Chroniques noires et partisanes

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Entretien avec Caryl Férey à l’occasion de la sortie de PLUS JAMAIS SEUL / Série Noire

Il est des auteurs qui vous marquent au fer rouge par un écrit coup de poing. Cet uppercut je l’avais reçu à la sortie de « Haka », le premier ouvrage d’un diptyque situé dans le pays du long nuage blanc…

J’aime à le retrouver dans ses pérégrinations aux quatre coins du globe mais, là, il revient dans un personnage qui jalonne sa bibliographie ayant comme base de départ sa Bretagne….

 

1/« Plus Jamais Seul » s’inscrit dans une série, une saga, débutée en 1995. Etait-ce un besoin intime, profond de revenir à ce privé bougon, revêche cachant bien son jeu?

 

C’est un personnage que j’aime bien, en fait c’est l’avatar d’un copain à peu près comme lui, grand avec un bandeau, complètement taré, que j’amène en voyage quasiment tout le temps. C’est vraiment un bon pote et qui m’inspire en tout cas. Ce personnage de Mc Cash, je le connais bien donc, c’est la grosse différence avec mes romans que je fais à l’étranger c’est qu’il n’y a pas de recherches, je le connais par coeur. Donc c’est assez agréable, après j’aime pas trop les séries car généralement l’inspecteur machin 1..2…3..4 c’est de moins en moins bien, j’en fais un de temps en temps quand je le sens et en fait c’est un peu le hasard de la vie, j’ai un pote qui a disparu en mer comme dans cet opus. Quand tu as quelqu’un de proche qui disparait en mer c’est un vrai choc, on ne trouve pas le cadavre, on ne peut pas faire de deuil, on a mené notre petite enquête nous les copains bretons pour connaître le contexte, et visiblement il s’est fait couper par un cargo. Du coup je me suis dit ça c’est une histoire pour McCash, un hommage à ce pote disparu. Il faut qu’il y ait des mecs à sa hauteur, pas des gens un peu banal, après il fallait que je lui trouve une copine. Comme à l’époque, mon ami ayant disparu voilà 10 ans, je voulais parler des réfugiés dans les années Sarkozy passant par les enclaves espagnoles, un peu des héros. Après la période argentine, je suis donc revenu à McCash avec la guerre de Syrie et d’Irak, une problématique qui existe toujours en la mettant dans un cadre méditerranéen, du coup ça prend une ampleur européenne.

 

2/ Malgré ce retour aux sources, vous réussissez le pari d’y inclure, ce qui fait aussi votre identité littéraire, des thématiques mondialistes, et en particulier cette fois-ci les problématiques migratoires et la situation de la Grèce. Comment percevez-vous ces tares modernes?

 

Moi ce qui m’intéresse c’est les autres, j’aime bien l’étranger, tout en aimant ce qui se passe en France mais pour moi tout est lié. Je suis pro-européen, plus on est de fous plus on s’amuse. Pas l’Europe libérale dont on a hérité depuis Maastricht, en gros, et pour moi ce qui arrive aux Grecs, la façon dont on traite les Grecs reste vraiment symptomatique. On devrait être tous solidaires les uns des autres face à l’Amérique, à la Chine, que l’Europe soit unie et là on a construit une Europe où les gens sont les uns contre les autres. Ce qui arrive aux Grecs, même si les politiciens grecs ont menti, ils ont fait de faux audits avec les américains, je trouve ça absolument scandaleux à tous les niveaux. La façon dont l’Europe gère les réfugiés en les refilant, en les vendant aux Turcs qui sont aux portes de l’UE, donc là il y a deux poids, deux mesures, les Grecs d’un côté que l’on massacre politiquement et pour des raisons de basse politique on se sert de la Turquie. C’est le monde à l’envers.

 

3/ On sent, je sens moins de brutalité, de violence dans vos derniers écrits. Pensez vous que c’est juste et comment le traduisez vous?

 

Non, c’est vrai. On va faire un parallèle avec la musique, en fait pour moi « HAKA » c’est un livre punk, c’est à dire tout le monde est mort, c’est un cri, comme la discographie des Clash, on commence plutôt punk puis il y a « Sandinista », « Condor » c’est « Sandinista » en fait; c’est à dire qu’on va du Punk-Rock, au Rock puis on s’ouvre à d’autres musiques, d’où la poésie dans « Mapuche » et « Condor », donc des choses plus ouvertes. J’aurais pu être l’auteur qui tue tous ses protagonistes, et la surprise dans « Mapuche » c’est tiens, il ne meurt pas. C’est aussi ne pas se répéter et en vieillissant on constate que le monde n’est pas que noir, il y a toujours du bleu là-dedans, aussi. Mon éditeur, concernant « Mapuche », dans sa version initiale trouvait que c’était trop triste et les mères argentines ont emporté l’adhésion à leur combat, elles l’ont remporté donc il était nécessaire d’avoir de la joie. En reprenant « Haka » qui globalement est aux antipodes du pays décrit, je me suis dit qu’il était important que je sois plus en phase avec ce qu’était le pays décrit. Cela s’est adouci, façon de parler, il y a moins de violence car je ne la cherche pas systématiquement. Je pense que je ferai un autre McCash dans cinq ou dix ans,ce qui me donne l’occasion de respirer. (j’ai fait les quatre, HAKA/UTU/ZULU/MAPUCHE en apnée). Comme c’est McCash, je peux me permettre une écriture plus relâchée, dans les autres bouquins je suis obligé de serrer l’écriture au plus près du pays, des personnages qui sont plus tendus. McCash c’est une sorte de récréation au niveau stylistique qui ne passerait pas du tout sur d’autres bouquins. Là je suis en Colombie, ça va pas être très gai…

