Chroniques noires et partisanes

Étiquette : ryan gattis

LE SYSTÈME de Ryan Gattis / Fayard.

The System

Traduction: Nadège T. Dulot

Chandler, Connely, Ellroy… nombreux sont les écrivains ricains de polars à avoir consacré leur œuvre à Los Angeles. À ce début de liste, il faudra ajouter, et tout en haut, le nom de Ryan Gattis. Originaire du Colorado, l’auteur termine ici une trilogie sur la cité des Anges hautement recommandable. Se démarquant de ses collègues par le terrain choisi, en l’occurrence la banlieue délabrée de Lynwood, théâtre des guerres entre gangs latinos et afro-américains et de la misère sociale, et par la manière quasiment documentaire et journalistique d’écrire, Ryan Gattis crée une œuvre originale, montée à chaque fois de manière virtuose, puissamment noire mais aussi intelligemment politique. 

Dans “Six jours”, il racontait les émeutes de 92 mais vues de la rue, du palier… 6 jours racontés par 17 voix, victimes et salauds, toxicos et alcoolos, flics, pompiers et infirmières, communautés persécutées et gangs barbares, six jours où la ville et l’État se sont barrés laissant le chaos et la barbarie au pouvoir.

“En lieu sûr”, en apparence, un roman plus classique bien que poignant de tentative de rédemption, s’avérait être, en plus d’un thriller éblouissant, un magnifique témoignage des conséquences de la crise économique de 2008 créée par les salopards de financiers friqués sur les pauvres, les oubliés, les mal-nés, les sales gueules, les toxicos. Gattis y montrait une tendresse et une empathie pour ces damnés, que le premier roman laissait juste entrevoir.

Situé fin 1993, “Le système”, se situe chronologiquement juste après “ Six jours” et aurait dû lui succéder, mais l’histoire d’un ouvreur de coffres-forts que l’on trouve dans “En lieu sûr”, lui avait été soufflée par une expérience auprès d’une équipe du FBI et lui avait alors semblé prioritaire.

“6 décembre 1993. Quartiers sud de Los Angeles.

Scrappy, dealeuse notoire, est abattue et laissée pour morte devant la maison de sa mère, sous les yeux d’un toxico, seul témoin du crime.

Le lendemain, Wizard et Dreamer, tous deux membres d’un gang, sont arrêtés et jetés en prison en attendant leur procès.

Le problème ? L’un est coupable ; l’autre, innocent. Selon la loi du gang, ils doivent se taire et accepter leur sort. Mais, selon la justice, il faut que l’un parle pour dénoncer l’autre. Sinon, l’arme du crime, retrouvée chez eux, les fera tomber ensemble.”

Et c’est toute la procédure, à une époque où les lois contre la criminalité ont été renforcées suite aux émeutes de 92, que nous raconte Ryan Gattis dans un bon gros roman flirtant avec les 500 pages bien denses mais toujours très claires, pertinentes. Choralement, comme dans “Six jours”, sont racontées l’enquête, l’arrestation, la détention et le procès de Wizard et Dreamer. On a vraiment l’impression d’y être mais vu le travail de documentation et de connaissances fourni par Gattis, ce n’est pas vraiment une surprise : visite de sept centres de détention californiens, des centaines d’heures d’entretien avec des détenus et ex-détenus, un an aux côtés d’un flic, présence lors du procès d’un gang… Au final, on colle, on comprend le propos mais aussi le discours sous-terrain et on dévore le bouquin. On peut comparer le travail et surtout son génial résultat aux œuvres de David Simon que ce soit “The Wire”, « Treme »,  » The Corner » ou l’excellent “Baltimore” pour l’écriture duquel il avait suivi une patrouille de flics à Baltimore pendant une année. Et puis c’est tout simplement humain comme du Richard Price.

L’écriture est puissante, méchamment addictive, mais ne sacrifiant que très peu au folklore ou au jargon des gangs. Le rythme est millimétré, infernal. Flics, agents de probation, accusés, amis, familles, avocats, procureurs et, bien sûr, Wizard et Dreamer ont tour à tour la parole. Les histoires de Ryan Gattis peignent la violence, mais font aussi la part belle à de petites histoires. C’est alors que fleurissent, au milieu de la gange, la tendresse quand Dreamer oublie son calvaire en lisant et relisant “L’île au trésor”, l’amour, l’empathie, la fraternité chez des gens qui n’ont plus grand chose d’autre à offrir.

