Chroniques noires et partisanes

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LES VAGABONDS de Richard Lange / Rivages Imaginaire

Rovers

Traduction: David Fauquemberg

Deux frères quasi immortels, des « vagabonds » vivant la nuit et se nourrissant de sang humain, traversent le Sud-Ouest américain dans les années 1970 pour échapper à un gang de motards meurtriers et protéger une jeune femme.

Sachant que c’était une histoire de vampires en 1976, on aurait pu passer notre tour mais cela signifiait aussi tout bonnement rater le nouveau roman de l’auteur de Angel Baby et de La dernière chance de Rowan Petty superbes polars sortis chez Terres d’Amérique d’Albin Michel.

Avertissement préalable et nécessaire, il faut quand même aimer les flots d’hémoglobine pour réellement apprécier le roman, lisez bien couverts parce les “vagabonds” n’ont pas le romantisme et la délicatesse des vampires d’antan. Ils bouffent vraiment comme des sagouins et en font gicler partout. On sait que le sang tient le rôle principal des histoires de vampires, néanmoins ici, on manque parfois de se noyer, un peu comme dans les films de Dario Argento.

En fait, l’histoire démarre très sympathiquement avec deux vagabonds qui évoquent irrésistiblement le duo de Des souris et des hommes. Ils sont la première voix. Ensuite, on change de monde, on est plus dans Sons of Anarchy avec une horde de vagabonds bikers qui poursuivent les deux types sortis de chez Steinbeck. Le troisième récit est celui d’un chasseur de vampires qui veut venger la mort de son fils et traque les deux groupes. Tous finiront par se retrouver à Las Vegas pour un final sanguinolent. Auparavant, un road trip dans le Sud, motels glauques, relais routiers blafards… vous connaissez déjà. “Les vagabonds”, ces hobos du XXIème siècle.

Tout cela peut paraître bien étrange en apparence, mais il y a le talent de Richard Lange pour orchestrer l’ensemble. C’est vraiment un type qui sait écrire et il n’a rien perdu de sa veine stylistique ni de son talent à faire progresser son histoire. Il vous emballe très vite, la marque des grands et là, ses deux personnages héritiers de Steinbeck, c’est du velours, vous avez envie de les connaître. Les autres, moins peut-être.

C’est après que cela se gâte un peu, vers la moitié du roman quand le seul personnage pour qui on frissonne un tantinet est le premier à mourir. Très étonnant chez Lange de ne pas maintenir un soupçon d’empathie. La seconde partie consiste en fait un peu à un jeu de massacre entre vagabonds qui plaira sûrement mais en lassera aussi beaucoup. Après, comme on dit, les goûts et les couleurs, et puis Richard Lange a bien le droit d’écrire ce qu’il veut.

Une histoire de vampires, une rupture dans l’œuvre de Richard Lange, une  petite déception…

Clete

LA DERNIERE CHANCE DE ROWAN PETTY de Richard Lange / Terres d’Amérique.

Traduction: Patricia Barbe-Girault.

“Rowan Petty est un escroc à bout de souffle. Quand il n’arnaque pas des veuves esseulées, il triche au poker. Sa femme l’a quitté pour un autre escroc, sa fille ne lui parle plus depuis sept ans, et même sa voiture l’a planté… Jusqu’au jour où une vieille connaissance lui propose une dernière chance : filer à L.A. où des soldats en poste en Afghanistan auraient planqué deux millions de dollars détournés. En compagnie de Tinafey, une sublime prostituée lasse de tapiner et avide d’aventures, il file en direction du Sud. Un jeu dangereux commence auquel vont se retrouver mêlés un vétérinaire blessé, un acteur fini, et la fille de Petty. Pour le gagnant : une fortune. Pour le perdant : une balle dans la tête.”

