Chroniques noires et partisanes

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LE PRÉSAGE de Peter Farris / Gallmeister

The Bone Omen

Traduction: Anatole Pons-Reumaux

Cynthia Bivins rend souvent visite à son père, Toxey, dans une maison de retraite de Géorgie. Un jour, alors que l’Amérique est tombée sous la coupe d’un homme politique violent et sans scrupules, le vieil homme décide qu’il est temps de partager son secret.

L’histoire commence des décennies plus tôt. Tout juste sorti de l’adolescence, Toxey se rêve photographe ; d’ailleurs, ses clichés se vendent déjà à l’épicerie locale. Un jour, une jeune femme est retrouvée morte dans la réserve naturelle voisine, la Lokutta. Elle était enceinte, mais il n’y a aucune trace de l’enfant. L’affaire ne plaît pas du tout à l’héritier de la riche famille Reese, qui possède tous les bois jusqu’à la Lokutta. Elder Reese, qui a bien des choses à cacher, joue gros, car il s’est lancé en politique et se voit déjà sénateur. Quand Toxey s’aventure dans la réserve pour y prendre des photos, il s’expose à la colère du clan. 

Il m’aura fallu du temps pour lire enfin un livre de Peter Farris, que je connais vaguement comme l’un des chanteurs du groupe Cable, mais dont on m’a dit du bien en tant qu’écrivain. Vieux motard que jamais, non ? J’ai donc troqué le lapin de Chung Bora pour le cerf de Peter Farris. Le présage est son quatrième roman chez Gallmeister et pour l’instant non publié aux Etats-Unis. 

Avec certains livres, on peut déterminer dès les premières pages qu’on ne le lâchera pas – et ce sans le moindre effort – avant d’en voir la fin. Juste une impression, qui ne fait pas dire que le livre est excessivement bon, mais qu’il aura au moins le mérite d’être fluide et limpide. Le présage est de ceux-là. 

On embarque dans l’état de Géorgie, aux Etats-Unis, où la vie d’un certain Toxey s’apprête à être bouleversée par une tragédie et où il ne fait peut-être pas si bon vivre. Un événement qui ne sera que les prémices d’un basculement à venir du pays dans une dérive politique fasciste et autoritaire, avec l’avènement d’un politicien corrompu (Elder Reese) qui n’est pas sans rappeler d’autres personnages biens réels, et dont la trajectoire à de quoi faire frémir. En toile de fond on peut également percevoir un certain chaos du même ordre dans d’autres parties du globe. Disons ce qui est, le monde dépeint ici par Farris n’est pas bien jouasse, et ce sans être très éloigné de celui d’aujourd’hui dans lequel nous vivons. Il y a quelque chose de pourri dans l’air, c’est évident, et il n’y qu’à observer les cerfs du coin qui n’ont pas la grande forme…

Le présage a ses faiblesses. L’histoire est attendue, prévisible, et laisse plus ou moins une impression de déjà lu, néanmoins parfaitement dans l’air du temps. On comprend vite où Peter Farris veut nous emmener et il ne nous réserve pas de réelles surprises. Il suit un chemin bien balisé. Pour ce qui est des personnages, ils n’échappent pas toujours aux clichés du genre, tout en restant crédibles. Mais ce n’est pas aussi vilain qu’il n’y paraît. Ces défauts pourraient potentiellement nuire à la qualité du livre si Farris ne maîtrisait pas si bien son récit. La véritable force de son roman réside dans sa construction efficace, et particulièrement dynamique, qui le rend aussi solide que cohérent. 

Peter Farris signe avec Le présage un roman complètement dans l’actualité et dont le savoir-faire ne manquera pas de remporter la faveur des lecteurs. Les amateurs du genre seront certainement comblés. Pour du noir, c’est noir, et sans beaucoup d’espoir même si pas totalement désespéré non plus. Mais il faut reconnaître qu’après la pluie, vient quand même souvent la pluie…

Brother Jo.

PS: LE DIABLE EN PERSONNE, DERNIER APPEL POUR LES VIVANTS, LES MANGEURS d’ARGILE .

LES MANGEURS d’ARGILE de Peter Farris / Gallmeister.

The Clay Eaters

Traduction: Anatole Pons.

Peter Farris fait partie des auteurs ricains qui ont débarqué chez nous depuis quelques années et qui doivent à Gallmeister leur reconnaissance en France. Troisième roman pour Peter Farris, tout comme Benjamin Whitler, l’autre grosse pointure de la collection de l’éditeur alsacien consacrée aux polars ruraux américains. 

