Chroniques noires et partisanes

Étiquette : quai voltaire

LE TESTAMENT DE SULLY de Richard Russo / Quai Voltaire / La Table ronde.

Somebody’s Fool.

Traduction: Jean Esch.

« Sur le tabouret que Sully occupait au bar du Horse est désormais assis son fils Peter, professeur d’université encore aux prises avec cet héritage écrasant lorsque son propre rejeton, Thomas, refait surface après des années de séparation. C’est aussi au Horse que Doug Raymer, ancien chef de la police de North Bath, et Charice Bond, fraîchement nommée à la tête de la police de Schuyler, se retrouvent un samedi soir après la découverte d’un corps en décomposition dans la salle de bal du Sans Souci, hôtel abandonné situé à la limite entre les deux villes. Au Horse, toujours, que Janey fait des extras pour arrondir ses fins de mois et sortir de l’ornière. Ne serait-il pas temps de mettre fin à ses relations toxiques avec les hommes et de pardonner à sa mère, Ruth, son ancienne liaison avec Sully ? Tandis que dehors un ballet de chasse-neige, de dépanneuses et d’ambulances sillonne la ville, tout ce petit monde se demande qui a bien pu disparaître sans que personne s’en rende compte. »

Le testament de Sully (Somebody’s Fool) est le troisième volet d’une série entamée en 1993 avec Un homme presque parfait (Nobody’s Fool) et poursuivie en 2016 par À malin, malin et demi (Everybody’s Fool).

Richard Russo est un grand de la littérature américaine et en l’occurrence, ici, un conteur exceptionnel de l’existence compliquée de gens ordinaires, les heurts et malheurs d’une communauté rurale de l’état de New York. Une magnifique comédie humaine où l’humour très fin de l’auteur panse les blessures au cœur qu’il nous inflige parfois. Bien sûr, encore une fois, il est toujours préférable d’entamer une série par son début mais vous le faites rarement, vous oubliez, vous passez à autre chose et Richard Russo ne rentrera jamais dans votre existence. Ce roman, même s’il fait revenir beaucoup de personnages dont les existences nous ont déjà émus, surpris ou amusés, est un univers à lui tout seul. Russo vous y entraîne avec bonheur, ravive vos souvenirs ou vous crée un univers de gens simples, sympas souvent et qui vivent leurs problèmes existentiels comme ils le peuvent, aidés parfois par le « buddy ». Rien de vraiment remarquable dans ce que nous conte Russo mais certains de ses personnages crèvent la page et s’avèrent inoubliables. L’envie de connaître la vie de ce Sully qui manque tellement à ces gens vous titillera certainement. On sent la bonté dans l’écriture de Richard Russo, son empathie pour ceux qui galèrent. Cette mélodie mélancolique de la vie voit passer avec bonheur des vérités et des réflexions sur la vieillesse, la récession, le chômage, la solitude, la famille… la vie tout simplement et ce qu’on peut encore en sauver.

On pourrait bien sûr parler très longtemps de la beauté de ce roman… Personnellement, la lecture de Richard Russo me provoque le même plaisir que celle de Larry McMurtry. Un grand talent au service de romans soignés, lustrés, illuminés et profondément humains.

Remarquable !

Clete.

De Richard Russo également : Trajectoire.

DES NOUVELLES DU MONDE de Paulette Jiles / Quai Voltaire.

Traduction:  Jean Esch.

“Hiver 1870, le capitaine Jefferson Kyle Kidd parcourt le nord du Texas et lit à voix haute des articles de journaux devant un public avide des nouvelles du monde : les Irlandais migrent à New York ; une ligne de chemin de fer traverse désormais le Nebraska ; le Popocatepetl, près de Mexico, est entré en éruption. Un soir, après une de ses lectures à Wichita Falls, on propose au Capitaine de ramener dans sa famille, près de San Antonio, la jeune Johanna Leonberger. Quatre ans plus tôt, la fillette a assisté au massacre de ses parents et de sa sœur par les Kiowas qui l’ont épargnée, elle, et élevée comme une des leurs. Le vieil homme, veuf, qui vivait jadis de son métier d’imprimeur, profite de sa liberté pour sillonner les routes, mais l’argent se fait rare. Il accepte cette mission, en échange d’une pièce d’or, sachant qu’il devra se méfier des voleurs, des Comanches et des Kiowas autant que de l’armée fédérale.”

