Chroniques noires et partisanes

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POWER de Michaël Mention/ Stéphane Marsan

S’engager dans le nouveau roman de Michaël Mention c’est la caution d’un renouvellement de genre face à ses précédents efforts. Et c’est bel et bien d’un engagement dont il s’agit. Car l’auteur fait montre d’une constante adhésion à son propos littéraire. Il existe un contrat moral entre lui et le sujet abordé. Dans le présent cas, le fond de l’ouvrage étant une photographie d’une époque de révolte américaine, le discours se fonde sur un support politique, communautaire et culturel. Cette période dépeinte de la fin des années 60 et le début des années 70 reste propice au souffle d’affirmation d’identité, à la création dans le paysage musical, en particulier. Et c’est dans ce foisonnement marquant de notre ère moderne que l’auteur nous narre le récit des Black Panthers.

«Ici, comme dans les autres ghettos, pas d’artifice à la Marilyn, ni de mythe à la Kennedy. Ici, c’est la réalité. Celle qui macère, mendie et crève.  »

  1. Enlisés au Vietnam, les États-Unis traversent une crise sans précédent : manifestations, émeutes, explosion des violences policières. Vingt millions d’Afro-Américains sont chaque jour livrés à eux-mêmes, discriminés, harcelés. Après l’assassinat de Malcolm X, la communauté noire se déchire entre la haine et la non-violence prônée par Martin Luther King, quand surgit le Black Panther Party : l’organisation défie l’Amérique raciste, armant ses milliers de militants et subvenant aux besoins des ghettos. Une véritable révolution se profile. Le gouvernement déclare alors la guerre aux Black Panthers, une guerre impitoyable qui va bouleverser les vies de Charlene, jeune militante, Neil, officier de police, et Tyrone, infiltré par le FBI. Personne ne sera épargné, à l’image du pays, happé par le chaos des sixties. »

Du 21 Février 1965 au 11 Octobre 1971, l’avènement et la mue de ce groupe activiste nous sont présentés par le prisme direct de ses acteurs. Et, comme à l’accoutumée, l’écriture sensuelle, sensitive plonge l’ensemble de nos sens dans un océan d’odeurs, de sons, de goûts, d’images nous immergeant dans cette histoire en panavision. Si, malheureusement, l’une de ces acuités est déficiente, elle pourrait être stimulée. Ce sont ces histoires croisées, de ces personnages impliqués dans une cause cherchant à bouleverser l’ordre établi, qui dressent un triptyque pictural constitué de teintes chaudes, rageuses, dominantes. Les hommes se battent donc dans cette motivation factieuse pour un idéal, pour un système égalitaire et dans une éventuelle fraternité. Ils veulent la liberté avant tout afin d’exister et de compter dans cette société larvée, gangrenée par des pouvoirs obscurs.

L’auteur, par ces mots, son discours, possède la conscience des enjeux mais n’est pas dupe des vicissitudes liées au pouvoir brûlant les idéaux. Il façonne ses personnages avec une profonde humanité doués de leurs vertus et leurs faiblesses. L’étau est au dessus des têtes et il se resserre telle une vis sans fin. C’est aussi ce qui m’a porté dans le roman, la parabole, au sens géométrique du terme, de parcours portés par un souffle salvateur qui progressivement, inexorablement se sténose, s’obstrue. Dans cette dimension, l’ouvrage se fait dense, il se fait sans concessions et il en prend une nouvelle. L’immersion est de plus en plus profonde et notre accord avec le récit littéraire confère à une prégnance de plus en plus tenace.

Michaël Mention possède son style, son identité d’écrivain, entre autres en insérant des références musicales adaptées, mais il ne réfute pas sa mise en danger. Il aime à déstabiliser son lectorat en variant les plaisirs, en dissertant sur d’autres genres en ne se confinant pas à un carcan thématique. Il abhorre la facilité et le confort, tout en cherchant à nous surprendre, et si l’on a lu l’intégralité de son oeuvre on constate, j’avoue, un faible pour ce type de roman où son travail de recherches allié à une attirance légitime pour cette tranche de l’histoire des Etats Unis produit un objet livresque abouti, coup de poing. Et, je pourrais rajouter que j’ai ressenti, en filigrane, la volonté d’évoquer un sujet en parallèle, tel un fil rouge sang, qui doit tenir une place à part chez son géniteur….

« Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » Montesquieu dans l’Esprit des Lois

Le poing se pare d’un gant de cuir pour afficher au monde la résistance et Power l’exprime par ces mots telle une série de jabs!

Chouchou.

 

LA VOIX SECRÈTE de Michael Mention/ 10/18 série Grands Détectives.

Dans la France du « roi-bourgeois », Louis-Philippe, et sous le joug du ministre de l’intérieur sanguinaire Adolphe Thiers, une recherche effrénée d’un tueur en série d’enfants débouchera sur des associations, des amitiés baroques.

« Une enquête criminelle dans les bas-fonds de Paris en 1835, retraçant les derniers jours du célèbre dandy, assassin et poète Pierre-François Lacenaire

Durant l’hiver 1835, sous le règne de Louis-Philippe, alors que Paris est rongé par la misère et les attentats, la police enquête sur un tueur d’enfants. Tous les indices orientent Allard, chef de la Sûreté, vers le célèbre poète et assassin Pierre-François Lacenaire. Incarcéré à la Conciergerie, celui-ci passe ses journées à recevoir des visiteurs et à rédiger ses Mémoires en attendant de passer sous la guillotine. Un autre crime se produit, révélant davantage de similitudes avec ceux commis jadis par Lacenaire. Allard décide alors de le solliciter dans l’espoir de résoudre au plus vite cette enquête tortueuse. Entre le policier et l’assassin s’instaure une relation ambiguë, faite de respect et de manipulation, qui les entraînera tous deux dans les coulisses d’un Paris mystérieux et violent. »

Les révoltes grondent dans le Paris du XIXème siècle et après celle de Lyon des Canuts, la boucherie face aux revendications de la classe ouvrière prend une tournure effroyable quand les troupes du général Bugeaud ravagent un quartier au 12 rue Transnonnain. (actuel rue Beaubourg). C’est dans ce climat délétère que les crimes seront perpétrés et le paradoxe voudra que cela soit un propre assassin qui en possède les clefs de la compréhension.

