Traduction: Jean Esch

« Le Cap. C’est ainsi que ça commence.

 Un samedi, aux aurores. Des cirrus teintés de rose flottent au-dessus de la péninsule. La douceur venue des montagnes contredit l’arrivée de l’hiver.

 Ça commence avec Fish Pescado. Qui se réveille en sentant l’odeur de Vicki.

 Ça commence avec la souffrance de Vicki Kahn.

 Ça commence avec Bill’n’Ben qui mangent des muffins aux myrtilles au petit déjeuner, dans leur voiture. Des gobelets de café posés sur le tableau de bord. Garés dans une rue paisible du port.

 Ça commence avec Mart Velaze dans le hall d’un hôtel, qui regarde Mace Bishop marcher vers lui : il a le regard mort d’un tueur.

  Ça commence avec Mira Yavari qui regarde la construction de pierre de l’autre côté du jardin en soufflant une fumée grise dans l’air sec.

 Ça commence avec ces paroles de Muhammad Ahmadi : Voilà ce qui va se passer, je te dis. Ils ne faut pas qu’ils puissent témoigner.« 


Cent chapitres en cinq parties, sur cinq cents soixante pages, « Infiltrée » est un roman bien charpenté qui démarre paisiblement, pas pour longtemps. Dès la troisième page un flic se suicide, c’est d’une brutalité effrayante, un direct au foie. Il hantera le roman jusqu’au bout.

Il y a beaucoup de personnages dans ce roman de Mike Nicol. 
Vicki Kahn d’abord, une avocate qui a quitté les services secrets quelques mois auparavant, elle a tout de la super héroïne, une sorte d’Emma Peel moderne. Contrairement à son mec, Fish Pescado, un détective privé genre Magnum, surfer un peu dealer qui a les dons d’être là où il ne devrait pas et d’énerver un peu tout le monde. Ces deux-là sont les moteurs du roman. On les suit ensemble ou séparément durant tout le livre, toujours au cœur de l’action, souvent violente l’action.
Caytlin Suarez est une femme puissante, américaine a priori, accusée du meurtre de son amant, un ministre sud-africain, elle vit et travaille dans les très hautes sphères. Quant à Robert Wainwright c’est un scientifique spécialisé dans le nucléaire, le pauvre ne comprend pas bien où il est tombé en acceptant un poste dans un cabinet ministériel. Eux deux servent de détonateurs à « Infiltrée ». Ils sont des enjeux, chacun pour des raisons et des personnes différentes. Là encore, la violence est de mise.
Et une dizaine d’autres encore, plus ou moins secondaires, dont un vieux barbouze amateur d’ « Alice au pays des merveilles » et une mystérieuse Voix sans visage. Sans oublier Mira Yavari, il n’y a pas que son nom qui rappelle une fort célèbre espionne du début du XXème siècle. 

 Très peu sont sympathiques.

Bien que l’écriture soit extrêmement dynamique, il faut être patient durant la lecture et accepter de ne pas forcément comprendre ce qu’on lit. Mike Nicol avance lentement, met en place son histoire calmement mais fermement. Il sait nous tenir en haleine, et nous mener dans son livre par un chemin que lui seul connaît, le problème en faisant ça est qu’il nous maintient à une certaine distance, comme s’il tendait son bras pour nous écarter, au point qu’il est parfois difficile de s’impliquer franchement dans la lecture pendant la première partie, une centaine de pages, car après…
Après c’est un tapis rouge bien tendu qui se déroule devant nous, un pur bonheur de lecture, les pages tournent en mode automatique à grande vitesse. On rentre de plain pied dans un roman qui joue à la fois dans le polar et dans l’espionnage de haut vol avec des Russes et des Iraniens, des Américains et l’État islamique, auxquels on peut ajouter les meilleurs codes du feuilleton classique. Une fois passée cette première partie, une course poursuite démarre et ne s’arrête qu’aux toutes dernières pages, c’est rempli de bagarres, de coups bien bas et bien tordus en tous genres, de personnages aussi intelligents que brutaux et sans merci. C’est très rythmé, les chapitres sont des séquences avec des plans ultra-rapides, comme dans certaines séries américaines. Mike Nicol est également doué d’un sens profond de l’intrigue, du secret, et d’une grande culture politique qui m’ont fait penser plusieurs fois au regretté Henning Mankell.
La dernière partie doit absolument être lue d’une traite, c’est un jeu de chaises musicales presque aussi hilarant que violent et explosif !

Bonne lecture, et comme dit la Voix : « Que les ancêtres vous accompagnent« .

NicoTag

J’ai bien apprécié Fish Pescado, alors pour lui faire plaisir, et parce qu’il l’a bien mérité, un petit weekend bien paisible avec un album qui fête ses cinquante ans.