Chroniques noires et partisanes

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DES LARMES DE CROCODILE de Mercedes Rosende / Quidam

Miserere de los cocodrilos

Traduction :  Marianne Millon

En proie à une boulimie depuis l’enfance, célibataire et prête à tout pour sortir des clous d’une vie solitaire, où son unique plaisir est d’épier ses voisins, Úrsula López accepte de s’allier avec Germán, un détenu qui sort de prison avec une commande de l’avocat véreux Antinucci : le braquage d’un transport de fonds blindé.

Plongeant dans la délinquance avec gourmandise, Úrsula tisse sa toile et s’affirme, car « Dieu vomit les tièdes ». Reste cependant à affronter Antinucci et son tueur psychopathe… 

Si vous aviez apprécié l’impertinent et mordant L’Autre femme, de la juriste Mercedes Rosende, publié en 2022 chez Quidam – mais est-ce seulement possible de ne pas l’apprécier ? – vous ne pourrez que vous régaler avec sa suite, Des larmes de crocodile, une fois de plus chez Quidam.

On reprend là où on s’est arrêté dans L’Autre femme et on retrouve notre improbable anti-héro  Úrsula López qui, de plus en plus, me fait un peu penser au personnage de Ignatius J. Reilly dans La conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole. Toujours à Montevideo, la capitale uruguayenne, nous plongeons à nouveau dans une atmosphère très cinématographique façon Fargo (le froid et la neige en moins), le film culte des frères Coen, avec une pointe de Tarantino. L’ambiance ainsi posée, vous pouvez d’ores et déjà présumer que vous allez vous régaler et vous avez tout à fait raison. 

Après un kidnapping hasardeux dans L’Autre femme, c’est ici le braquage d’un fourgon blindé qui s’annonce. Úrsula López, qui demeure acerbe et vengeresse, reste conditionnée par son obésité et ne s’est pas encore défaite de l’influence foncièrement négative de son défunt père, avec qui elle entretien toujours des conversations bien que celui-ci soit mort. Autour d’elle, une belle galerie de personnages très contrastés et, en toile de fond, la corruption policière. Il n’y a pas vraiment de bons et de méchants dans l’histoire. Il y en a de plus vilains que d’autres, mais nul n’est parfaitement clair. Les personnages sont tous un minimum ambigus. La cadence, elle, est efficace car combines et rebondissements s’enchainent. 

Elle refuse de sortir du sommeil, d’abandonner le confort du lit, de quitter la brume, la léthargie, la somnolence, refuse, résiste, mais la rage l’écrase, le rugissement de la colère lui transperce le crâne, perfore, explose, merde, elle ouvre les yeux avec fureur, putain, tend l’oreille, et ressent fortement les engueulades, le tambourinement strident et pénétrant, la haine persistante dans sa tête.

On se délecte à nouveau du style d’écriture stimulant, aussi fin que corrosif, de Mercedes Rosende. Elle a l’art de ciseler avec intelligence et minutie la psychologie de ses personnages. Sa plume, si personnelle et singulière, nous tient en haleine sans difficulté aucune. Le travail de traduction de  Marianne Millon y est pour beaucoup et mérite donc d’être, une fois de plus, salué. 

Elle avait envie de rentrer chez elle, mais pas dans sa maison, pas dans un endroit vide où il n’y aurait jamais personne d’autre qu’elle-même. Alors, c’est quoi la maison, le lieu où l’on est né ? Ou cet endroit où l’on ne peut s’empêcher de retourner même si l’air y est irrespirable et qu’il n’y a pas d’avenir ? Peut-être est-ce justement l’endroit où l’on sait se rendre par coeur, même si une chose sombre et irréversible vous attend, même si c’est pour faire naufrage dans une solitude grise.

Elle marchait, traversait les rues, sentait tomber une bruine, il n’y avait plus de monde, juste une ville vieille et silencieuse.

Depuis lors, les jours se sont déchainés comme des chiens en colère et Úrsula marche depuis nombre d’années, marche toujours dans la Vieille Ville.