Ainsi introduit ce roman peut donner l’impression d’être un western, ce qu’il est à sa façon dans son décor texan mais prenant parfois des allures de “True Grit”, il raconte avant tout la rencontre d’un vieil homme, bienveillant passeur de culture et d’une enfant devenue une Indienne malgré elle mais qui a fait sienne la philosophie et la vie des Kiowas, oubliant, comme beaucoup d’autres victimes comme elle, à l’époque sa vie antérieure et ne souhaitant qu’une seule chose, repartir vers sa famille indienne, loin de la civilisation des Blancs dont elle ne comprend rien.

Au cours de ce périple périlleux où les rencontres montreront souvent le côté haïssable de l’humain, naîtra puis se développera avec le temps, patiemment une relation entre le vieil homme et l’enfant. Entamée par des regards, des gestes puis par des échanges verbaux, une communication dictée au départ par la survie s’épanouira pour se transformer en affection, en tendresse où chacun, équitablement, apprendra de l’autre. Le capitaine Kidd et Johanna, chacun avec ses atouts, affronteront des obstacles naturels et humains mais aucun ne pourra les détruire tant l’amour qui est en eux soulèvera des montagnes.

Ceux qui espèrent un western classique resteront certainement sur leur faim, les amateurs de suspense n’y trouveront pas non plus leur compte malgré certaines scènes violentes. Par contre si vous désirez lire une belle histoire d’amitié dans un décor majestueux et hostile où les petites conquêtes affectives vous paraîtront bien plus marquantes que les scènes de violence, ce livre est fait pour vous. Le genre de livres qu’on a envie de partager avec les gens qu’on aime. Un immense merci à Paulette Jiles pour ce personnage inoubliable du capitaine Jefferson Kyle Kidd.

« Il ouvrit le .38, le nettoya, le remonta. Il dressa une liste: farine, munitions, savon, viande de bœuf, bougie, foi, espoir, charité. »

Intelligent, tendre, touchant, BEAU!

Wollanup.

DANS LES ANGLES MORTS de Elizabeth Brundage / La Table ronde / Quai Voltaire.

Traduction: Cécile Arnaud.

“En rentrant chez lui un soir de tempête de neige, George Clare trouve sa femme assassinée, et leur fille de trois ans seule dans sa chambre – depuis combien de temps?

Huit mois plus tôt, engagé à l’université de Chosen, il avait acheté pour une bouchée de pain une ancienne ferme laitière, et emménagé avec sa famille dans cette petite ville étriquée et appauvrie, en passe d’être repeuplée par de riches New-Yorkais. Ce qu’il a omis de dire à sa femme, c’est que les anciens propriétaires, acculés par les dettes, s’y étaient suicidés, en laissant trois orphelins, Eddy, Wade et Cole. “

Étiqueté thriller, “Dans les angles morts” m’obligera donc à mieux appréhender la définition de thriller parce qu’enfin, il ne faut pas être grand expert pour comprendre rapidement qui est le coupable. Envisager le roman comme un thriller psychologique peut gravement décevoir l’adepte du genre alors que l’intérêt de ce roman, fortement honorable, se situe bien ailleurs.

Entamé par l’accroche que l’on retrouve beaucoup trop souvent actuellement d’un premier chapitre particulièrement éprouvant contant la découverte de sa femme morte d’un coup de hache restée plantée dans le crâne par son mari, Elizabeth Brundage raconte ensuite avec une plume, ma foi, très belle, l’amont, l’avant, depuis l’arrivée dans leur ferme de Catherine et George accompagnés de leur petite fille Franny jusqu’au drame final lu en préambule. On ne peut nier l’évidence, l’auteure a écrit une histoire minutieusement construite qui, si elle n’est pas bâtie sur un réel suspense analyse par contre de manière très fine le parcours d’un sociopathe, d’un pervers narcissique particulièrement toxique, d’une belle saloperie sans conscience ni âme.

L’auteure lie à son histoire le calvaire de ces trois ados et jeunes adultes, orphelins, brisés dans leur coeur par la perte mais aussi dans leur histoire par leur expropriation de la maison natale par le couple Clare qu’ils vont, destin cruel, côtoyer en créant des liens, chacun à sa manière, avec Catherine. Leur univers poignant, leur comportement désillusionné et pourtant gardant foi en l’humanité, en l’univers est aussi bien peint et permet d’entretenir quelques doutes dans la recherche du coupable.