Richard Lange est originaire de Los Angeles et c’est la mégalopole californienne qu’il décrit ici comme souvent dans ses romans. Auteur d’un très très bon “Angel baby” en 2015, il retourne dans une veine noire qui lui avait si bien réussi. Un peu le mouton noir de la collection Terres d’Amérique, il s’y illustre par son net penchant pour des intrigues policières même si c’est très réducteur de le placer dans ce cadre. Francis Geffard, le grand découvreur de talents ricains, ne fait pas de différence entre littérature et littérature noire dans ses choix éditoriaux, ses coups de coeur. Il privilégie toujours des écrits où est visible une certaine humanité des personnages et vis à vis d’eux, comme une capacité à montrer, raconter l’Amérique, la vie des gens, leurs choix difficiles voire impossibles. Richard Lange, c’est un peu un Willy Vlautin qui sortirait les flingues.

“Quarante ans qu’il était sur Terre, et qu’est-ce qu’il avait accompli? Sa vie se résumait à un mariage raté, une fille qui se droguait et des cartes de crédit sur lesquelles il avait atteint le maximum autorisé. Dès qu’il arrivait à faire un peu d’économies, il les reperdait en jouant au poker. Pour couronner le tout, son plus gros coup à ce jour avait fait pschitt et il avait réussi l’exploit de se rendre complice d’un meurtre. Quelque part, il y avait quelqu’un qui devait bien se marrer à ses dépens.Pour autant, il n’était pas encore prêt à jeter l’éponge. Ça n’avait jamais été son truc, de baisser les bras. Il fallait se regarder dans la glace sans concession, se demander qui, quoi et pourquoi, mais ne pas se laisser plomber par les réponses.”

Dans le décor de la Cité des Anges, celle des losers, des paumés, des cramés, des tarés, des ratés, des résignés et des toxicos… Rowan Petty a beaucoup à perdre et, tout d’abord, tout simplement, sa vie. Et on adhère, on le suit tellement il ressemble au pote qu’on aimerait avoir. Le pro de la petite arnaque, Rowan Petty s’est fait salement pigeonner par un mec qu’il a formé et les mauvaises vibrations et les sales profils arrivent en force tandis qu’au niveau des sentiments, il vit aussi des trucs méchants.

Tous les voyants sont au rouge, mauvais karma, mauvais alignement des planètes, bad trip, chaos total… poisse, scoumoune.

Se sortir d’un bordel sans nom à L.A…“ La dernière chance de Rowan Petty”?Sauver sa peau…“ La dernière chance de Rowan Petty”? Retrouver sa fille…“ La dernière chance de Rowan Petty”?“ Mettre la main sur le magot… “ La dernière chance de Rowan Petty”? Semer les chacals et les chiens… “ La dernière chance de Rowan Petty”?
Tomber amoureux…“ La dernière chance de Rowan Petty”? Se ranger enfin… “ La dernière chance de Rowan Petty”?

“ La dernière chance de Rowan Petty” possède une intrigue parfaitement menée et révélant plusieurs moments brûlants, flippants mais ce développement polardesque est aussi pour Lange l’occasion de continuer d’évoquer et de développer sur le sentiment de parentalité. Ayant déjà axé “Angel Baby” sur l’aspect maternel, il développe son propos mais en se focalisant plus sur son pendant paternel, sur la douleur de la culpabilité, sur la honte de l’abandon, sur les petites trahisons mesquines…

Beaucoup de beaux et touchants personnages, de héros oubliés, de types déjà à terre, on sent chez Lange un grand sens de l’observation de ses contemporains et une immense empathie pour l’autre, celui qu’on voit moins ou plus… ici et surtout là-bas, dans l’inhumanité d’un système de santé ricain honteux.

“A tous les chanceux et les malchanceux, les escrocs et les escroqués, les vivants et les morts. A tous.”

Grand auteur, grand roman et un Rowan Petty inoubliable.

Wollanup.


