Chroniques noires et partisanes

Étiquette : nathan hill

BIEN ETRE de Nathan Hill / Gallimard

Wellness

Traduction: Nathalie Bru

Franchement impressionné par son premier roman, la superbe fresque américaine Les fantômes du vieux pays paru en 2017, il était évident que roman noir ou pas, rien à faire, on ne pouvait que plonger aveuglément dans le second imposant roman de Nathan Hill, Bien être.

« À l’aube des années 1990 à Chicago, en pleine bohème artistique, un homme et une femme vivent l’un en face de l’autre et s’épient en cachette. Rien ne semble les relier — elle est étudiante en psychologie, lui photographe rebelle. Mais lorsqu’ils se rencontrent enfin, le charme opère et l’histoire d’amour démarre aussitôt entre Elizabeth et Jack. Ils ont la vie devant eux et, même si leurs rêves et leurs milieux divergent, ils sont convaincus que leur amour résistera à l’épreuve du temps. Mais qu’en est-il vingt ans plus tard ? »

Jack est universitaire dans le domaine de la photographie, dans l’extrême limite de l’art mais le job permet de vivre. Elisabeth est maintenant psy et gère sa clinique spécialisée nommée « Bien être » qui aide à « supporter » la vie aux gens qui ont de la thune et du temps à perdre pour se lamenter. Ils sont les heureux parents d’un joyeux bambin qu’Elisabeth verrait bien hpi mais qui se dévoile uniquement pénible. Tout semble, à peu de choses près, bien aller et leur destin de couple blanc américain plutôt nanti n’est pas le plus dur à porter dans ce pays. Mais le couple romantique qui s’est créé dans des petits appartements d’étudiants il y a plus de vingt ans n’a plus grand-chose à voir avec ce couple bobo d’aujourd’hui. Par de petits détails de leur vie, Jack va commencer à avoir des doutes sur leur devenir… Après le glam, le drame !

Et là vous vous dites, avec raison, que ce genre d’histoires de couples qui se déchirent, la crise de la quarantaine etc, vous en avez déjà lu beaucoup… Mais, parce qu’il y a bien sûr un énorme mais, un grand roman comme Bien être, pas certain que vous en lisiez un tous les ans…

Nathan Hill, étonnant conteur, ne s’attache pas réellement au futur du couple, préférant raconter Jack et Elisabeth maintenant et il y a vingt ans quand ils se sont liés pour remonter ensuite jusqu’à leur tendre enfance, leurs multiples environnements, leurs premières angoisses, interroger le désir de leurs parents, effectuant de divers brillants allers retours dans le temps. Précis parfois jusqu’à la manie, Nathan Hill, avec brio, tente de dévoiler les multiples facettes de la personnalité kaléidoscopique de ses deux héros. Il ne néglige aucun aspect, montre l’évolution de la passion amoureuse, du désir… n’omet aucune variable. Dans de multiples et brillantes digressions, Hill creuse dans des différents domaines scientifiques jusqu’au détail, va à la racine, cherchant le petit truc physique ou affectif qui aurait pu plomber l’avenir, tentant de répondre à la réflexion d’Elisabeth « Etaient-ils faits l’un pour l’autre ? Etaient-ils même compatibles ? »

Le roman, par sa volonté d’universalité sur l’histoire d’un couple, se mérite, c’est certain. Quelques digressions, moins évidentes, peuvent paraître interminables mais le propos, empathique, s’avère toujours étonnamment charmant, joliment enrobé d’un humour très fin et enrubanné de clins d’œil au lecteur très réussis. Prenez garde à la puissance des évocations et aux sentiments que peut faire éclore Nathan Hill. L’intrigue, aussi fine soit-elle, se couvre de gravité dans son final basculant parfois dans le drame, la douleur, les remords.

Si Bien être est une histoire racontée avec une intelligence et un talent hors du commun, méfiez-vous néanmoins du miroir dévastateur que Nathan Hill vous tend.

