Chroniques noires et partisanes

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EN MOI LE VENIN de Philippe Hauret / Jigal.

Nous voilà plongés au cœur d’une campagne électorale d’une ville de banlieue, ou de province. Le sujet n’est pas véritablement la campagne en elle-même mais plutôt la corruption qui y a toute sa place et qui touche chaque strate de la société. C’est l’occasion pour Philippe Hauret de nous dépeindre des personnages blasés, moroses,  ou au contraire ambitieux et cyniques.

Nous suivons Franck Mattis, qui doit rentrer dans sa ville natale pour l’enterrement de ses parents. Ce retour aux sources l’oblige à se questionner sur sa vie, sur ce qu’il veut faire, il est dans une situation où il est bien plus simple de répondre à  l’appel de la bouteille qu’à vraiment prendre des décisions pour réorienter le cours de sa vie.

Il va ainsi croiser ses anciens amis, leurs parcours de vie pouvant être diamétralement opposés, ils se retrouvent tous en ce même endroit, cette ville qui les a forgés. Certains ont mieux réussi que d’autres mais à quel prix ?

Le trait commun à chacun des protagonistes est l’extrême solitude dans laquelle ils se retrouvent. Ben l’ami d’enfance, devenu un vrai geek, sans ami, sans vie sociale, qui se contente de vivoter jour après jour. Esther, qui a tout misé sur sa carrière et qui arrive à un moment de sa vie, où le regard en arrière est lourd : avoir tout sacrifié pour ça et seulement ça, pas de véritables amis non plus, sa vie c’est son boulot. Et son boulot actuel c’est de faire accéder à la mairie Maxence, candidat très extrême droite qui est prêt à tout pour arriver au pouvoir. Pour ce faire, rien de mieux que de s’acoquiner avec le mafieux local, ancien ami de lycée, qui semble avoir réussi : Valéry, propriétaire de boîte de nuit, proxénète sans aucun sentiment, sa seule faiblesse, son jeune amant Warren, qui ressemble plus à une poule de luxe qu’à un véritable partenaire.

Philippe Hauret se livre ainsi à une critique de notre société, où les individus sont désabusés, névrosés et ne parviennent à survivre qu’à grand renfort d’anxiolytiques et /ou d’alcool. Cette tendance n’épargne personne, chacun étant confronté à une violence physique ou psychologique. Les plus démunis n’ont aucun horizon, ils subsistent comme ils peuvent, et ceux qui s’en sortent cherchent à acquérir encore plus de pouvoir par tous les moyens possibles afin d’asservir les autres. 

Le bonheur n’est qu’une utopie dans ce livre, inaccessible à tous, la solitude est le lot de chacun. L’amour n’est qu’un mirage, qui ne permet que d’entrevoir un semblant de bonheur pendant quelques heures. Tout est noir, sinistre, glauque et aucun espoir n’est permis. Vous l’aurez compris, Philippe Hauret a un regard sur notre monde plutôt déprimant, et il nous le dépeint avec un rythme assez lent, à l’image de la vie de ses personnages, qui semble parfois avoir été mise sur pause.

Il s’agit sans aucun doute d’un roman noir qui n’épargne aucune catégorie sociale, aucun environnement, sans aucune éclaircie pour personne.

Marie-Laure



JE SUIS UN GUÉPARD de Philippe Hauret / Jigal polar.

La sempiternelle question, l’infini débat, de la définition du polar reste posée. Dans une cascade de dominos, quel est le prépondérant le premier ou le dernier? Et c’est dans cet « affrontement » de deux couples dépareillés que les cartes sont rebattues. Il y a un manifeste manichéisme dans ce récit avec un couple que l’on pourrait étiqueter de gauche et l’autre de droite. C’est aussi par ce prisme que le roman sociétaire s’exprime, il s’exprime d’autant plus dans cette dualité et cette opposition que dans les parcours de vie, où le chaos reste néanmoins plus prononcé pour le premier couple. Ce sont donc des fracturés de l’existence qui font face à un duo ayant connu un tracé plus linéaire. Pas de caricatures, de poncifs ni de raccourcis mais bel et bien un texte brut qui peu à peu revêt tous ses sens…