ANGEL BABY de Richard Lange/Albin Michel

Traduction: Céline Deniard

9782226317094-j

 

Les romans sur la frontière entre les USA et le Mexique sont de plus en plus nombreux et remportent souvent du succès car ils garantissent violence extrême des narcotrafiquants, désespoir et misère des candidats souvent malheureux au rêve illusoire du mirage américain donc souvent au menu : actions sanglantes, trafics sordides et hélas aussi parfois vaines pages explicatives de la politique migratoire de l’oncle Sam opposée à la porte de saloon qui tient lieu de frontière côté mexicain malgré les promesses réitérées des dirigeants du pays.

Les candidats à l’émigration comme dans tous les autres coins du globe où la misère devient tellement insupportable qu’on est capable de faire n’importe quoi pour s’en sortir et montrer que l’on est encore un homme sont légion et le Mexique se trouve donc pays de migration mais aussi de transit de multiples populations sud et centraméricaines et tous ses damnés se ruent vers Tijuana sinistre ville-frontière, antichambre de l’enfer bien souvent pour ses candidats au départ.  « Des gens pauvres, des gens désespérés, qui respirent un air qui pue la merde et boivent une eau qui les rend malades. C’est aussi horrible que la prison- pire, parce que ici on vous dit que vous êtes libre. »

Bienvenue donc à Tijuana où vit Luz, fille de prostituée d’un bidonville devenue la pute de luxe d’un vieux narco avant de devenir l’épouse objet de luxe et pute d’un autre narco, el Principe. Après des années de drogue et de cachetons, Luz se rappelle qu’elle a une petite fille qui vit cachée à L.A. et elle décide de s’enfuir de sa prison dorée pour la retrouver pour son quatrième anniversaire et en finir avec cette vie.

Pour l’aider à passer la frontière, elle va s’adjoindre les services de Malone une épave américaine à qui l’heure indique uniquement l’alcool qu’il doit boire vodka ou bière et qui fait passer des clandestins vers les USA afin de se payer sa mort lente. Malone, détruit par la mort de sa fille, triste type au look de surfeur mais très loin des branleurs racistes et élitistes californiens bon teint de « Savages » de Winslow, prend tous les risques sans sourciller car il est déjà mort dans sa tête.( En aparté, mais cela me chagrine quand même beaucoup, comment un auteur capable d’écrire un monument comme « la griffe du chien » peut-il ensuite se satisfaire de tels romans ?)

En face, El Apache, a grandi à Tijuana, est rentré dans un gang de façon tout à fait normale comme on entre à l’université parce qu’il n’y a pas d’autres choix, comme ses frères, va se lancer à la poursuite de la belle avec obligation de résultats car sa famille est sous la menace directe d’El Principe. Il va s’allier à un agent de la police des frontières américaine véreux intéressé par tout argent pouvant être dérobé et tout particulièrement à celui que Luz a volé à son mari.

Ce roman, c’est de la pure adrénaline. Lange montre la réalité mais ne commente pas et propose un récit passionnant sans réelle perte de vitesse sur 340 pages survoltées avec des points culminants lors de l’évasion de Luz et bien sûr lors du duel final prévisible et attendu et au déroulement inattendu. Ce n’est pas le combat du bien contre le mal, c’est bien autre chose de plus indéfinissable, plus la survie dans un monde de merde où tout acte qui vous sauve, au diable la morale qu’on laisse aux nantis, est justifiable. C’est tendu, violent, difficile d’en sortir une fois commencé telle la cavale désespérée de Luz.

« Angel Baby » n’a pas toutes les qualités littéraires que l’on trouve habituellement chez « Terres d’Amérique » peut-être, il ne séduira pas forcément le même lectorat mais ouvrira certainement la collection à un public plus jeune et plus avide de récits survitaminés. La puissance d’écriture de Richard Lange est impressionnante et son roman est un magnifique polar à rapprocher du très réussi « Tijuana straits » de Kem Nunn. Plaisir garanti ! Puissant !

Wollanup.

PS : Et puis un auteur qui met les paroles de la chanson « River Guard » du talentueux chanteur d’alt country Bill Callahan en introduction de son roman a, d’emblée, au moins, toute ma sympathie.

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