Ce Paris chaos, ce Paris pauvre, ce Paris interlope, dans sa désolation résonne de mille vibrations dans différentes dimensions. Les conditions de vie, dénuées de dignité, poussent à la débrouille, au système D, et le crime reste la phrase, le point, des existences suspendues à des fils ténus.

La ville capitale est un personnage à part entière dans le récit de Michael Mention. Il l’hume, exhale de ses pages les fragrances distinctes à chaque lieu. Le cœur alimentaire des Halles et les abattoirs montmartrois restent symptomatiques de cette volonté de nous plonger dans une œuvre littéraire olfactive. Par ce biais, il réussit de fait à nous transporter dans nos propres sens et édifie une bulle pluri-dimensionnelle.

C’est en retraçant la politique de l’époque qu’il évoque en filigrane, ou pas, des problèmes sociétaux contemporains. Le niveau facial des difficultés populaires n’évolue pas dans le même registre mais conserve un reflet saisissant des humiliations, des brimades, du déclassement, des uns face aux autres. La société du XIXème siècle, aussi sordide soit-elle, possède les variables d’ajustements similaires à notre époque.

Transporté dans cette enquête poisseuse, rugueuse, noir opium, où la guilde des auteurs de romans noirs est fièrement représentée. Les pages sont rêches, excorient notre pulpe digitale mais la lecture est bien source d’enrichissement personnel et dans nos réflexions face à notre Histoire.

Roman historique lacérant qui se joue de nos sens dans l’olfacturium putride d’une cité exsangue !

Chouchou.

 

BIENVENUE A COTTON’S WARWICK de Michael Mention/ éditions Flammarion / Ombres Noires

Plongez en apnée dans une zone reculée, inamicale, du pays continent ! La dépravation inéluctable et brutale d’un îlot de congénères aux prises à une mystérieuse aberration, une damnation sans issue, débouchera sur un jeu de mikado hémorragique où le moindre relâchement, la moindre hésitation seront synonymes d’anéantissement au propre comme au figuré.

« Ici, il n’y a rien. Excepté quelques fantômes à la peau rougie de terre, reclus dans le trou du cul de l’Australie. Perdus au fin fond du Northern, ce néant où la bière est une religion et où les médecins se déplacent en avion. »

Australie, Territoire du Nord.

Dans l’Outback, on ne vit plus depuis longtemps, on survit.

Seize hommes et une femme, totalement isolés, passent leurs journées entre ennui, alcool et chasse.

Routine mortifère sous l’autorité de Quinn, Ranger véreux.

Tandis que sévit une canicule sans précédent, des morts suspectes ébranlent le village, réveillant les rancoeurs et les frustrations.

Désormais la peur est partout, donnant à ce qui reste de vie le goût fielleux de la sueur, de la folie et du sang.

Vous n’oublierez jamais Cotton’s Warwick. »

 

Cette communauté, inhospitalière de par sa géographie, composée d’un groupe numériquement proche d’une équipe de rugby sans la totalité de ses remplaçants, est dirigée par un matamore arguant de son emprise par la justice expéditive, l’édiction de règles autocratiques et la mise en place d’un trafic licencieux. Le semblant de village tourne autour de préoccupations et d’occupations binaires. Dans cette ode à la divination « glut », la vie dans ce trou du cul du monde s’articule sur des pivots rimant avec poivrots et bas du plafond. La zizanie, l’éclatement de cet équilibre précaire vont brutalement prendre la forme d’un éboulement d’un jeu de dominos mortifère.

Les fondations de l’ouvrage m’ont fait penser, par certains de ces aspects, instinctivement, comme le ressaut de souvenirs enfouis, au film de Christian de Chalonge MALEVIL. Dans sa dramaturgie, dans l’isolement d’êtres aux prises avec des démons, avec leurs démons, l’on est aspiré dans un gouffre noir dont on ne voit pas le fond.

C’est comme une peau sans l’épiderme, ça suinte, ça douille, c’est poreux, pas de barrières contre la vermine et la désolation. Une brûlure corps entier faisant hurler de douleur, scalps d’esprits en déroute, à la dérive, voués à l’abandon, à la vacation de la décence, au refus inconscient d’une dignité.

Dans ce cauchemar livresque, on s’agite en tout sens, on sue abondamment, notre subconscient n’est pas épargné et la violence crescendo abolit notre sens rationnel mais l’on sait que l’on va se réveiller…. La chute vertigineuse du pas dans le vide coupera cette horreur et l’on pourra se désaltérer d’une large rasade d’eau fraîche. Et bien NON, il n’y rien d’onirique on est dans une réalité crue et effroyable.

A ne pas mettre dans toutes les mains, M. Mention s’ouvre sur un autre pan de sa littérature en paraphant comme il se doit cet opus d’un habillage musical aux petits oignons soit complètement en lien avec le contexte soit en complet décalage pour renforcer le malaise.

Suffocant à plus d’un titre !

Chouchou.

 

 

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