Chroniques noires et partisanes

Étiquette : Mirobole

LA FIÈVRE de Sandor Jaszberényi / Mirobole.

Traduction: Joëlle Dufeuilly.

Certaines maisons d’éditions nous touchent droit au cœur, c’est certain. D’autres laissent une marque indélébile dans nos esprits, c’est le cas des éditions Mirobole qui ont le don de nous étonner, nous remuer, nous faire rêver lors de chaque publication.

C’est à nouveau le cas avec La Fièvre de l’auteur Hongrois, photo-reporter de guerre, Sandor Jaszberényi. Dans ce recueil vous trouverez de courtes nouvelles tels des articles qui mêlent fiction et réalité au point de nous faire perdre pied pour nous balancer dans le gouffre profond de la terreur. Car oui, La Fièvre est un livre terrifiant.

La Fièvre, un roman qui se résume en son titre. Les courts textes qui le composent sont étouffants. L’auteur nous fait côtoyer l’horreur, l’horrible, autant dans ce qu’il décrit que dans l’atmosphère dans laquelle il nous plonge. Le soleil dans toute sa lourdeur brûle nos esprits autant que le béton blesse notre peau. Des sentiments de rage, de révolte, d’abattement, nous montent à la tête. Ceux ci sont amplifiés par l’auteur qui se place dans une sorte de détachement total. Détachement qui nous est imposé lors de la lecture en se traduisant par une forme de voyeurisme. Voyeurisme qui nous colle à l’esprit comme du pétrole. Il nous faut ouvrir les yeux sur ce qu’il se passe dans le monde. Comme DOA avec Pukthu ou Joseph Conrad avec Au cœur des ténèbres nous montrer un monde en proie à l’extinction.

Chroniques de guerre ou fiction, pourquoi chercher ce qui est vrai ? Sandor Jaszberényi, nous emmène sur les route des conflits au Yemen, au Moyen Orient, en Afrique. Des conflits où les hommes ne sont plus des hommes. Il nous jette au visage ce que l’humain peut faire de pire. Sans fard ni costume, ici, tout dans la gueule. Pas de grand spectacle, seulement la mort et la désolation, la folie des hommes – soldats, rebelles, civils, journalistes en quête de la PHOTO ! Ici, même ce qui relève de l’imagination, du fantastique, dirons-nous, des croyances, des peurs, prend la silhouette informe du réel.

Au delà de nous présenter ces clichés, Sandor Jaszberényi, nous pousse à réfléchir – sur ce que nous sommes, nos conditions de vie. Et si nos larmes, nos lamentations n’étaient pas une manière de déculpabiliser, de nous détacher de tout ces conflits sinistres qui gangrènent le globe ? Cette lecture fait culpabiliser : nous sommes impuissants et résignés. Tous indignés sur les réseaux sociaux mais toujours derrière nos écrans, les fesses collées au fauteuil ; et nous pensons : crier ma rage en cliquant, en partageant un article, pour se faire entendre, tout ceci en oubliant qu’il s’agit d’un univers virtuel. Alors que dehors, l’effondrement a lieu.

Bison d’Or.


NAMI de Bianca Bellova / Mirobole.

Traduction: Christine Laferrière

Alors que la rentrée littéraire pointe son nez, arrive avec elle les premiers coups de cœur. Et quel premier coup de cœur ! Les éditions Mirobole (comme souvent) frappent fort avec le  roman d’une auteure tchèque, Bianca Bellová, sobrement nommé Nami. Un roman fort et percutant ou l’auteure dresse un tableau de l’humain particulièrement sombre.

Voici l’histoire d’un jeune garçon qui grandit sur les rives d’un lac en train de s’assécher, quelque part au bout du monde…

Un village de pêcheurs. Un rivage qui recule de manière inquiétante. Les hommes ont de la vodka, les femmes des soucis, les enfants de l’eczéma. Nami, lui, n’a rien, hormis sa grand-mère aux mains immenses. Mais il a aussi un destin devant lui, un premier amour, et tout ce qui suit. Cependant, quand une vie commence à la toute fin du monde, elle peut peut-être finir à son début. Cette histoire est aussi vieille que l’humanité. Pour son héros, jeune garçon qui se lance dans sa quête avec pour seules armes son obstination et le manteau qui appartenait à son grand-père, il s’agit d’un pèlerinage.