 

4/ Vous avez un lien viscéral avec le Rock, comment l’ amalgamer avec votre soif littéraire? Peut-on dissocier l’oeuvre de l’homme? (Cf. Céline, Noir Désir)

 

Il y deux sujets.

J’ai grandi avec le Rock, pourquoi à 7/8 ans j’ai écouté du Johnny, car il n’y avait que ça, il y avait des cris, j’adore les cris, tu sais pas! Moi je ne réfléchis toujours pas trop, c’est ce que je ressens, c’est l’émotion, des fois il y a du classique qui te transporte, et d’autres qui te font chier à mourir. Tu as ça dans le coeur et c’est pour la vie! Je peux écouter des larsens pendant des heures et je peux écrire là-dessus. J’ai une obsession, c’est que mes bouquins soient rock et pas pop. Pour moi, pop ce serait commercial, bien qu’il y ait des trucs géniaux dans la pop, ça vient aussi des Américains des années 70, sans les happy end mièvres, sirupeux.

En ce qui concerne la dissociation, tu fais de l’art, tu fais de l’art enfin que tu fasses de la peinture, ou autres,  tel Courbet ou Delacroix, tu vois leurs oeuvres et ça te bouge ou pas. Il se trouve que Mein Kampf c’est écrit avec les pieds, c’est pas Céline. Il se trouve que ses écrits antisémites sont nuls, des pamphlets à deux balles, on dirait du Zemmour, c’est indigne alors que « Voyage au bout de la nuit » ou « Mort à Crédit » sont sublimes. Bertrand (Cantat) il est coupable, personne ne le nie, mais entre le pardon et le talion, il y a l’injustice, pourquoi on lui enlèverait le droit à la réinsertion sociale, alors que le mec lambda on lui autorise, mais lui comme il est connu non!? Les personnes qui vont lui cracher à la gueule seront les mêmes qui pour Woody Allen, Polanski c’est pareil: « Oh mais c’est pas grave », c’est la même intelligentsia qui décide pour tout le monde. Mais comme Bertrand a sélectionné sa presse, il a payé sa rébellion, je trouve ça malhonnête, intellectuellement. Il y a eu plus de volées de bois vert avec son dernier album, avec l’affaire Weinstein, que pour son album avec Détroit. Tu n’as pas le droit d’exister par ton nom. Il avait fait la couverture des Inrocks pour cette sortie avec le groupe Détroit. Quand on a fait la tournée Condor avant chaque date, on nous promettait des manifestations mais il n’y en a  jamais eu. La différence c’est les réseaux sociaux car là insulter derrière un écran, c’est donné à tout le monde.

 

5/ Sur « Plutôt Crever » il y avait un hommage à Pierrot le Fou et J.-L. Godard. Dans cet opus y avait-il une volonté de s’appuyer sur une référence cinématographique ou autre?

 

Non, je crois pas. Des fois on ne se rend pas compte et c’est à rebours que l’on associe des analogies transformées.

 

6/ Vous aimez les Têtes Raides?

 

J’aime pas trop le Rock fanfare mais il y’a un morceau des Têtes Raides où ils jouent avec Noir Désir, « L’identité », qui est fabuleux. J’aime bien Bashung, il y a des trucs énormes et des trucs nuls, Fantaisie Militaire étant son chef d’oeuvre. Le rock festif n’est pas ma came.

 

7/ 2017 a t-il été pourvoyeur de sujets en cas de manque d’inspiration?

 

Le manque d’inspiration n’existe pas, la page blanche c’est un mythe qui n’existe et qui n’existera jamais en ce qui me concerne. Non c’est pas possible, c’est comme avoir faim, je ne vais pas rester trois années sans avoir faim. Mais par contre, il m’est arrivé un truc qui n’était pas prévu, j’avais écrit un récit de voyage qui s’appelait « Norilsk » en Sibérie du nord, c’était tellement opposé à mon projet sur la Colombie, je n’avais pas spécialement envie d’y aller . Mais c’était tellement dingue et surtout les gens que j’ai rencontrés étaient vraiment extraordinaires, cela a bouleversé mes plans colombiens. J’ai eu une émotion forte mais sur le mode gonzo tout en gardant derrière un truc hyper fort. Des conditions extrêmes, la cité la plus polluée au monde, ville minière de nickel, tout est excessif dans un périmètre fermé, il faut avoir un laissez-passer du FSB. Donc tu rencontres des gens qui sont coincés dans une prison à ciel ouvert, où 1000 kilomètres à la ronde il n’y a rien, et ça c’est très très bien passé en voyant débarquer deux Français, moi bronzé en revenant de Colombie et un grand borgne.