Des larmes de crocodile est un roman noir au ton et à l’humour décapants. Tout aussi bon que L’Autre femme, son prédécesseur, on ne peut que se réjouir de ce qui nous attend ensuite, compte tenu de la fin de ce nouveau livre. C’est jubilatoire. Foncez découvrir l’oeuvre de Mercedes Rosende, vous ne le regretterez pas !

Brother Jo.

L’AUTRE FEMME de Mercedes Rosende / Quidam

Mujer equivocada

Traduction : Marianne Millon

Quadragénaire solitaire et obèse, Úrsula López vit dans le vieux centre de Montevideo. Un soir, un appel téléphonique d’un certain Germán lui réclame une rançon pour libérer… son mari. 

Découvrant son homonymie avec l’épouse d’un riche homme d’affaires récemment enlevé, Úrsula exige une plus forte rançon auprès de celle-ci qui, à son tour, surenchérit et veut la disparition définitive de son époux.

Frustrée, affamée depuis l’enfance par des régimes inopérants, Úrsula se met dès lors à manipuler tout un chacun avec un plaisir machiavélique. 

Quidam a un talent certain pour dénicher des auteurs singuliers, rappelez-vous cette année le Ordure de Eugene Marten déjà chroniqué pour Nyctalopes. Ce roman uruguayen, L’Autre Femme, signé Mercedes Rosende, est à nouveau une bonne surprise qui sort du lot.

De prime abord, je me suis laissé dire que L’Autre Femme allait m’offrir un peu de dépaysement, m’emmener là où je n’ai pas l’habitude d’aller dans mes lectures. La ville de Montevideo, qui sert de décor à l’histoire, ne m’est guère familière. Pour autant, il s’avère au final que le roman aurait pu se passer un peu n’importe où, car ce sont bien ici les personnages, leurs pensées, et les délicieux dialogues qui sortent véritablement de l’ordinaire.

Úrsula López, notre personnage principal, est obèse. Cette obésité régit sa vie. Elle l’isole et la pousse à voir et vivre le monde différemment. Cette particularité physique qui est la sienne, cette différence, nous est donnée à vivre aussi frontalement que subtilement par Mercedes Rosende. On est constamment divisé entre un malaise évident et, néanmoins, l’envie de rire n’est jamais loin.  Úrsula à toujours tendance à mettre les deux pieds dans le plat et est débordante d’imagination.

« Etre grosse ce n’est pas juste être grosse, ce n’est pas être en surpoids et avoir du mal à grimper les escaliers, ce n’est pas la taille qui disparaît ni le double menton, ce n’est même pas la santé en danger, c’est l’humiliation permanente, la colère dissimulée, ce sentiment selon lequel il n’y a pas de pitié et encore moins de justice pour qui est différent. »

En parallèle de la vie d’Úrsula López arrive un fait divers, un homme fortuné est kidnappé par des ravisseurs maladroits et peu convaincants. Bien que noir, le roman de Mercedes Rosende est empreint d’une bonne dose d’humour caustique et absurde à souhait. Ce kidnapping, qui ne se déroule pas comme prévu, n’est pas sans rappeler l’univers des frères Coen. On rit de bon cœur face au comique de certaines situations. La galerie des personnages qui s’offre à nous est un pur régal. Enfin, dès lors que, par le hasard d’une homonymie, l’histoire d’Úrsula López et celle de cet homme kidnappé se retrouvent imbriquées, nos personnages, des « losers » comme on les aime, ne cessent de s’enfoncer dans le pathétique et le ridicule. On se régale ! Qu’il est bon de rire ainsi, pas jaune mais noir, et de bon coeur.

On ne peut que saluer le travail de traduction de Marianne Millon. On se délecte de la plume parfaitement ciselée de Mercedes Rosende et de son impertinence. Les pages défilent bien trop rapidement. L’Autre Femme est un roman simple mais adroit, noir et mordant, aussi pertinent qu’impertinent. Il me paraît improbable que l’on puisse ne pas passer un bon moment à la lecture de celui-ci. Une belle et insolite réussite. 

Brother Jo.

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