Un roman noir dans la campagne profonde, là où les siècles se sont figés, où les hommes ont toujours vécu, éloignés et rudes, où la nature a toujours régné, et influé, sur les vivants comme sur les morts.
Sombre et puissant.
Dès le premier chapitre, Guittaut nous précipite dans la nuit, et nous agrippe par la beauté et le travail de son style. « Elle ne pleurait ni ne criait, et pourtant sa vie fragile la fuyait en même temps que l’étoile sombre de son sang se répandait sur le goudron huileux… »
La scène est écrite au passé-composé, le gendarme « est » arrivé sur les lieux d’un accident, face à l’horrible, la mort d’une mère, l’agonie d’une fillette, puis le pouls du lecteur s’accélère, brusque, Guittaut passe au « présent ». Le gendarme n’est plus dans l’effroi, la compréhension, le sentiment, il redevient le réel, l’être, l’homme dans son animalité.
Fabrice Rémangeon sait que le chauffard est un récidiviste et qu’il tente de fuir, il va le prendre en chasse.
La Chasse, nous y reviendrons.
La structure narrative est importante, car Guittaut a énormément travaillé son roman sur tous les axes littéraires possibles, sous tous ses aspects ; la langue, fine et forte (comme une moutarde en somme 😉 ), le rythme, inégal, les personnages, inégaux, eux aussi, mais, tout comme le rythme – qu’il soit lent ou brusque – ils sont puissants ; par leur profondeur, et leur simple et rêche humanité. Le gendarme a tabassé le prévenu, il a libéré la bête, il sera puni, muté, en Sologne, là où il a grandi dans sa famille dont le père était un rebouteux, un « sorcier » craint et respecté car membrane essentielle des faisceaux qui relient les hommes et les femmes au pays solognot, aux bêtes surgies de la brume, à la sombre forêt, à la sauvage nature. Les Celtes croyaient au mystique de la grande forêt, Guittaut s’est documenté, passionné, il connaît son sujet.
Un nouveau shérif débarque au village – notre gendarme – et les mystères s’épaississent. Sa femme l’a quitté (brutalement), des années plus tôt, pour disparaître, et voilà qu’un vieil ennemi, aux accents de sorcellerie, a lui aussi une belle femme blonde, une bimbo ukrainienne qui serait le sosie de celle du gendarme. Premier mystère…
Nous sommes dans la profondeur des bois, la sauvagerie de la nature, les phrases échangées sont sèches et brusques, le sexe est vivant, poissant, âpre et fort comme le vin du pays, les conflits générationnels au sein de la brigade se règlent à coup de regards fatigués. Rémangeon ne veut plus de son pays, il l’a fuit, sa rationalité l’a fait douter de son père, à en avoir honte, comme de sa terre.
Il le redécouvre en enquêtant sur des braconnages au fusil de chasse, la nuit dans les forêts, toute la violence de siècles de paysannerie resurgit. Le seigneur du coin demande à la maréchaussée d’agir tout en exploitant le système, les braconniers font penser à ces bandes de maraudeurs, ces « compagnies franches » haranguant les campagnes à la guerre de cent ans, et le vieil ennemi use de pouvoirs mystiques pour faire le mal et s’imposer.
Et c’est là où Guittaut nous ferre, il nous agrippe par le mystère, le mythe des romans policiers des années trente aux années cinquante, de Rouletabille à Nestor Burma, romans populaires addictifs. Au-delà de son atmosphère de roman noir rural, de la fécondité de sa plume lorsqu’il s’agit de faire vivre une forêt brumeuse à l’aube, la nuitée froide de chasseurs dans un pays rude, la fragilité de l’homme face à la nature, il nous plonge dans le mystère avec un grand M !
On veut savoir, comprendre, on tourne les pages comme celles d’un recueil de sorcellerie. Rémongeon, le gendarme, va devoir choisir. Une amie d’enfance est en danger, d’étranges choses se produisent, une collègue gendarme a été touchée, tirée comme un cerf, tuée, il va redevenir ce qu’il a toujours été, le fils de son père, d’une part, du sorcier qui sait tuer, faire le mal en invoquant les runes face à un cœur de bête ensanglanté, et aussi, revenir peu à peu à sa nature primitive, son pays.
« Un gendarme un peu sorcier ».
Il y a énormément de richesse, tant de niveaux de lecture dans ce roman, les racines, l’amour, les remords, la rédemption et l’acceptation de l’incompréhensible, mais là se trouve le centre de la toile ; l’homme face à la nature, sa nature, face au « pays », doit se faire humble et ressentir sa propre sauvagerie, ses peurs, et rabattre l’arrogance et la superficialité du citadin. La Bimbo est désacralisée, la femme nue réhabilitée, l’homme renaît du cœur de la forêt obscure.
Le mystère ne cesse de s’épaissir… la vérité se trouvera dans le fond d’une tombe.
« Il s’arrête, frappé par le spectacle du grand coiffé qui s’imprime en contre-jour sur l’arrière plan filandreux. L’animal s’est immobilisé et Fabrice a l’impression qu’il l’observe, lui, le coureur frêle, avant de lever la tête, jetant en arrière ses bois puissants aux nombreux cors « … » ( l’homme ) reprend sa course après quelques secondes de recueillement, chargé d’une énergie et d’une détermination nouvelle. »
« Je suis chez moi. »
« D’ombres et de flammes », beau, machiste et désespéré, roman des origines et des mystères… vous avez dit mystère ?
JOB
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