Clete

LES FANTÔMES DU VIEUX PAYS de Nathan Hill chez Gallimard

Traduction : Mathilde Bach.

 

Nathan Hill est un jeune auteur américain. Il a publié quelques nouvelles dans des revues et a mis une dizaine d’années à écrire son premier roman « les fantômes du vieux pays », un pavé qui a eu un immense succès : il a été traduit en 30 langues et est en cours d’adaptation en mini-série pour la télévision avec Meryl Streep.

« Scandale aux États-Unis : le gouverneur Packer, candidat à la présidentielle, a été agressé en public. Son assaillante est une femme d’âge mûr : Faye Andresen-Anderson. Les médias s’emparent de son histoire et la surnomment Calamity Packer. Seul Samuel Anderson, professeur d’anglais à l’Université de Chicago, passe à côté du fait divers, tout occupé qu’il est à jouer en ligne au Monde d’Elfscape. Pourtant, Calamity Packer n’est autre que sa mère, qui l’a abandonné à l’âge de onze ans. Et voilà que l’éditeur de Samuel, qui lui avait versé une avance rondelette pour un roman qu’il n’a jamais écrit, menace de le poursuivre en justice. En désespoir de cause, le jeune homme lui propose un nouveau projet : un livre révélation sur sa mère qui la réduira en miettes. Samuel ne sait presque rien d’elle ; il se lance donc dans la reconstitution minutieuse de sa vie, qui dévoilera bien des surprises et réveillera son lot de fantômes. »

Il m’a fallu une centaine de pages pour me plonger réellement dans ce livre foisonnant car ce n’est pas une histoire que Nathan Hill raconte mais plusieurs et progressivement ce qui m’avait perdue au départ m’a captivée. A son rythme, suivant parfois des chemins de traverse, avec des digressions Nathan Hill relie toutes ces histoires et réussit à écrire une fresque immense et magnifique. Une histoire humaine émouvante mêlée à l’Histoire : de la deuxième guerre mondiale en Norvège à nos jours en passant par 1968 à Chicago.

La narration n’est pas linéaire, avec des points d’ancrage dans le présent et de nombreux retours à différentes époques au gré des recherches de Samuel sur sa mère : les années soixante où l’on suit l’adolescence de Faye dans une petite ville puritaine du Midwest, ah… l’éducation des filles, les cours d’hygiène féminine, on s’y croirait ! 1968 à Chicago bien sûr où les émeutes lors de la convention démocrate vont faire basculer bien des vies, 1988, l’année où Faye abandonne Samuel… Même s’il avoue en fin de  bouquin avoir pris des libertés avec la chronologie des faits de 1968, c’est très documenté et à chaque fois Nathan Hill réussit à rendre l’ambiance d’une époque, il dresse ainsi en filigrane un portrait noir et lucide de l’Amérique et de son évolution.

Nathan Hill creuse tous ses personnages et même les plus mineurs, ceux qui ne sont qu’une péripétie dans le récit pour faire avancer l’intrigue, qui n’auraient qu’un petit paragraphe dans un autre roman prennent de l’ampleur. Ils sont crédibles, hauts en couleur, vivants au point qu’on aimerait parfois en savoir encore plus : Bishop ami d’enfance perturbé et sa jumelle Bethany, violoniste virtuose, Pwnage, accroc aux jeux vidéos, Laura, étudiante ambitieuse et tricheuse et bien d’autres… On connaît leurs travers, leurs angoisses : tragiques, drôles ou les deux à la fois, ils sonnent toujours juste.

Avec un immense talent de conteur, Nathan Hill mêle toutes ces histoires à celle de Samuel, confronté à l’abandon, l’une de nos pires angoisse qu’il a du mal à surmonter et celle de Faye qui est loin d’être le monstre que les médias décrivent. C’est une histoire belle et triste, une histoire de malheur et d’angoisses qui se transmettent, une histoire d’abandon, de trahison, de colère mais aussi d’amour, de pardon, magnifique !

Un roman dense et puissant.

Raccoon.

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