Ayant trop peur de ma maladresse pour évoquer ce roman, je préfère d’emblée balancer les louanges que l’on place généralement en fin de recension : “un nom à retenir!”, “coup de cœur” « A suivre”… Espérons que “Les abattus” premier polar puissant et original de la dramaturge Noëlle Renaude contribuera à sortir un peu de sa torpeur le polar français.
“Un jeune homme sans qualité relate ses années d’apprentissage entre 1960 et 1984 dans une petite ville de province, au sein d’une famille pauvre et dysfonctionnelle. Marqué par la poisse, indifférent au monde qui l’entoure, il se retrouve néanmoins au centre d’événements morbides : ses voisins sont assassinés à coups de cutter, son frère cadet commet un braquage et disparaît avec le magot, des malfrats reviennent régler leurs comptes, une journaliste qui enquêtait sur le narrateur est retrouvée noyée, etc.”
Il est souvent difficile de parler d’un roman qui vous a bien cogné. Parfois, il est même impossible de vraiment savoir ce qui a bien pu vous séduire dans une histoire. Bien sûr, le parcours du narrateur dont on ignore le nom, de 1960 à 1984, j’ai fait le même chemin et l’évocation de l’époque aurait pu me séduire mais on ne trouve que très peu de références temporelles à part les J.O. de Munich en 72, des mouvements insurrectionnels en Iran et de manière beaucoup plus accentuée les débuts du HIV. Pas de réelle Madeleine de Proust à se mettre sous la dent ici. Le décor est réduit à sa plus simple expression, aucune indication de lieu, aucun patronyme pour les membres de la famille. Ce minimalisme oblige à une focalisation très pointue sur le malheur, l’abattement, les destins boiteux, les agissements aveugles ou stupides…concentrer le lecteur sur les existences à l’arrêt, stimuler l’imaginaire comme dans le théâtre Nô. Et puis le spleen, le malheur, la tristesse, la folie, le désespoir, le seum, le terrible taedium vitae, la chape de plomb, l’enfer avant la mort pour ces damnés.
De la noirceur crasse, dégueulasse, la pauvreté économique, la misère intellectuelle, une famille de cassos qui essaie de survivre avec des parents bien dézingués. Toutes proportions gardées, le début, c’est du Flannery O’Connor et on sait très rapidement que le roman ne va pas baigner dans l’euphorie et que sa lecture ne sera pas de tout repos. Dans cette assemblée de tarés, de ratés, de malades, arrive notre narrateur, touchant par certains côtés, se battant pour rester la tête hors du caniveau malgré le marasme, l’indifférence voire le mépris des autres, les souffrances qu’il endure, sauvé de temps en temps par une enseignante qui voyant son potentiel veut lui éviter le même monde que sa fratrie et ses parents. Un personnage qui endure son calvaire, seul, froidement comme un parcours inévitable, incontournable dans la vie. “Un animal à sang froid, peu attachant, un drôle de garçon quand il y pense, qui parle peu, qui est poli, sans plus…”
Voilà un roman qui pourrait n’être que la chronique très dure d’un enfant puis d’un adulte de la fin du XXème siècle si ne s’accumulaient autour de lui, dans son sillage, des tragédies, des horreurs et des meurtres. Articulé en trois parties très inégales dans la densité: les vivants, les morts et les fantômes, le roman est un véritable polar qui se double d’une dimension sociale avec le portrait d’une France provinciale des petites villes avec ses gueux, ses prolos et ses nantis de la bourgeoise locale, deux mondes, deux entités qui se côtoient mais ne se mélangent pas. Le style peut paraître bien quelconque, il ne l’est pas, parfaitement adapté aux tragédies qui peuplent le roman, au discours des personnages qui s’y perdent, s’y débattent avec leurs monstres intimes.
C’est douloureux mais c’est bien, très bien, dans le monde de Fajardie et pas loin de l’univers de la douleur muette et lancinante de James Sallis, et ouais !
Clete.
PS: un seul point noir, la couverture bien naze et hors sujet.
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