« J’avais été jadis un voyageur insouciant. Je devins un lecteur de grand chemin, toujours aussi rêveur mais un livre à la main. Je lus, adossé à tous les talus d’Europe, à l’orée de vastes forêts. Je lus dans des gares, sur de petits ports, des aires d’autoroute, à l’abri d’une grange, d’un hangar à bateaux où je m’abritais de la pluie et du vent. Le soir je me glissais dans mon duvet et tant que ma page était un peu claire, sous la dernière lumière du jour, je lisais.

J’étais redevenu un vagabond, mal rasé, hirsute, un vagabond de mots dans un voyage de songes. »

René Frégni a déjà dépeint certaines périodes de sa vie dans ses romans. Là, il raconte sa vie de lecteur puis d’auteur, le chemin parcouru depuis l’adolescence. On se demande souvent si un livre, un auteur peuvent sauver des vies. Vous qui nous suivez en êtes sûrement convaincu et René Frégni vous le prouve de bien géniale manière.

Minuit dans la ville des songes n’est pas un roman noir par la seule volonté de l’auteur mais ce parcours de vie cabossé aurait très bien pu l’être. Débutant par l’adolescence troublée de l’auteur dans les années 60, le roman parcourt plusieurs décennies, aux événements plus ou moins tragiques mais toujours écrits avec une grande pudeur

“Je savais que je risquais six mois de forteresse pour ce petit chef d’œuvre, mais depuis que j’étais enfant, une fois lancé dans l’une de mes lubies, j’étais incapable de faire marche arrière, il fallait que j’aille jusqu’au bout de mes extravagances. Ma folie, un peu hystérique, balayait toute raison.”

Jeune voyou au cœur très tendre, il ne pourra jamais être très loin de sa mère. “Je détestais les livres d’école, je n’aimais que la voix de ma mère.” C’est au service militaire qu’il dévoilera totalement sa nature insoumise, rebelle. Il désertera d’ailleurs, mais c’est aussi là et pendant sa fuite que naîtra sa passion pour les livres, la lecture qui combleront un peu le manque de vie, de nature, de liberté, cette envie inexorable de partir. La citation d’Alda Merini semble avoir été écrite pour lui. “Parfois on s’en va pour réfléchir. Parfois on s’en va parce qu’on a réfléchi.”

Dans sa fuite, il s’en ira en Corse, à Manosque, en Turquie en compagnie de… Giono, puis Dostoïevski, Rimbaud, Céline et Camus…, cherchera des endroits où s’isoler dans la nature avec son bouquin puis plus tard avec son cahier.

Minuit dans la ville des songes est un roman qui touchera beaucoup, j’en suis sûr, tous les grands lecteurs, les passionnés. Ils retrouveront chez René Frégni des comportements et des réflexions qui leur sont familiers, des moments qu’ils affectionnent, des instants qui sauvent aussi peut-être quand la vie est dure. “Je n’étais jamais seul, quelqu’un était dans ma poche puis dans ma main, avec qui je dialoguais, un compagnon de route.” Ce genre de propos parle certainement à beaucoup.

Mais la vie n’est pas un long fleuve tranquille : “ Me faudrait-il donc éternellement tout recommencer ?… Chaque fois que j’étais parvenu à installer autour de moi un petit bout de soleil, tout s’effondrait.”

René Frégni, une personne solaire, un roman lumineux comme les matins à Manosque à l’ombre des abricotiers en fleurs, un livre à chérir précieusement tant il exprime joliment nos propres ressentis de lecteurs et d’humains devant la beauté d’une écriture, la grandeur d’une histoire et l’humanité d’un homme.

Chapeau bas.

Clete