Après DERNIER APPEL POUR LES VIVANTS et LE DIABLE EN PERSONNE finaliste en 2018 du grand prix de la littérature policière, LES MANGEURS d’ARGILE vient confirmer le talent déjà souligné de l’auteur originaire de Georgie.

“À quatorze ans, Jesse Pelham vient de perdre son père à la suite d’une chute mortelle dans le vaste domaine de Géorgie qui appartient à sa famille depuis des générations. Accablé, il va errer dans les bois et se rend sur les lieux du drame. Là, il fait la rencontre de Billy, un vagabond affamé traqué depuis des années par le FBI. Une troublante amitié naît alors entre cet homme au passé meurtrier et le jeune garçon solitaire. Mais lorsque Billy révèle à Jesse les circonstances louches de l’accident dont il a été le témoin, le monde du garçon s’effondre une deuxième fois. Désormais, tous ceux qui l’entourent sont des suspects à commencer par sa belle-mère et son oncle, un prêcheur cynique et charismatique. Alors que le piège se referme, Jesse se tourne vers Billy.”

Peter Farris a choisi la Bible Belt et ses cohortes de bigots naïfs comme cadre et cette Georgie bien ingrate est souvent décrite par un auteur dont les racines sont bien ancrées dans l’argile de la région. Choisissant de développer deux intrigues, combinées toutes deux à des flashbacks, Peter Farris impose un rythme effréné à une intrigue particulièrement meurtrière dans son final. Le roman est garanti à 0% meth et donc si les salauds sont bien de sortie, ils ne sont pas totalement exempts de cerveau et permettent une réflexion sur la guerre, sur le survivalisme, les liens du sang et bien sûr “last but not least” la religion. 

Sans être un roman qui fera véritablement date, “Les mangeurs d’argile” confirme les talents de conteur de Peter Farris, auteur en passe de devenir incontournable pour les amateurs du genre.

Wollanup.


LE DIABLE EN PERSONNE de Peter Farris chez Gallmeister

Traduction : Anatole Pons.

Peter Farris vit en Georgie, où se déroulent ses romans. Après ses études à Yale, il est devenu chanteur dans un groupe de rock plutôt bruyant et a travaillé comme guichetier dans une banque où un braquage lui a inspiré son premier roman  Dernier appel pour les vivants. Chose étrange, son deuxième roman « Le diable en personne » n’est pas paru encore aux Etats-Unis, il n’a peut-être pas trouvé d’éditeur. C’est donc en France, chez Gallmeister que le livre commence sa vie.

« En pleine forêt de Géorgie du Sud, au milieu de nulle part, Maya échappe in extremis à une sauvage tentative d’assassinat. Dix-huit ans à peine, victime d’un vaste trafic de prostituées régi par le redoutable Mexico, elle avait eu le malheur de devenir la favorite du maire et de découvrir ainsi les sombres projets des hauts responsables de la ville. Son destin semblait scellé mais c’était sans compter sur Leonard Moye, un type solitaire et quelque peu excentrique, qui ne tolère personne sur ses terres et prend la jeune femme sous sa protection. Une troublante amitié naît alors entre ces deux êtres rongés par la colère. »

Peter Farris nous entraîne dans une histoire noire et violente et pas de doute, c’est un conteur hors pair. Son écriture est simple et puissante avec un grand sens du rythme et il alterne des scènes d’action qui dépotent, des situations cocasses et des moments de grâce avec un égal talent.

Il nous plonge dans les bas-fonds d’une Amérique glauque où de très jeunes filles sont transformées en esclaves sexuelles sans aucun scrupule. Mexico choisit sa marchandise, achetant des gamines, les enlevant au besoin pour répondre aux commandes de ses clients, riches et puissants. La description de ce réseau de prostitution, affaire florissante gérée sans aucun état d’âme fait froid dans le dos car elle sonne juste. Peter Farris nous offre une belle palette de méchants, pervers ou abrutis et le maire de la ville, meilleur client de Mexico est un spécimen particulièrement réussi de pourri puant et corrompu. Il lui facilite le travail et les affaires prospèrent au point qu’ils investissent jusque dans le comté de Trickum.

C’est là que Maya doit disparaître et c’est là que vit Leonard Moye, avec un mannequin de couture pour toute compagnie, volontairement isolé des hommes qu’il ne porte pas dans son cœur. Maya et Leonard sont deux écorchés vifs et leur rencontre va donner lieu à de beaux moments, parfois drôles. Maya qui pour la première fois de sa vie n’est pas un simple objet sexuel, Leonard peu à peu tiré de sa solitude, ramené vers l’humanité. Peter Farris peint deux beaux personnages, humains et attachants.