Une fois encore, il y a tout un volet social et politique de tout premier ordre. Ryan Garris charge à visage découvert le système judiciaire américain et, sans faire des petits soldats des gangs de pauvres victimes, il met néanmoins l’index sur la valeur d’une vie selon la couleur de peau, selon l’origine, selon les ambitions personnelles ou les tares des garants du système. À une criminalité en baggy et bandana, il oppose bien une autre criminalité en col blanc et talons aiguilles autrement plus dangereuse parce qu’ayant le pouvoir.

Une intrigue originale, une construction experte, une documentation impressionnante, des personnages inoubliables, des scènes ahurissantes, un drame cruel bien sûr mais aussi un peu d’espoir…

Ryan Gattis, sans aucun doute, le meilleur du polar américain actuellement.

Clete.

EN LIEU SUR de Ryan Gattis / Fayard.

Traduction: Nadège T. Dulot

En 2015, dans “6 jours” Ryan Gattis racontait à partir de ses souvenirs les émeutes qui avaient enflammé les quartiers sud de Los Angeles du 29 avril au 4 mai 1992. Ces émeutes étaient néanmoins à la périphérie d’une histoire qui donnait la voix à 17 personnages qui subissaient ou profitaient de l’insurrection, de cet état de non droit d’une semaine, de cette guerre urbaine. Le roman, primé par la magazine Lire cette année-là, offrait une très belle part à une dimension sociale et humaine. Assurément un livre choc d’un auteur qui déclarait à l’époque “J’écrirai probablement toujours sur la violence”.

Dans “En lieu sûr”, se déroulant en 2008, il retourne dans ce même quartier de South Central de L.A. pour une histoire autour du business de la drogue, dans l’univers des gangs latinos, n’utilisant cette fois-ci que deux voix mais deux énormes personnalités au moment où l’Amérique coule avec cette crise bancaire des placement pourris. Les banques s’en remettront, pas de souci, mais beaucoup de simples citoyens ricains y laisseront des plumes, se retrouveront d’un jour à l’autre à la rue mais le pays se relèvera “God bless America”…

Gattis s’intéresse donc une fois de plus à une période très violente initiée par l’Etat et par ses manquements. Les conséquences sont très visibles tout au long d’un solide roman au message social et humain une fois de plus de haut niveau. Gattis n’écrit pas des thrillers à deux balles mais des bombes politiques qui font mal dans un style vif, superbement documenté et très addictif.

“Ex-addict et délinquant, Ricky « Ghost » Mendoza est déterminé à rester clean jusqu’à la fin de ses jours. Rentré dans le rang, il force désormais des coffres-forts pour le compte de toute agence gouvernementale prête à payer ses services, des Stups aux Fédéraux. Mais quand il découvre que la personne qui compte le plus pour lui croule sous les dettes, il décide de faire une embardée risquée : forcer un coffre et en prélever l’argent sous le nez du FBI et des gangsters à qui il appartient, sans se faire prendre – ni tuer.”

Il est de loin préférable de ne pas trop donner les raisons qui poussent Ghost à jouer les robins des bois. Personnage de polar particulièrement bon que ce “Ghost”, homme aux multiples blessures, écorché vif, d’une tristesse incommensurable, vivant au rythme d’une K7 de musique punk que lui a concoctée Rose, l’amour de sa vie avant de mourir. En quête d’une rédemption si typiquement coutumière de la littérature ricaine mais qui atteint ici des dimensions de tragédie grecque, Ghost émeut tout comme Glasses, l’autre personnage, l’autre troublante voix d’un roman qui laisse des traces.

“Pour les gens qui seront dans la rue à Noël, ceux qui méritent pas ça.

Pour eux.

Pour leur maison.

Pour leur famille.

Et pour la maison que je n’ai jamais eue quand j’étais petit.

Et pour le HLM dont on m’a viré.

Pour le foyer où on m’a envoyé et d’où je fuguais tout le temps.

Pour tout ce que j’ai traversé.

Pour tous les sales coups que j’ai faits.

Pour Harlem Harold.

Pour tous ceux que j’ai fait souffrir.