Magnifique roman d’initiation, Nami est aussi une légende contemporaine autour du courage et du destin.

Nami  est un roman court dit d’initiation ou beaucoup de thèmes sont abordés. C’est d’ailleurs l’une des forces de ce récit, parler de choses importantes en peu de pages sans tomber dans la facilité. Chaque événement pèse dans le déroulement de l’histoire et laisse à réfléchir. Sans pour autant être moraliste.

Rapidement durant la lecture se pose la question de savoir où se situe l’histoire, dans quel pays ? Et tout en progressant cette interrogation grandira. Nous avons des indices mais tous se contredisent et nous mène dans une réelle perte de repères. On pense bien évidemment aux Balkans, à la République Tchèque ou encore à l’Afghanistan. Des pays qui ont connu l’occupation russe, seul indice qui nous permet de nous repérer un temps soit peu. Le constat est toujours le même, ce pays imaginaire est en proie à la mort : le lac s’assèche et en même temps que les eaux se retirent, la vie disparaît. L’ambiance générale laisse peu de place aux couleurs : paysages de villages et industriels noircis. Même la capitale est peu reluisante. Au final on se retrouve en plein désert. Si vous voulez vous en faire une image, regardez les films de Bela Tarr, entre autres les Harmonies Werckmeister.

Dans ce roman, les humains vivent à crédit. Certes nous sommes tous voués à mourir mais ici, la mort est permanente. On pourrait même dire que c’est un personnage à part entière. Les humains meurent et donnent la mort, physique ou psychique. Le lac emporte les hommes, les machines et le travail emportent les hommes, les hommes emportent les animaux et inversement, les hommes emportent les hommes. Serait ce exagérer de dire que tout n’est que misère, cette misère qui touche autant les ouvriers, paysans ou bourgeois? Chaque scène que vit Nami est marquante. De son village en passant par les champs de soufre, par la capitale jusqu’aux tréfonds du désert. Dans ce roman on perçoit peu d’espoir, ou alors il faut ouvrir les yeux et rester attentif.

Nami est une entité, presque seule touche de couleur qui durant son voyage portera le désespoir sur son dos et l’espoir à bout de bras. C’est un événement tragique qui le poussera à partir. Durant son périple il sera témoin de toute l’horreur et la violence dont l’homme et la nature peuvent faire preuve. Mais aussi, d’une certaine manière, de la beauté. Il partira en quête de sa mère, et comme dans tous les romans d’initiation, il devra passer des obstacles et des épreuves. S’il n’a rien d’un Indiana Jones, il se fera argonaute en quête de sa mère pensant que le monde peut s’éclaircir à son contact…

Nami pose un regard terrible sur les mondes paysans, ouvriers et bourgeois qui n’ont pour seul dessein : la destruction. Et pour voir un bourgeon fleurir, il faut ouvrir les yeux et s’armer de patience. Car tout est possible, Nami en est la preuve.

Nami est un grand roman que j’emporterai partout avec moi pour le glisser entre toutes les mains. Faîtes de même !

Bison d’Or.

LE COLLECTIONNEUR D’HERBE de Francisco José Viegas / Mirobole.

Traduction: Pierre Michel Pranville

C’est avec Le Collectionneur d’Herbe que l’on découvre Francisco Jose Viagas, un éminent  auteur portugais qui a dirigé la revue Ler (revue équivalente à notre magazine Lire).  Le Collectionneur d’Herbe est son dernier roman publié en France par les éditions Mirobole, éditrice qui ne lésine pas sur la qualité de ses publications. La preuve à nouveau.

Jaime Ramos, chef de la brigade criminelle à la PJ de Porto, préfère sa ville à toute autre. Dans son appartement s’empilent ses livres, qu’il lit l’hiver exclusivement. Attaché à son équipe comme à une famille, il est sourd d’une oreille et aime déambuler dans la vieille ville. Cette fois, l’affaire dont il hérite va l’obliger à remonter trois fils parallèles : pourquoi deux Russes viennent-ils
se faire assassiner dans le Minho ? Pourquoi une jeune fille de bonne famille disparaît-elle brusquement ? Et, surtout, qui est ce mystérieux collectionneur d’herbe qui envoie un jeune ingénieur parcourir les ex-colonies portugaises ? Son enquête mènera le lecteur jusqu’en Angola, au Brésil et au Cap-Vert, pour un roman d’une sensibilité rare, à la tonalité envoûtante : un polar langoureux sur le désenchantement, l’amour et la beauté.

