Sabbia nera
Traduction : Laura Brignon
L’Etna crache ses glaires sombres et acides sur Sciara, comme jadis le Vésuve sur Pompéi. Alors forcément, les corps qui déambulent dans les rues y prennent les mêmes postures silencieuses et stupéfaites, statufiées et asphyxiées par la colère et le sable noir des cieux. Néanmoins, ce n’est pas pour une concrétion anthracite et carbonisée qu’est appelée en urgence la commissaire Vanina Guarrasi mais pour le cadavre momifié d’une femme chiquement vêtue mais sans identité. Le job n’attend pas. Et c’est à regret qu’elle abandonne dans la seconde ses scacce encore tièdes, ces petits casse-croûte emblématiques de la cuisine sicilienne, genre de mini calzones farcies selon les recettes établies ou selon ce qu’il tombe sous la main de la Mamma. Ah les scacce ! Au singulier scaccia : mais impossible de n’en manger qu’une. Comme il est d’ailleurs impossible de ne pas croiser dans un polar italien quelques références à la gastronomie locale. Meurtre aux petits oignons donc : et tant pis si l’assiette refroidit, mais l’affaire doit se régler à chaud.
Les premiers constats sont moins gustatifs. Certains protagonistes présents y rendent leur quatre-heures. Mais Vanina et son passé plombé (fille d’un flic exécuté hier par la pègre insulaire) ont le cœur définitivement plus aguerri. Elle se dresse d’emblée face à l’aristocratie forcément muette du cru pour mener à bien sa mission. Elle scanne les lieux et une pléthore de personnages, chacun la guidant sur autant de pistes fausses ou crédibles, d’impasses ou de carrefours à décrypter. Avec l’aide de ses adjoints, de profils et d’obédiences différentes, elle démêlera l’écheveau, mettant à contribution les derniers neurones valides de quelques contemporains de l’embaumée. Elle rouvrira ainsi quelques portes closes et d’anciennes maisons du même nom. Elle remuera ciel noir et terre aride jusqu’à dénouer six décennies de liens mafieux, jusqu’à nous conduire en soft mood à l’épilogue et aux coupables, certes avec la douce tranquillité d’une Fiat 500 plutôt qu’avec la vélocité rugueuse d’une Lancia Flaminia version coupé Zagato. Mais les pièces d’un puzzle à la fois familial et crapuleux, notarial et sentimental, défilent avec toute l’aisance nécessaire à l’échafaudage d’un honnête divertissement.
Lorsque Cristina Cassar Scalia, ophtalmologue de profession, délaisse le scalpel pour le stylo, c’est avec la même précision qu’elle incise les enquêtes de Giovanna « Vanina » Guarrasi pour les retranscrire « à l’italienne », sans chichis et al dente, au seul rythme d’une écriture à la fois simple et fluide, un brin mainstream, empesée à l’occasion de ces clichés dont s’encombrent les thrillers trop bavards, mais suffisamment bien menée pour ne pas s’ériger en rédhibitoire repoussoir. À noter également qu’une série télévisée, tirée des romans de l’autrice et produite par les instigateurs de celle consacrée au commissaire Montalbano d’Andrea Camilleri, est d’ores et déjà diffusée sur les canaux transalpins.
JLM
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