Traduction: Emmanuelle et Philippe Aronson
Ex-scénariste à succès et ex-junkie, voici Jerry Stahl cloué à un lit d’hôpital alors qu’il vient d’être opéré des testicules pour cause de résidus toxiques laissés par une consommation exubérante de drogues. Circonstances idéales pour se pencher au-dessus du gouffre de ses années d’addiction et purger ses péchés.
Découvert cette année avec le brillant NEIN, NEIN, NEIN ! La dépression, les tourments de l’âme et la Shoah en autocar publié chez Rivages, je n’avais depuis qu’une seule envie, en lire plus de Jerry Stahl. Avec la parution de Permanent Midnight en poche, publié en 1995 aux Etats-Unis, puis en 2010 en France par les regrettés 13e Note et alors sous le titre Mémoires des ténèbres, c’est l’occasion parfaite pour me plonger plus encore dans son œuvre.
Si vous ne vous êtes jamais drogué, il est peu probable que Jerry Stahl ne vous donne envie de vous y mettre. Si vous vous êtes déjà drogué dans des proportions similaires, vous n’aurez probablement pas envie de vous y remettre après cette lecture, si tant est que vous ayez réussi à décrocher. Et si vous cherchez un livre à mettre entre toutes les mains et à ne surtout pas mettre entre toutes les mains, Permanent Midnight est certainement celui qu’il vous faut. Accrochez bien votre ceinture car Jerry Stahl nous embarque pour un voyage qui secoue violemment, celui de sa propre descente aux enfers, qu’il nous raconte sans filtre et avec un sens de l’humour parfaitement corrosif. Certains doivent probablement penser qu’il faut être un peu masochiste pour avoir envie de lire les confessions d’un polytoxicomane qui écrit avec une aiguille plantée dans le bras. Ce que je peux comprendre. Mais s’en priver, c’est risquer de passer à côté d’un (très très) bon livre, qu’importe le sujet et même si cela doit remuer des choses difficiles.
Quelqu’un à qui j’ai recommandé Permanent Midnight avant même de l’avoir terminé m’a dit que c’est un peu du Bukowski avec la dope à la place de l’alcool. Il y a définitivement de cela. A ça s’ajoute l’esprit gonzo sauce Hunter S. Thompson. On peut aussi faire un rapprochement avec le William S. Burroughs de Junky. Une certitude c’est que Jerry Stahl est clairement à la hauteur de ces quelques noms cités.
Le Jerry Stahl de Permanent Midnight est un scénariste reconnu pour son talent. Il est demandé et est capable de gagner des sommes non négligeables d’argent, jusqu’à 5000 dollars par jour. Il est également marié, finit par avoir une petite fille et vit dans une belle grande maison. Mais il y a l’envers du décor. Une double vie menée par notre auteur. Une vie de junkie tourmenté d’une profonde solitude. Son argent et celui d’autres personnes, il le claque pour s’enfiler des quantités monstrueuses de drogues. Une consommation qui régit et empoisonne sa vie. Cette vie d’addict il nous la raconte dans toute sa brutalité, son absurdité et sa laideur, en ne nous épargnant aucun détail. C’est très cru et parfois très glauque. Il est difficile d’oublier des scènes telles que Jerry se rendant sur un deal d’héroïne dans un endroit sordide avec son bébé dans les bras, ou encore se piquant devant la même enfant, en espérant que celle-ci ne s’en souvienne jamais. Tout ça toujours sur le ton de l’humour bien noir, nous menant vers de grands moments de rire quand bien même nous sommes portés par un profond désespoir. Il se met à nu, sans jamais chercher à paraître à son avantage et en semblant toujours honnête.
Les années défilent, les quantités de dope aussi mais sans mener pour autant à une fin du livre moraliste et pleine d’espoir, comme cela peut souvent être le cas. En fait, il n’y a pas de véritable dénouement. Si Jerry Stahl s’en est sorti depuis, les dernières pages laissent entendre que rien n’est gagné et que, malgré les multiples tentatives de décrocher, c’est le travail d’une vie qui lui reste à accomplir.. Et puis, quelles dernières pages ! Avec un Jerry Stahl à l’agonie, complètement paumé en pleines émeutes à Los Angeles, qui écrit : « JE SUIS UNE VILLE EN RUINE, je m’entends déclarer à un moment donné. JE BRÛLE MAIS NE PEUX PAS ME CONSUMER… ».
Dans son genre, Permanent Midnight est un chef-d’œuvre. Un classique voué à faire éternellement référence dans une certaine littérature de la drogue mais dont la portée va bien au-delà. Une lecture aussi tragique que comique qui reste gravée en mémoire. Il serait peut être sensé de dire aux âmes sensibles de s’abstenir, pour autant, je vous le dis sans détour, c’est un livre à lire absolument.
Brother Jo.
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