«Le jour, Lino, employé anonyme d’une grosse boîte, trime sans passion au 37e étage d’une tour parisienne. La nuit, dans son studio miteux, il cogite, désespère, noircit des pages blanches et se rêve écrivain… Un peu plus loin, Jessica arpente les rues, fait la manche et lutte chaque jour pour survivre. Deux âmes perdues qui ne vont pas tarder à se télescoper et tenter de s’apprivoiser, entre désir, scrupule, débrouille et désillusion… Jusqu’au jour où Jessica fait la connaissance de Melvin, un jeune et riche businessman qui s’ennuie ferme au bras de la somptueuse Charlène. Deux univers vont alors s’entremêler pour le meilleur et surtout pour le pire… »

En débutant ce roman, j’ai eu cette impression personnelle, sans réelle explication, d’être devant un film d’Altman. Comme une sorte de « Short Cuts », tel les détails d’une planche contact, traduisant un chemin de vie semé d’embûches et de verrous, on assiste avec une certaine colère à ce que le déterminisme a de plus vil et violent. Il y a pourtant des inflexions, des ouvertures pour casser l’inéluctable. On aime à penser, à espérer, que le romanesque triomphera du cadre social et sociétal.

Mais Philippe Hauret ne semble pas calculer, il écrit pour respirer, il exprime la brutalité des idéaux frustrés. En évoquant sans fariboles ni contorsions des personnages vivant du lest de leur passé, il tente de leur offrir un avenir où les couleurs apparaîtront. Et c’est quand la dernière pièce du domino tombe que l’on comprend ce que le noir évoque. Son guépard est le fruit d’une enfance meurtrie, elle engendre  la révolte et le refus d’un quelconque cadre.

La banalité magnifiée!

Chouchou

 

QUE DIEU ME PARDONNE de Philippe Hauret / Jigal polar.

Il y a le blanc et le noir, il y a le yin et le yang, la raison et l’action, la radicalité et l’humanisme, il y a la componction et l’impénitence. Les dualités sont au cœur constant de notre société et pour certains ce sont des occasions de construire et pour d’autres d’anéantir. Tout un chacun possède cette capacité de réflexion dans cette dimension inextinguible d’évolution au sein d’une communauté. On se retrouve face à des personnages qui s’opposent par leurs classes sociales, leurs statuts professionnels et sociales, leurs visions de l’existence. L’enquête n’est pas le cœur du récit et les flics ont « naturellement » en leur sein les personnalités disparates constituant notre société. Et l’engrenage impitoyable noir de jais broiera des trajectoires, des rêves, anéantira des idéaux, révélera des déviances lytiques.

« Ici, une banlieue tranquille, un quartier résidentiel et ses somptueuses maisons dans lesquelles le gratin de la ville coule des jours paisibles… À quelques encablures, une petite cité, grise et crasseuse. Avec sa bande de jeunes désœuvrés qui végètent du matin au soir. Deux univers qui se frôlent sans jamais se toucher.

 D’un côté, il y a Kader, le roi de la glande et des petits trafics, Mélissa, la belle plante qui rêve d’une vie meilleure… De l’autre, Rayan, le bourgeois fortuné mais un peu détraqué… Et au milieu, Mattis, le flic ténébreux, toujours en quête de rédemption.

 Une cohorte d’âmes égarées qui n’auraient jamais dû se croiser… Des destins qui s’emmêlent, des illusions perdues, des espoirs envolés… Et puis, cette petite mécanique qui se met en place comme une marche funèbre… implacable ! »

Sans coup férir le saut dans la mer banlieusarde est profond et rude. Tout aussi prestement, on s’attache à des personnages qui suintent le bon faisant face au désarroi, au désoeuvrement, à l’absence de part onirique ou à son excès. Les hommes se livrent pour se délivrer d’un carcan instrumentalisé par nos politiques déracinés du terrain de  nos quotidiens. C’est bien dans ce condensé littéraire d’une réalité crue que Philippe Hauret puise le message d’espoir d’une société exsangue, gangrenée par l’arrivisme, l’abandon de valeurs, le refus d’accepter et de comprendre son prochain.