Surtout ceux à qui je pourrai jamais demander pardon.

Plus.”

L’impact dramatique, la puissance du propos, les multiples fulgurances d’une histoire urgente vous défoncent plus d’une fois et font de “En lieu sûr” un roman solide, violent, vif, puissamment humain et intelligent, très intelligent.

“J’ai peur, c’est vrai. J’ai peur, genre je suis remonté, électrifié de partout, mais ce qui m’a le plus souvent fait peur dans la vie, c’est l’inconnu. Or là, je sais ce que j’ai en face de moi et je me fous de ce qu’ils vont me faire. Mon corps, ils peuvent le tuer. Le pouvoir sur mon esprit et sur mon mental, ils l’auront que si je leur laisse. Et je le leur laisserai pas. Pas même des miettes.”

Nyctalopes a créé sur Spotify la playlist de Rose « Fuck dying », rythmant le roman et souvent commentée par l’auteur;.

Wollanup.


SIX JOURS de Ryan Gattis / Fayard.

Traduit par Nicolas Richard

 

Plongée en apnée dans le quartier de Lynwood aux confluences des émeutes de Los Angeles de 1992  suite au tabassage en règle de Rodney King.

Ryan Gattis est un romancier américain qui vit à Los Angeles. Cofondateur de la société d’édition Black Hill Press, il est également intervenant à la Chapman University de Californie du Sud et membre du collectif d’arts urbains UGLAR.

 « 29 avril – 4 mai 1992.

Pendant six jours, l’acquittement des policiers coupables d’avoir passé à tabac Rodney King met Los Angeles à feu et à sang.

Pendant six jours, dix-sept personnes sont prises dans le chaos.

Pendant six jours, Los Angeles a montré au monde ce qui se passe quand les lois n’ont plus cours.

Le premier jour des émeutes, en plein territoire revendiqué par un gang, le massacre d’un innocent, Ernesto Vera, déclenche une succession d’événements qui vont traverser la ville.

Dans les rues de Lynwood, un quartier éloigné du foyer central des émeutes, qui attirent toutes les forces de police et les caméras de télévision, les tensions s’exacerbent.

Les membres de gangs chicanos profitent de la désertion des représentants de l’ordre pour piller, vandaliser et régler leurs comptes.

Au cœur de ce théâtre de guerre urbaine se croisent sapeurs pompiers, infirmières, ambulanciers et graffeurs, autant de personnages dont la vie est bouleversée par ces journées de confusion et de chaos. »

 Réponse comme un écho des émeutes de Watts du 11 au 17 Aout 1965, la ville des anges s’embrase durant six jours d’un déferlement de violences, d’une implosion de haine. On suit les pérégrinations dans ce cataclysme de différents protagonistes issus de ce quartier où la règle, la loi restent dictées par les gangs.

Projeté de manière abrupte dans ce chaos le lecteur est happé, calotté, déstabilisé dans ce monde désincarné. L’auteur allie qualité d’écriture et analyse sociologique dans ce véritable roman noir avec une puissance inouïe. On perçoit, au fil des pages, des bribes d’explications, d’analyse, de cet embrasement incontrôlé et les acteurs face à ce déchaînement de violences restent aux yeux de l’écrivain et à mes yeux des êtres humains dans leur côté sombre en conservant concrètement les faiblesses, les failles, les fêlures de tout à chacun.

Ryan Gattis a magistralement accouché d’une œuvre écrite parfaitement scénarisée et l’on est ébloui par sa capacité à traduire, de cet environnement, les aspects d’une société en déperdition où les mots construction, émancipation, culture et cadre politique ne conservent plus de sens.

Coup de poing au plexus solaire où, étouffé par le récit, sa lecture est une vraie bénédiction pour le lecteur de noir.

Comme un symbole et pour clore cette chronique, mon illustration musicale vous présente un  enfant de South Central, admirable saxophoniste, chantre de la création, s’étant nourri d’une myriade d’influences Jazz, Soul, Hip-hop, Rock. Son triple album « Epic » est une tuerie de conception musicale. Et KAmasi porte le mot Espoir en bandoulière et prouve qu’il est présent dans toutes les têtes et qu’il peut éclore à tout moment , dans n’importe quel contexte !

Chouchou.

 

 

 

 

 

 

 

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