. Martin vit en marge de la ville dans une caravane pourrie et passe le plus clair de son temps dans les vapeurs d’alcool, Emma tient un salon esthétique, enceinte et toujours aussi belle aux yeux de Josselin. 

L’histoire s’envenime crescendo, l’intensité monte doucement mais sûrement, les personnages principaux sont au cœur d’une sombre tourmente qui ravage les cœurs et les esprits. L’apothéose est une explosion de sentiments pour le lecteur mêlant la joie, l’amertume, la tristesse et l’espoir.

Ce roman met en lumière la complexité de la nature humaine face à la mort et sa résilience, la faculté de l’Homme à surmonter les échecs et les épreuves de la vie, la force de l’amour d’un père pour sa fille, l’abnégation d’un homme pour l’amour de sa vie.

Ça restera pour moi l’une des plus grosses claques littéraires.

Nikoma

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