 

8/ Sur notre site et pour l’ensemble de nos chroniques on associe à chaque fois un titre musical en lien avec l’ouvrage, quelle serait votre illustration pour celui-ci?

 

Ben tiens justement le morceau « Volontaires » de Bashung et Noir Désir. Titre complètement désespéré qui irait assez bien avec le personnage de McCash, à la fois le côté total dérive mais qui se rattrape à des choses essentielles.

 

Entretien réalisé en  tête à tête le 6 Février. Je tiens à remercier Christelle Mata, pour sa bienveillance et sa disponibilité, et Caryl Férey qui a accepté cette rencontre en toute décontraction et franchise.

 

Chouchou.

 

PLUS JAMAIS SEUL de Caryl Ferey / Série Noire.

Caryl Férey aime à nous adresser des cartes postales de ses multiples pérégrinations sur ce globe terrestre où l’on gravite. Elles ne sont que rarement idylliques et enchanteresses mais nous délivrent son message culturel, historique, géopolitique avec une ligne noire appuyée récurrente. Là il semble présenter le désir de revenir vers des sources baptismales surplombées de croix nimbées. S’inscrivant dans une trame, puisant un classicisme de par son contexte géographique, où il affirme des personnages puissants, symbolisés en  son mille par un ex-flic revêche, au péricarde rocailleux mais révélant des anfractuosités insoupçonnées, l’ouvrage plongera la tête la première dans un océan Bakélite teinté de nostalgie, fidélité, inflexibilité contre ces forces obscures d’une humanité cupide.

«Premières vacances pour Mc Cash et sa fille, Alice. L’ex-flic borgne à l’humour grinçant – personnage à la fois désenchanté et désinvolte mais consciencieusement autodestructeur – en profite pour faire l’apprentissage tardif de la paternité.Malgré sa bonne volonté, force est de constater qu’il a une approche très personnelle de cette responsabilité.Pour ne rien arranger, l’ancien limier apprend le décès de son vieux pote Marco, avocat déglingué et navigateur émérite, heurté par un cargo en pleine mer.Pour Mc Cash, l’erreur de navigation est inconcevable. Mais comment concilier activités familiales et enquête à risque sur la mort brutale de son ami? »

Notre auteur « globe trotter » possède la science de l’hameçonnage. Bien que « reniant » son identité d’écriture en revenant sur ses terres, il conserve cette faculté. En façonnant ce personnage de McCash bougon, antipathique, où coule dans ses veines une âcre Guinness, il fait jouer les paradoxes pour ce nouveau père qui cherche les clefs de la paternité. Et, c’est dans un même temps, que l’un de ses amis, lui le solitaire pathologique, perd la vie dans des circonstances floues, voire suspectes. Ses entrailles commandent alors sa raison. Il tente alors de jongler avec ses nouvelles prérogatives paternelles et l’impérieuse nécessité de comprendre les contours, ainsi que le mobile de cette disparition. Affublé de son infirmité éludée, il fonce dans cette mare envahie par le cynisme, l’outrage, “l’escobarderie”, le manque cruel d’une quelconque déontologie envers son prochain. Pourtant, malgré ses tares, il fait face et s’embarque alors dans une recherche éperdue vers cette vérité au prix d’un engagement sans éventuel retour.

C’est là que Caryl Férey nous « surprend » en s’inscrivant dans son ADN profond. Car ce présent effort est constitué de deux parties distinctes. La seconde investit la Grèce par sa capitale ainsi que par l’une de ses îles du Dodécanèse Asypalée, point de convergence du flux et du commerce licencieux lié aux vagues migratoires. Une association humaine née de cette villégiature, bien loin d’être touristique, qui affronte avec une rudesse extrême cette plaie déliquescente engendrée par ces associations mafieuses vautrées dans la détresse de femmes et d’hommes cherchant une certaine félicité ou surtout une dignité élémentaire. On retrouve là cette patte caractéristique d’un auteur qui insuffle cette volonté de nous dépeindre notre monde avec clairvoyance, sans faux semblants, sans enjoliver une crue réalité.

Il atteint par cet acte romanesque, qui n’en manque pas, une émulsion cohérente, sensée, d’une construction d’un ouvrage où cohabitent un décor en lien direct avec ses racines et l’inclusion naturelle d’une problématique actuelle qui agite la géopolitique mondiale dans ce cadre fragile qu’est la Grèce en reconstruction.

En créant ce personnage paradoxalement attachant, Caryl Férey dépeint avec sensibilité ce qu’est la relation forte d’une amitié indéfectible en pointant cette nostalgie, cet effritement du temps, de l’éloignement en aimant à penser, à tort, que l’on se recroisera…un jour. On se trompe! Mc Cash vit le présent, tente de faire fi du passé et prend conscience qu’il existe un futur.

L’auteur s’essaie au « cadrage-débord » avec succès et détermination!

Chouchou.

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