Chroniques noires et partisanes

Étiquette : Pukhtu secundo

PUKHTU secundo de DOA / Série Noire / Gallimard.

 

Présenter ou résumer PUKHTU Secundo c’est utopique, voire irrespectueux pour son géniteur et son (futur) lectorat. Un ressenti de cette saga additionnée à des bribes symptomatiques de ma lecture, de ma plongée, n’en sera que le sel d’un roc brut aride mais qui délivrera des émotions que seul le vivant reste susceptible de transmettre, de communiquer.

« “Vous avez bonne mémoire. ”

Montana acquiesce, songeur. Ce nom le hante depuis six ans. Après avoir atteint leur objectif, empêcher l’attaque et récupérer le puissant neurotoxique d’origine française dont les islamistes entendaient faire usage, le clandestin et l’infiltré, Robert Ramdane, se sont volatilisés. Un imprévu contrariant. Il avait en effet été décidé de rhabiller les deux hommes en ennemis de la République et de les tuer, pour leur faire endosser plus aisément la responsabilité d’une série de décès suspects, ceux des véritables intégristes, auxquels les journaux et les services de police commençaient à s’intéresser. “Où se cache-t-il ? ” »

Les sentiments, les affects, les tensions se conjuguent à tous les temps et de son rythme propre l’auteur nous convoque comme prévu pour ce second acte. Avide de dénouer les nœuds gordiens d’une géopolitique implacable, froide, on rentre les épaules pour se frayer un passage dans la nasse tressée. Les retrouvailles avec les différents acteurs sont parfois empreintes de retenues, d’une certaine frilosité. Mais de nouveau on perçoit que nous ne sommes pas les parangons d’une farce, d’une duperie, d’une vile manipulation. La manipulation elle procède d’un autre niveau, ce niveau qui ne tient pas compte des êtres dans leur singularité, leur richesse propre. On assiste alors à une révolte de « pions » qui ne veulent plus en être. Et comme dans tout soulèvement, il y’a des victimes, des virages, des inflexions de vie à assumer. La poussière vole, les cœurs se déchirent, les estomacs se nouent et proche de la nausée on vomit une coulée d’émotions où nous sommes contraints de faire face !

Les consciences face au miroir sont meurtries qui mènent à des prises de décisions lourdes mais irrévocables. Possédé par la force suggestive derrière une fresque « picaresque » à la Guernica, on se résout à constater, qu’inconsciemment ou pas, que noter empathie pour les différents acteurs grandit tout au long de notre trajet en leurs compagnies. La force magnétique de chacun montre et démontrent l’universalité des émotions, des sentiments et la difficulté d’y faire face, d’exister avec. A chaque impasse, à chaque cul-de-sac la lumière l’emporte sur la terreur.

DOA a tenté, a réussi un pari osé qui aurait pu passer pour un roman d’étude géopolitique, qu’il est en partie, mais indubitablement le roman d’êtres humains mis à nu avec leurs forces, leurs faiblesses. Cette irrépressible volonté de dénuder ses personnages pour en faire les égaux de nous-mêmes exploite nos émotions les plus profondes, les plus authentiques, les plus limbiques.

La littérature sert aussi à se voir comme l’on aimerait être sans cette dimension du paraître. Nul besoin d’artifices, d’atomiseurs, de formes tapageuses, les tripes et la pompe à fluides vitaux, sont bel et bien les seules armes de nos existences réelles.

« Un IPod, ombilic superflu, indispensable à sa raison » c’est dérisoire mais nécessaire au même titre que rechercher l’humain, bien trop dédaigné, méprisé, est essentiel.

MERCI Monsieur !

Chouchou.

PUKHTU Secundo / DOA / SN.

« C’est un long voyage, mouvementé, souvent difficile, parfois grandiose, à travers le monde d’aujourd’hui – son versant noir et caché s’entend – mais, à l’instar de tous les périples lointains, il est exigeant et se mérite. Quant aux deux parties, leur différence perçue est surtout la conséquence de leur séparation physique. Lue dans la continuité, la seconde moitié apparaît pour ce qu’elle est, l’évolution logique de la première, un resserrement du général au détail et au personnel. » (DOA, extrait de l’entretien en ligne le 14/10/2016)

Les propos de l’auteur vous garantissent une continuité entre les deux tomes de Pukhtu mais ne parlent aucunement des énormes surprises que ce second opus réserve au lecteur. Il va sans dire que ceux qui n’ont pas lu Primo doivent commencer par le faire. Le mieux est même de commencer par « Citoyens clandestins », d’enchaîner par « le serpent aux mille coupures » pour bien appréhender le final de ce cycle que DOA expliquera avec la franchise qu’on lui connait dans l’entretien haut de gamme qu’il nous a accordé, en ligne vendredi. Cette fin de cycle qui représente plus de dix ans de travail, ce qui n’aurait pas à être mentionné s’il aboutissait à un résultat médiocre, mais c’est loin d’être le cas et même l’emploi de superlatifs ne peut rendre compte de ce que j’ai pu éprouver à la lecture de Secundo.