S’il s’agit bien d’une histoire criminelle, l’aspect policier de l’enquête est quasiment inexistant; la recherche de la vérité se trouve dans le discours parfois un peu crypté voire fumeux et inutile à partir du milieu du roman où on a la certitude d’avoir identifié le coupable. Les changements de situation, de lieux, de personnages, de points de vue, d’époque sont parfois abrupts. Bien sûr, dans un premier temps, ces astuces littéraires, en masquant l’identité des acteurs, de la situation contribuent à créer un mystère, un flou mais ensuite elles contribuent plus à rendre le discours parfois un peu indigeste ou nécessitant une lecture hyper attentive pour trouver des inférences salvatrices dans les lignes lues. Le roman n’est absolument pas confus mais ces petites fantaisies peuvent commencer un peu à agacer quand on se trouve dans un espèce de ventre mou médian du roman avec ces passages qui montrent, sans réel intérêt pour l’intrigue les relations de la famille Clare avec les universitaires et bobos new yorkais qu’ils côtoient sur les bords magnifiques de l’Hudson dans la région d’Albany.

Le dernier quart du roman, heureusement, remet le roman sur de très bons rails et offre les vrais moments de terreur pour le lecteur horrifié à la pensée de l’éventualité que l’ordure s’en sorte indemne..

“Dans les angles morts”, au final, s’avère être un roman particulièrement prenant servi par une belle écriture, teinté finement de surnaturel mais parfois plombé par des astuces et des choix littéraires pas forcément judicieux.

Wollanup / Clete.

À MALIN, MALIN ET DEMI de Richard Russo aux éditions La Table Ronde/Quai Voltaire

Richard Russo, originaire de l’état de New York, a écrit plusieurs romans dont « Le déclin de l’empire Whiting » qui a obtenu le prix Pulitzer en 2002 et  « Un homme presque parfait » en 1993 qui a été adapté au cinéma avec Paul Newman dans le rôle de Sully. Richard Russo avait créé le personnage de Sully en s’inspirant de son père. Plus de vingt ans plus tard, il le retrouve, reprend certains des personnages d’« un homme presque parfait » et poursuit leur histoire.

« Quand Douglas Raymer était collégien, son professeur d’anglais écrivait en marge de ses rédactions : «Qui es-tu, Douglas?» Trente ans plus tard, Raymer n’a pas bougé de North Bath, et ne sait toujours pas répondre à la question. Dégarni, enclin à l’embonpoint, il est veuf d’une femme qui s’apprêtait à le quitter. Pour qui? Voilà une autre question qui torture ce policier à l’uniforme mal taillé. De l’autre côté de la ville, Sully, vieux loup de mer septuagénaire, passe sa retraite sur un tabouret de bar, à boire, fumer et tenter d’encaisser le diagnostic des cardiologues : «Deux années, grand maximum.» Raymer et Sully sont les deux piliers branlants d’une ville bâtie de travers. Quand un mur de l’usine s’écroule, tous ses habitants – du fossoyeur bègue au promoteur immobilier véreux, en passant par la femme du maire et sa case en moins – sont pris dans la tempête. De courses-poursuites en confessions, de bagarres en révélations, Raymer, Sully et les autres vont apprendre à affronter les grandes misères de leurs petites existences. »

Les catastrophes vont s’enchaîner à North Bath, ancienne ville d’eaux de l’état de New York dont la source est tarie, qui vivote et peine à se développer à l’ombre de sa voisine Schuyler Springs rivale chanceuse qui elle, sait toujours capter l’air du temps, suivre les vents dominants et s’enrichit avec une réussite insolente.  Il faut dire qu’il y a une belle brochette de bras cassés à la tête de cette petite communauté, des rednecks du Nord bien déjantés.

Il y a entre autres Raymer, chef de la police bourré de doutes et de complexes qui lui font commettre les bourdes les plus monumentales comme son slogan de campagne « Heureux, nous le serons que si vous ne l’êtes » ou sa chute dans la tombe lors d’un enterrement, et j’en passe ! Il est la risée de tous, de Sully principalement, depuis toujours. Il partage dans ce roman la vedette avec Sully qui a vieilli depuis le premier opus et fait face à un diagnostic sombre sans rien changer de ses habitudes. Autour d’eux gravite toute une galerie de personnages hauts en couleurs qui se retrouvent dans les situations les plus invraisemblables et les plus drôles.

Dans cette petite ville où tous se connaissent, Richard Russo suit ses personnages et raconte avec un immense talent leurs histoires qui s’imbriquent parfaitement et construisent une chronique de North Bath. Il décrit avec une grande tendresse des personnages profondément humains et l’empathie fonctionne avec ces losers magnifiques. On connaît leurs faiblesses, leurs manquements, leurs failles, on les comprend vraiment. Ils sont vieillissants, malmenés par la vie : les deuils, les amours perdues, les regrets… la vie et les drames qui touchent tout le monde. Richard Russo mêle avec brio le drôle et le grave, le rire et l’émotion.

Un très bon livre, drôle et touchant.

Raccoon

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