Traduction: Jean-Paul Gratias

« Je ne m’étais pas si mal conduit envers elle d’ailleurs. Oui, je l’avais tuée, mais on doit tous mourir un jour. C’est inévitable. Je ne lui avais rien fait qui ne lui serait pas arrivé un jour ou l’autre, de toute façon. »

Peter Loughran n’avait qu’un seul roman à son actif en France, le culte “London Express” sorti à la Série Noire en 1967 et qui fut au cœur d’une polémique autour de la paternité de l’oeuvre, certains pensant que c’était l’éditeur Pierre Duhamel qui l’avait lui-même écrit sous pseudonyme. Auteur bien mystérieux, Loughran, a depuis complètement disparu de la circulation, personne ne sait ce qu’est devenu cet auteur né en 1938 à Liverpool. On peut d’ailleurs lui trouver une certaine ressemblance avec un dénommé John Lennon, autre figure liverpuldienne célèbre au destin tragique.

“Jacqui” est un roman de 1984 exhumé par les éditions Tusitala comme tant de bons romans sortis avec une trop grande parcimonie par cet éditeur. Nyctalopes étant actuellement victime d’attaques sur notre objectivité de la part de médiocres jaloux et d’aigris séniles, d’abord merci à ses pauvres bouffons, clodos du web, parce que bien plus que la calomnie, c’est l’indifférence des lecteurs qui plombe un blog et donc, par ailleurs , plus aucune raison de se priver pour faire des éloges sans ambiguïtés aux maisons d’édition qui nous font vraiment kiffer. Et Tusitala, pour les amateurs de Noir, très loin du mainstream imposé et abondamment encensé, c’est vraiment, à chaque fois, du premier choix. Bon, c’est vrai que parfois, la lecture pique un peu, cogne gravement, ébranle, dérange, tout est histoire de tolérance à l’horreur racontée dans ces tranches de vie de familles foutraques ricaines ou britanniques comme dans “Jacqui”.

Jacqui, c’est la petite copine du narrateur, chauffeur de taxi londonien, cockney réac de base, râleur, moralisateur, profondément misogyne, et prototype de l’ Anglais moyen des années 80 voulant créer une famille heureuse avec enfants jouant le soir dans le jardin sous le regard attendri et attentif  de leur mère, tous attendant le retour du taxi héros.

Le narrateur a mis Jaqui enceinte et peu importe qu’elle soit en train d’entamer comme sa grand-mère, sa mère et sa soeur une carrière de prostituée, il l’épousera et la fera retrouver le droit chemin de la vie par son exemple et les leçons qu’il lui prodiguera. Mais la môme a dix huit ans, n’en a rien à foutre de son mec, de sa maternité, veut vivre sa vie et surtout baiser comme bon lui semble et le plus souvent possible de manière rémunérée ou pas. Notre héros est un peu à l’ouest et bien sûr, il va finir par tuer Jaqui et on le sait dès l’entame car le roman commence par un cours magistral mais didactiquement pointu sur les différentes manières de se débarrasser d’un corps… à hurler de rire, un pur moment de rock n’ roll, du noir qui tache durablement.

Dans une première partie, le narrateur nous raconte et c’est souvent hilarant son histoire avec Jacqui jusqu’à ce qu’il l’étrangle. Doté d’une morale proche de la nôtre et parfois ses discours font mouche, notre taxi est néanmoins différent, s’offusque de choses insignifiantes et accommode d’épisodes particulièrement humiliants créant des passages vraiment hilarants.

Dans une deuxième partie du roman qu’il est préférable de lire loin des repas, nous suivons la quête du héros pour se débarrasser du corps de Jacqui et de celui du fœtus … et là, c’est quand même, sans être franchement gore dans les descriptions, suffisamment duraille pour légitiment épouvanter les lecteurs les plus fragiles ou les moins habitués à ce genre de romans aux outrages à outrance.

“Jacqui”, par son humour noir, par sa vision d’un mec qui passe d’un état de folie latent à un explosion de démence, est un roman qu’on ne mettra pas entre toutes les mains mais qui offre un très, très grand moment de lecture, un vrai, au lecteur averti.

Pépite!

Wollanup.