Traduction: Isabelle Maillet.

“Surnommée « Mignonne », ce qui ne lui va pas comme un gant, Sarah Jane Pullman a déjà trop vécu pour son jeune âge : famille dysfonctionnelle, fugue à l’adolescence, crimes, petits boulots dans des fast-food… on se demande comment elle parvient à redresser la barre. Elle y arrive et, à sa grande surprise, est engagée comme agent au poste de police de la petite ville de Farr. Lorsque le shérif titulaire disparaît, c’est elle qui prend sa place. Mais Sarah Jane ne se satisfait pas de la situation. Cet homme, Cal, était son mentor, son appui, et elle ne peut accepter qu’il se soit évanoui dans la nature. Elle va découvrir des choses qu’elle ne soupçonnait pas…”

James Sallis est un très grand auteur dont les romans ne se laissent pas facilement apprivoiser malgré ou peut-être à cause des ancrages dans le texte : leur forme, leur fond, leur moment d’apparition, leur subjectivité, des paroles, des répliques, des indices et des pensées qui ne sont plus vraiment celles des personnages mais de Sallis lui-même phagocytant sa propre intrigue partiellement policière pour interroger le lecteur, l’amener à réfléchir à une vérité que, pas plus que les personnages, il n’atteindra finalement jamais. Alors, une fois de plus, et autant vous prévenir, certains ne passeront pas la page cinquante tandis que d’autres se délecteront avec dévotion du discours, de la méthode, des indices, de l’histoire et de son dénouement. 

Si Sarah Jane peut paraître en ligne directe du précédent Willnot, il se distingue néanmoins par la présence, pour la première fois de sa carrière, d’une héroïne féminine. Ce nouveau challenge novateur souffre néanmoins de certains manques pour nous permettre de croire au vécu et à l’histoire d’une femme tels que l’on peut se plaire à les imaginer. Par contre, exploitant le même thème des disparitions pour le pousser vers une universalité, Sallis montre l’incompréhension, le chagrin ou la colère causée par l’absence soudaine et sans explication, par la maladie, le suicide, la mort subite, la fuite ou le crime non résolu. Incluant ses propres interrogations existentielles, sublimées par son écriture magique paraissant foutraque alors qu’elle est le résultat de choix littéraires totalement assumés, elle place le lecteur dans le même état d’incertitude que les personnages.

Toute l’œuvre de James Sallis explore le grand thème de la solitude des êtres, leur cruelle confrontation solitaire à des situations qui les dépassent. Si le propos est lourdement triste,  méchamment mélancolique, on voit néanmoins le malin plaisir que prend Sallis à nous égarer, à nous aveugler, à nous renseigner, à nous interroger, à nous faire hésiter. L’intrigue policière, résoudre l’énigme de la disparition de Cal, une fois de plus et même si elle est l’objectif final, n’a pas grand intérêt. Une petite nouvelle sympathique aurait suffi si elle n’était pas animée par la maestria d’un auteur au zénith, roi de l’ellipse, du non-dit.

“La part de non-dit laissant, comme toujours, une traînée de feu dans son sillage.”

 Sarah Jane se découpe en deux parties. L’une raconte l’enfance et la jeunesse de l’héroïne tandis que la seconde montre la banalité, l’ordinaire de la vie d’un flic de campagne. Si la première partie me semble la plus aboutie et la plus propice à d’énormes maux de tête suite aux suggestions de réflexion proposées par Sallis ou par le voile laissé sur certains pans du tableau, la seconde a le mérite de rattacher le roman, et même si c’est de très loin, au monde du polar mais à peu près à l’identique de Willnot dont il est très proche tout en allant encore plus loin dans la réflexion.

“Chaque roman, chaque poème, est la même histoire unique qu’on raconte encore et encore. Comment on essaie tous de devenir véritablement humains, sans jamais y parvenir.”

Et s’il fallait résumer Sarah Jane et l’ensemble de l’œuvre de James Sallis, nul doute que ses propres propos seraient : « Dans la vie, tout se résume à errer pour trouver une direction, a-t-il dit. Tout ce qu’on fait. Plus on erre, plus la direction se précise.”

Bluffant, brillant.

Clete.