Il décrit également le comté rural de Trickum et la petite communauté qui y vit : tout le monde se connaît, les ragots vont bon train et les rancœurs sont tenaces. Comme partout ailleurs il y a des braves gens et des pourris, des paumés et des profiteurs mais il y a aussi la nature sauvage de Georgie, dont Peter Farris parle de belle manière. Les animaux, la forêt, les grottes… qui peuvent apaiser et protéger mais servent parfois la folie et la furie des hommes.

Un très bon roman noir qu’on lit d’une traite.

Raccoon.

DERNIER APPEL POUR LES VIVANTS de Peter Farris /Gallmeister

Sans élaborer un bilan supplémentaire de l’année écoulée, on peut néanmoins déclarer que la collection NEO NOIR de Gallmeister a été le grand succès critique de 2015 et j’ose espérer que l’engouement public a été similaire. Parrainée par un Benjamin Whitmer à qui ,avec « Pike »en 2013, on doit l’arrivée de polars propulsés par la meth dans une maison plutôt spécialisée jusqu’alors dans le Nature Writing. Caractérisé par des épisodes particulièrement violents mettant en scène les pire penchants des pire individus blancs péquenauds du Midwest ou du Deep South se distinguant très souvent dans de piteuses histoires de braquages et de dope et par un humour noir assez ravageur si on arrive à supporter certaines scènes de barbarie,Neo NOIR fait le job et plutôt deux fois qu’une.

Alors, il serait finalement assez déplacé de mettre dans le même sac tous ces auteurs qui profitent finalement d’une mode un peu longuette, à force, des polars ruraux privilégiant des histoires où les pire atrocités commises semblent être le fait de la connerie congénitale,de la misère sociale et de la consommation et du trafic de meth. J’ai déjà écrit plusieurs fois mon admiration pour la prose de Whitmer et bien sûr le poignant « Cry father » malgré un cadre quasiment identique ne peut pas être comparé à « Frank Sinatra dans un mixeur » comédie gore écrite et revendiquée par Matthew McBride dont le prochain roman sera d’ailleurs beaucoup plus grave et, hélas aussi sans l’inénarrable Nick Valentine et son ersatz de chien (un yorkshire ressemble,de loin,à un chien mais ce n’est pas un chien!).

Pour cette dernière sortie de l’année, Les trouducs ricains,toujours,mais aussi deux histoires possibles:façon Larry Brown misère,violence,douleur de l’absence et du deuil mais aussi compassion,respect de l’individu et rédemption ou à la manière de Frank Bill misère,drogues,violence et crises de rire parfois un peu coupables.

A sa sortie, le résumé parlant de braquage,de trahison,de butin et de fraternité aryenne auquel on peut ajouter la présence de deux éclairs de triste mémoire sur la couverture m’avaient convaincu que j’avais lu suffisamment d’histoires de ce genre pour le moment et j’ai eu tort et il temps pour moi de tenter de réparer cet oubli.

« Pour Charlie,ce ne devait être rien d’autre qu’une banale journée de travail à la banque. Pour Hicklin, ce ne devait être qu’un casse de plus. Histoire de se refaire un peu à sa sortie de prison. Pour sa petite amie accro au crack, peu importe, puisque de toute façon rien ne se passe jamais comme prévu. Surtout si, dès le départ, on tente de doubler ses partenaires de la Fraternité aryenne. Et puis pourquoi prendre le jeune guichetier en otage ? Maintenant, combien de temps faudra-t-il aux flics et aux membres du gang pour les retrouver ? »

Passionnant roman avec des personnages particulièrement mauvais et déterminés et des victimes qui sont forcément nées sous une mauvaise étoile en plus de vivre au mauvais endroit,la lecture se fait d’une traite jusqu’à la moitié d’un bouquin qui s’apparente presque, ,j’ai dit presque, à une sympathique série B et puis boum,une énorme surprise nous expédie vers un autre univers classique de la littérature américaine, la relation entre parents et enfants,la recherche d’un lien qui n’a jusque là jamais existé. Et si le cocktail sur-vitaminé;coups,torture,meurtre,viol,séquestration,flingues continue à faire efficacement son effet,il y a une toute autre histoire en cours qui crée une incertitude quant aux agissements d’un Hicklin jusqu’alors très prévisibles.

Cette belle surprise,au milieu de nombreux rebondissements violents, incite,par la suite, à une lecture beaucoup plus lente,plus réfléchie, mais non moins tendue et crée au final un roman hautement recommandable dans ce genre et nul doute que le retour de Farris est maintenant très attendu après cette histoire bien rude qui pue la peur,la testostérone,le sang et la poudre.

Wollanup.

PS:extrait de la carrière de Peter Farris dans le rock au sein de son groupe CABLE.Perso, je préfère quand il écrit…

 

 

 

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