Serait-il possible de parler de roman hybride ? Le Collectionneur d’Herbe est construit d’une manière peu habituelle : s’il s’agit bel et bien d’un roman policier, il serait dommage de s’arrêter à ce genre, tant l’auteur nous promène à travers le monde de la littérature.

Tout commence avec des meurtres et une disparition, des énigmes que devra résoudre l’inspecteur Jaime Ramos accompagné de son équipe devenue au fil du temps sa famille.

Au premier abord nous nous attendons à une enquête dont le déroulement est classique ; mais quelle n’est pas notre surprise lorsque l’auteur décide de nous perdre au cœur des mots, des ellipses et des allers-retours.

Francisco Jose Viagas est une poète, ses mots font  penser à une peinture, Turner, par exemple, qui est cité au début du roman. Et les couleurs et les effluves, dictées par la poésie qui nous monte au nez, peuvent faire penser à des œuvres de Pierre Bonnard ou de Monet. Imaginez le Portugal peint par ces artistes.

Ce roman fait inévitablement penser à l’ Âge d’Or  de Michal Ajvaz, non pas par les thèmes abordés, mais par l’imagination qu’il suscite. Le Collectionneur d’Herbe est une œuvre poétique au fond très noir : la drogue, la mort, le devoir de mémoire, … Pourtant l’intrigue est vite remisée au second rang, comme si le désir de Viagas était de nous pousser à uniquement savourer les plaisirs qu’offrent le Portugal et les Portugais. Encore une preuve de d’habileté d’écriture : les portraits des personnages sont subtils, écrits à l’image des Vies Minuscules de Pierre Michon

Bien évidemment, on ne va pas en dévoiler plus pour ne pas vous gâcher le plaisir. Mais tenez-vous prêts à lire un roman policier poétique aux multiples influences. Tenez-vous prêts à voyager du Portugal au Brésil en passant par l’Afrique.

Tenez-vous prêts à tenir entre vos mains une œuvre superbe !

Bison d’Or.

 

L’ AGE D’OR de Michal Ajvaz / Mirobole.

Traduction: Michal Pacvon / Aline Azoulay.

Les éditions Mirobole frappent fort pour cette rentrée littéraire et nous donnent du fil à retordre avec cette œuvre folle de Michal Ajvaz, écrivain Tchèque, L’âge d’or.

“À travers un carnet d’exploration fictif, un voyageur revisite en imagination l’île peuplée d’excentriques où il vécut plusieurs années, faisant resurgir un univers de bruissements, d’odeurs et de lumières mouvantes, royaume de l’étrange et du beau dont le joyau le plus envoûtant est un livre labyrinthique que les indigènes complètent ou altèrent au gré de leurs humeurs…

Sur les traces de Michal Ajvaz et de son narrateur nostalgique, le lecteur arpente cette île mystérieuse, royaume de l’insensé et de l’absurde à la géographie vaporeuse, au langage mouvant, au gouvernement improbable, et  se perd dans un roman extravagant à la lisière d’un guide touristique devenu fou, au fil d’un imaginaire qui file à bride abattue…”

Comment parler de ce roman ? Question qu’on se pose souvent : un roman adoré est souvent difficile à chroniquer parce qu’il est difficile de mettre des mots (pour ma part) sur ce que nous avons ressenti et ce qui nous a enjoués lors de la lecture.

En plus de notre engouement pour L’âge d’or, ce joyeux bordel ne facilite pas la tâche d’écriture.

Tout commence comme un guide, courts chapitres titrés en fonction des sujets abordés par l’auteur. Rien d’anormal de prime abord. L’auteur nous emmène sur une île dans l’atlantique habitée par un peuple nommé les insulaires. Avec de longues descriptions, Michal Ajvaz va nous dépeindre et nous expliquer le monde dans lequel vivent ces gens ainsi que leur mode de vie.

Et il y a de quoi être étonné !

