Le thriller n’est pas vraiment le sous-univers du noir que nous privilégions à Nyctalopes.com. Cependant lorsque l’un d’entre eux s’avère plus prenant que les autres, vous accroche rapidement et durablement et que de surcroît il est l’oeuvre d’un jeune auteur français Nicolas Leclerc dont c’est le deuxième roman après “Le manteau de neige”, il nous paraît normal de le mettre un peu en lumière, de vous en faire en profiter.
Thriller efficace et particulièrement explosif, “La bête en cage” est aussi et peut-être avant tout un excellent polar rural. Nichée dans la montagne du Jura, l’histoire montre, car il le faut bien que quelqu’un le rappelle de temps en temps, que la France dite “périphérique” n’est pas peuplée de figurants d’une carte postale jaunie pour souvenirs de touristes de passage. Les gens y grandissent encore, y vivent toujours et y meurent aussi et ne considèrent pas leur existence comme une version française du “nature writing” de certains auteurs ricains.
« Le fossé entre les plus aisés et les laissés-pour-compte se creuse d’année en année, et les pompiers ramassent les morceaux, décrochent les pendus, extraient les alcooliques de leurs voitures broyées. »
Nicolas Leclerc montre la crise du monde rural, le chômage, l’exil, la galère, les services de l’état qui ont foutu le camp vers les villes, la politique agricole commune qui étrangle, les déplacement lointains pour atteindre Pôle Emploi ou les boîtes qui embauchent, l’obligation d’avoir une voiture. Les ennuis, les galères qu’on retrouve dans tous les territoires ruraux éloignés de la révolution de Macron et de son cirque du nouveau monde et comme partout les mêmes plaintes que le pouvoir a entendus pour la première fois quand les “gilets jaunes” (salauds de pauvres) sont allés sur les ronds-points.
“Samuel, éleveur laitier du Jura, accumule les dettes. Sa seule échappatoire : s’associer avec son oncle et son cousin qui font passer de la drogue de la Suisse à la France pour le compte d’un réseau de trafiquants kosovars.
Mais le soir d’une importante livraison, rien ne se passe comme prévu : le cousin n’arrivera jamais jusqu’à la ferme de Samuel. Lancés à sa recherche dans la montagne enneigée, l’agriculteur et son oncle le découvrent mort au volant de sa voiture précipitée dans un ravin. Et le chargement de drogue s’est volatilisé…”
Dans ce monde de lutte, où l’existence se résume parfois à un combat pour boucler le mois, un grain de sable peut enrayer la machine, foutre en l’air les efforts pour rester unis contre vents et marées malgré le manque de thunes, malgré l’essoufflement de l’amour, malgré le chômage, malgré la dégueulasserie de la vie… Cent kilos de coke mettront le feu. La convoitise, l’espoir d’une dernière chance vont tout emporter dans un maelstrom de violence, de trahison, de sang, de pleurs, de morts orchestré principalement par une bande peu recommandable de Kosovars. Si les petits barons de la drogue s’y connaissent pour instiller la douleur et la terreur, ils verront néanmoins que les locaux se débrouillent très bien entre eux pour se faire des saloperies. La quatrième de couverture met en avant Samuel mais on a une belle main de personnages masculins: des victimes et des coupables, des héros et des gros salauds et puis tout se brouille, sauve qui peut… Et les femmes ne sont pas en reste: touchantes ou à claquer, colombes et hyènes et puis le même tableau mouvant de comportements troublants.
Le roman fonce, très cinématographique, éclaboussé par la violence aveugle des désespérés, électrisé par l’adrénaline pour la survie. On plonge dans le marasme avec Samuel, avec Chloé et franchement, on tremble pour eux. Et puis, au bout d’un moment, on ne s’interroge plus sur une éventuelle suite du roman tant on se demande qui sera encore debout à la fin.
“La bête en cage”, en tous points, un thriller réussi, un polar rural crédible aux personnages attachants. Recommandé !
Clete.
PS: Pas d’humour dans “La bête en cage” si ce n’est sur la couverture ornée de l’uniforme de rigueur des romans en 2021, un bandeau rouge d’un beau classicisme déclarant “stupéfiant”. Ah si, si, c’est forcément de l’humour, qualifier de stupéfiant un roman sur la coke.
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