Traduction: Eric Moreau.

Dorénavant, il faudra vraiment faire attention aux sorties de la toute jeune collection littérature de Delcourt. Agréablement surpris par “Au loin” de Hernán Diaz, je suis vraiment sur le cul avec ce “Presidio”, pas d’autres mots… Première oeuvre d’un Texan vivant à New York, le roman est un grand moment à chaque instant, un émerveillement à chaque paragraphe, un bonheur d’un peu plus de trois cents pages. Si vous goûtez nos choix en littérature ricaine, celui-ci vous fera vivre des heures extraordinaires.

“Après six années d’une drôle de vie menée au loin en solitaire, Troy Falconer retourne dans la petite ville où il a grandi. Il s’est tôt fait la promesse de ne jamais rien posséder et emprunte depuis la vie des autres : leurs portefeuilles, leurs valises, leurs costumes et leurs voitures… Pourtant, lorsqu’il apprend que la femme de son frère a mis la main sur le maigre pécule hérité du père, Troy met le cap sur New Cona (tableau miniature de l’Amérique rurale), bien décidé à aider son frère à retrouver l’argent. Ils embarquent alors dans un road trip chaotique à travers les paysages austères du Texas. Seul hic, une passagère non déclarée est à l’arrière de la voiture : Martha, une gamine qui n’a pas froid aux yeux et une idée fixe en tête, retrouver son père au Mexique. Les frères Falconer ne sont plus simplement recherchés pour un banal vol de véhicule, mais pour enlèvement…”

“Presidio” n’est pas un polar classique, pas un road trip d’une manière si souvent déjà lue. PRESIDIO plante un décor de motels glauques, de diners blafards, de relais routiers fantomatiques accueillant des solitudes qui, parfois, se croisent, se rencontrent, se racontent et sont racontées avec le talent du James Sallis de “la mort aura tes yeux”. Ces bouts de lettres rédigées par Troy et destinées à la police si jamais il lui arrive malheur font alterner le récit entre passé et présent nous permettant petit à petit de comprendre les raisons de ces fuites, celle de Troy en premier, celles de sa famille, des femmes aimées mais aussi de tous les autres losers magnifiques rencontrés, esquissés à un moment de leur vie. Des existences banalement tristes, tristement banales.

Le Texas, sans cowboys arrogants, une région à l’histoire partagée avec le voisin mexicain, le sable, la poussière, la chaleur terrible et tous ces fantômes dans ce décor lunaire où les routes désertes sous un ciel immense semblent être le seul lien avec l’humanité, la dernière chance d’un avenir moins triste. Randy Kennedy, j’en donnerais ma main à couper, est à l’aube d’une grande carrière: la plume, la musique, le décor, l’empathie, les personnages et surtout Troy… Tout est juste, beau et douloureux, à se flinguer sur la fin.

« Je suis incapable de vous expliquer ce qui s’est produit. Je sais juste qu’un matin, à mon réveil, le monde n’était plus le même, et que je n’ai pas retrouvé le chemin de celui que j’avais quitté. Je crois qu’il existe une porte de ce genre en chacun de nous, et que si on la laisse ne serait-ce que s’entrouvrir, il est très difficile de la refermer. »


Roman qu’on quitte la mort dans l’âme, le cœur brisé, les yeux explosés au bord des larmes, des images plein la tête, une grosse boule dans la gorge, la colère montant tout en se demandant  ce qu’on va bien pouvoir lire après ça…

Énorme.

Wollanup.