L’auteur se fait ethnologue et nous décrit ce monde d’une manière si précise que le surréalisme devient presque réel. Il est décrit le mode de vie de ces insulaires dont le travail consiste à extraire de temps en temps des diamants pour le commerce ; leur cuisine étrange ainsi que leur politique qui consiste en l’élection d’un roi ou d’une reine qui ne sert presque à rien, les lois passent par le bouche à oreille et se transforment en cours de chemin.

L’importance des détails apportés par l’auteur fait la force de ce texte mais aussi sa faiblesse. La prose poétique ainsi que les interrogations de l’auteur par rapport à cette île participent au réalisme, et il est difficile de remettre en question l’existence de ce lieu. Pourtant à mesure que les chapitres se suivent nous ressentons un certain ennui qui nous pousse parfois à sauter des passages, à fermer le livre et remettre la lecture au lendemain, où même à abandonner.

Comme s’il s’en doutait Michal Ajvaz se joue de nous en glissant un récit dans le récit narrant une histoire que les insulaires ont écrit dans le seul livre que compte l’île (l’art n’existe pas) : une histoire de princes et princesses, roi et reine aux destins lugubres. A partir de là, on ne peut plus lâcher le roman. Bien évidemment, ce n’est pas sans compter quelques digressions qui détruisent le rythme de l’histoire mais peu importe, nous avons lâché prise depuis longtemps. Pourtant on comprend vite que ces digressions, ces changements de rythme ne sont pas dénués de sens et sont même nécessaires pour une bonne compréhension du roman.

Finalement, si la lecture semble laborieuse au point de se cogner la tête contre les murs, on ressort de cette expérience surréaliste avec l’esprit voyageur. En clair, Michal Ajvaz, qu’il en soit conscient ou non cherche à nous faire comprendre qu’il serait temps, comme les insulaires, de s’affranchir des règles imposées par la société et de se laisser vivre de temps en temps malgré les difficultés du quotidien et la noirceur du monde.

Un vrai roman social !

Bison d’Or.

 

PSYCHIKO de Paul Nirvanas /Mirobole

 

Mirobole offre souvent des romans originaux, des destinations inédites et c’est certainement une bonne bouffée d’air frais car ces bouquins sont moins formatés que le reste de la production. Et ici, on remonte le temps avec ce roman grec datant de 1928 et sorti à l’époque sous forme de feuilleton, ce qui garantit des chapitres assez courts d’une part et des situations qui incitent à poursuivre sa lecture ardemment sans passages plus introspectifs qui pourraient lasser le lecteur d’une oeuvre feuilletonesque.

« Anti-héros et probable cas clinique, Nikos Molochantis, jeune rentier désœuvré, est prêt à tout pour obtenir son quart d’heure de célébrité. Il a donc la brillante idée de se faire passer pour l’assassin d’une femme retrouvée morte dans un quartier d’Athènes.Grâce à la presse fascinée par cette affaire, Nikos se retrouve enfin sous les feux de la rampe, suffisamment près de la guillotine pour être une vedette. Le stratagème parfait… À ceci près qu’il risque de fonctionner au-delà de ses espérances. ».

Que toutes celles et ceux qui craignent de lire une antiquité grecque se rassurent le style est moderne, peut-être le travail de Loïc Marcou le traducteur, et si l’intrigue policière n’a pas la puissance et la violence d’œuvres plus contemporaines, on peut tout à fait la comparer à certaines oeuvres du divin Sicilien Camilleri. Le ton est malicieux proche d’une fable dont je tairai bien sûr la morale.

Dès le début, on sait que ce jeune branleur Nikos va se retrouver le dindon de sa farce et il est assez jouissif de voir son plan pourtant « bien » préparé se retourner très vite contre lui et de le voir se frotter au peuple grec qui n’existait auparavant que pour mieux le servir.

Au fil des pages et des aventures et surtout mésaventures de Nikos, se révèle aussi un portrait de la société grecque de l’époque avec cette bourgeoisie oisive, un peuple vivant de combines et d’expédients, de journalistes véreux et de forces de police aussi apathiques qu’ incompétentes.

L’intrigue et la description de la société font de ce « Psychiko » une petite perle d’humour, qui, sans être irrésistible offre un bon moment de lecture décalé loin des tristes préoccupations modernes, un peu comme les vieilles comédies italiennes genre « le pigeon » de Monicelli.

Wollanup.

 

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