La lumière attire les borgnes et l’angélus refoule les parvenus. Sans parasite, le récit se tend d’une inéluctable dramaturgie en invectivant son lecteur d’une salvatrice parabole grattant la preuve que la clarté est universelle. Et de nouveau, au travers d’un personnage déchiré par un trouble dissociatif, Rayan, les symboliques récurrentes de nos sociétés émergent, trouvent appui, pour perpétrer l’irréparable.

La nuance est vaine, la réalité est dure, sans écho, sans ébauche d’une quelconque leçon. Le drame est ancré et Hauret cloue au pilori nos immuables oppositions vérolées d’une concorde.

(petit bémol pour l’avant dernier paragraphe semblant sorti de nulle part et brisant quelque peu la cohérence, de fil directeur)

Que Dieu lui pardonne, ça reste à voir !…

Contrition ravageuse d’un cumulus gonflé d’une haine ébène.

Chouchou.

 

JE VIS, JE MEURS de Philippe Hauret / Jigal Polar

« C’est en noyant sa soixantaine désabusée dans un bar de quartier que Serge croise les yeux de Janis la première fois. Elle est jeune, jolie, serveuse de son état mais en proie à la violence quotidienne de son petit ami. De confidences en services rendus, de regards en caresses rêvées, une étrange amitié va alors se nouer… De son côté, l’inspecteur Mattis est proche de l’implosion. Divorce, alcool, sexe et dettes de jeux, un grand classique qui dégénère en spirale infernale. S’il tient encore à la vie, il commence sérieusement à être à court d’arguments ! En enquêtant sur une affaire de deal dans une cité, il croise la route de José, le fameux petit ami qui tient ici le business de la dope. Incidemment, l’engrenage vient de se mettre en place : l’espoir d’une autre vie, les rêves envolés, le fric, la violence, les flingues, la cavale… »

Jigal, on aime bien à Nyctalopes. Jimmy Gallier dénicheur de talents, n’a pas son pareil pour nous faire découvrir de bon auteurs français, des mecs hors mode, hors des circuits parisiens où parfois on « construit » des réputations où on se pâme devant des bouquins qui ne valent pas tripette. Ici, ce « Je vis, je meurs », une fois entamé, difficile de le lâcher tant Philippe Hauret avec ses personnages criants de vérité au point que vous pourriez les connaître vous entraîne de suite dans leur désespoir, leur ennui, leur mal de vivre. Vous savez pertinemment qu’il y aura de la casse, que ces inconscients, ces naufragés n’en sortiront pas tous indemnes évidemment, malheureusement et vous ne pouvez plus lâcher le bouquin.

Premier roman déjà sacrément virtuose tournant autour de deux hommes: Serge qui s’imagine une nouvelle vie bien plus belle que son existence de retraité solitaire avec sa caisse pourrie et son morne pavillon et Franck Matthis le flic qui s’enfonce en ne voyant pas l’éclaircie possible. Tous deux sont aveugles et c’est cette cécité qui va créer un roman à lire si vous appréciez la littérature noire vraie, authentique, sans aucun artifice racontant des drames ordinaires de gens eux-aussi bien ordinaires que vous cotoyez tous les jours sans les voir.

Point de gros coups d’éclat, juste des existences poissardes avec des issues très prévisibles et pénibles de banalité et puis soudain l’engrenage à cause d’un sourire, d’un regard qu’on s’imagine si lourd de sens qu’il devient tellement porteur et qu’on en oublie son âge et vogue la galère pour Serge tandis que pour Franck c’est la fuite aidée par l’alcool, une noyade dans les bars, le dégoût de soi, de la vie gâchée et une échéance prochaine terrible. Tout respire la vraie vie dans l’écriture de Philippe Hauret, observateur pointu de ses contemporains. A de maintes reprises je me suis vraiment identifié aux personnages, ai été percuté par la pertinence des réflexions, par la justesse des sentiments et ai été épaté par l’humanité et la bienveillance d’un Philippe Hauret nouvelle belle voix du roman noir social.

Finement juste.

Wollanup.

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