« Un resserrement du général au détail et au personnel ». Le général, c’est bien sûr Primo avec la guerre au XXIème siècle et je reprends ici des passages de ma chro du livre parue chez Unwalkers à l’époque, avril 2015, et aujourd’hui disparue du Net.

[Ce pavé parle de la guerre en Afghanistan à une époque, 2008, dans un pays rendu exsangue par les ravages de la guerre et où les magouilles traditionnelles du pays le plus corrompu de la planète à égalité avec la Corée du Nord et la Somalie se sont développées avec l’argent des occupants américains et à la faveur de l’anonymat créé par la guerre en Irak. Mais avant tout, comme dans « la Religion », c’est le combat entre deux sociétés qui ne se comprennent pas et se combattent comme à l’époque des croisades. Rien n’a changé. Comme Willocks, DOA sait décrire les combats, la peur, l’horreur, la folie meurtrière, l’héroïsme, la boucherie, la folie des hommes… et comme chez Willocks, on reste hébété devant le carnage décrit très maladroitement par les média et que les auteurs arrivent à nous faire vivre comme l’enfer sur Terre avec ces combattants, dans chaque camp, égarés, complices d’intérêts qu’ils ne comprennent pas et dont ils sont les premières victimes.]

 

Quand on reprend l’histoire, c’est le même enfer :

« Ouais, ouais y a du déchet, quelques morts, enfin pas mal, des blessés et des innocents qui finissent dans des cages, des jeunes et des vieux aussi, des gentilles barbes grises, et eux, c’est presque sûr, ils se retrouvent là pour des comptes mal réglés ou parce qu’ils l’ont ouvert trop grand, contre le président afghan qui pédale dans l’ opium, les alliés du président qui les rackettent, les battent et violent leurs femmes et leurs gosses, ou nous autres, les alliés des alliés du président qui fermons les yeux… Mais tu le sais toi, que c’est pas simple de trouver qui est qui dans ce pays de putains d’enculés de leur mère, qu’a pas envie de sortir de sa merde… Alors s’il faut marcher sur des pieds, tordre des bras, fracasser deux trois crânes voire buter des inoffensifs pour leur mettre la main dessus, aux nuisibles, tant pis, ils avaient qu’à pas être là, hein ? Eux ou nous, mon frère, eux ou nous. » (page 312).

Mais la grande particularité de Secundo, c’est « au détail et au personnel » car, après nous avoir conté de manière très didactique et passionnante cette guerre et toutes les guerres souterraines, toute la folie, les magouilles des différents camps, DOA va se consacrer à ce que tout lecteur attend avec force, l’heure où certains salopards vont payer pour leurs exactions, leurs manœuvres, leurs profits. Certains doivent payer mais ce n’est jamais si simple chez DOA et vous n’êtes pas au bout de vos surprises parce que si châtiment il y aura bien, impossible de savoir qui tiendra le glaive et qui seront les victimes.

La grande force de Secundo, c’est d’arriver à faire vivre la multitude de personnages qui peuplent son œuvre, d’analyser en détail la psychologie de chacun, les principaux comme les secondaires tout en réveillant des fantômes, créant ainsi un immense tableau apocalyptique dont tous les participants vont se diriger inexorablement, implacablement vers un chaos prévisible, espéré pour certains et bien regrettable pour d’autres.

Comme jamais auparavant, même si certaines pages de Primo, déjà, débordaient de tristesse, DOA fait ressentir la douleur de la disparition, la folie, le désespoir, la misère du monde chez des hommes, des femmes et des enfants victimes du côté sombre de l’humanité. Il prouve ainsi à ceux qui en doutaient encore qu’il est un grand écrivain, malgré sa volonté de rester invisible et imperméable aux émotions dans ces romans, animé d’une grande humanité.

On connait l’impact douloureux des scènes choc chez DOA et finalement, c’est dans les scènes les plus intimes comme l’errance solitaire dans les montagnes afghanes d’un personnage ou la relation entre un enfant et une personne emprisonnée ou enfin le dernier moment de grâce d’un homme qui sait sa mort prochaine qu’il se montre le plus redoutable, qu’il émeut, qu’il renverse comme seuls les plus grands savent le faire.Un crescendo infernal !

Géant !

Wollanup.

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