Traduction: René Solis.

Après “la servante et le catcheur” et “le rêve du retour”, le Hondurien Horacio Castellanos Moya qui a passé son enfance et son adolescence au Salvador avant de s’exiler et qui est actuellement prof dans l’Iowa continue dans “Moronga” à creuser son sillon littéraire sur les conflits fratricides d’ Amérique centrale des années 80 et 90 et plus particulièrement sur l’histoire récente du Salvador.

« Moronga », c’est une espèce de boudin noir, de saucisse que l’on cuisine dans cette région du globe mais c’est aussi toutes les connotations sexuelles, les images qu’on peut y associer. Et vous pouvez oublier l’aspect culinaire du mot dans ce roman particulièrement réussi, comme les deux précédents, également très recommandables.

Dans “Moronga”, Castellanos Moya tisse son récit autour de deux personnages, deux histoires d’exilés aux USA, qui vont se suivre, n’ayant pas vraiment de lien autre que l’origine et bien sûr géographique puisque tous deux vivent et travaillent à Merlow City, ville bien ennuyeuse du Wisconsin. Les deux destinées  se rencontreront bien malencontreusement  à la fin du roman.

Écrites sur deux tons très différents, les deux destinées permettent d’évaluer le poids des souvenirs, de la tragédie vécue tout en montrant beaucoup des travers, des perversions sociales de l’american way of life avant la collision finale .

La première partie s’attache à José Zeledon, ancien guérillero exilé aux USA où il survit avec un job de chauffeur mais on sent bien que ses réflexes sont toujours vifs, qu’il ronge son frein. Ses quelques amis, vétérans de cette époque d’espoir et surtout de mort, l’aident à se tenir à flot dans un pays qui ne fait pas de cadeaux aux indigents, aux inutiles. Mais certains, y compris lui, ont franchi cette fine frontière entre le combat idéologique et la criminalité, c’est tellement simple avec une arme, tellement plus rémunérateur, dans un pays qui permet à chacun de se prendre pour un cowboy, d’instaurer sa propre justice… le ton est ici souvent mélancolique, proche des romans de Sepulveda sur les regrets des vétérans des guerres perdues, les drames revécus chaque nuit mais nul doute que José veut avancer et s’affranchir  des regrets, des remords, des rancœurs et autres rancunes.

Dans la seconde partie, sur un ton bien plus mordant, souvent très drôle, aux diatribes sévères contre les USA et le Salvador, rappelant le verbe acide et la truculence superbement roborative de l’auteur mexicain Enrique Serna, nous suivons le parcours chaotique d’Erasmo Aragon, prof fauché à Merlow City effectuant une recherche à Washington dans les affaires déclassifiées de la CIA sur un poète salvadorien soupçonné d’être une taupe des Ricains et abattu par les siens dans les années 90. Erasmo souffre de paranoïa et les situations dans lesquelles il va se mettre vont particulièrement éprouver son mental et ses intestins. Comme le garçon a l’imagination fertile et qu’il ne peut résister à un sourire féminin et encore moins à un joli minois ou une belle paire de jambes, il va se mettre dans des situations tragi-comiques en permettant à l’auteur d’ instiller son venin profondément et durablement.

Proche du polar, sans en être véritablement un, quoique… “Moronga” s’avère par contre être un roman noir de grande qualité racontant les décennies de violence aveugle en Amérique centrale, ses extensions criminelles vers les USA, trafics de came, essor des Maras tout en dévoilant les aspects très vilains d’une Amérique puritaine, procédurière et fliquant ses citoyens à l’échelle locale et d’une manière peut-être encore plus honteuse que les dérives organisées racontées par Edward Snowden.

De l’enchantement sur le désenchantement.

Wollanup.