Traduction: Natalya Ivanishko
Markiyan Kamysh est ukrainien, en 2015 est sorti son livre « La zone », paru chez nous en 2016, et qui revient ces jours-ci en librairies ; c’est un promeneur un peu particulier : la Zone d’exclusion de Tchernobyl est son terrain de prédilection. Il y mange, dort, se baigne, picole pas mal aussi, dans les ruines et les bois autour de la centrale, dans Pripyat, la ville où logeaient les employés et leurs familles.
C’est ce qui m’attache à la Zone. Un homme normal se contenterait d’une visite. Quelqu’un d’obstiné aurait besoin de quelques incursions supplémentaires. Moi, je trouve toujours un nouveau prétexte pour y retourner. D’abord, Prypiat et Tchernobyl1-2, puis des bourgs, des bourgs, des bourgs, des colonies de vacances, des cures, des batteries antiaériennes, des hangars, le chemin de fer, des tours de refroidissement, des églises. J’ai envie de renifler et de toucher chaque débris de cette poubelle, chaque fragment du passé. Et, à chaque fois, je me jure que cette visite sera la dernière.
Mais non, que dalle ! Un mois plus tard, j’écorche à nouveau mon à dos sous les barbelés, encaisse des chutes dans les fossés, suis les chemins de fer désaffectés, traverse les ponts et allume des cierges dans des églises abandonnées. Je suis un imbécile. Assommez-moi.
M. Kamysh écrit un drôle de récit de voyage, aussi déglingué qu’enfiévré. Il a commencé à fréquenter le site vers 2010, à 22 ans, puis y est retourné de nombreuses fois en toutes saisons. Il y va pour le frisson du danger, de l’interdit, mais aussi pour être loin du monde et vider des canettes tranquillement sur les toits ou perché sur des radars, il y trouve son propre exotisme. C’est un clochard, qui explore l’Apocalypse comme il se qualifie.
Loin de tous ces récits post-apocalyptiques dont on nous abreuve depuis quelques temps, La zone est un voyage dans un territoire où la fin du monde a bien eu lieu. Ce n’est pas un bouquin de science-fiction, à peine de la fiction, et encore moins de la science. Les descriptions des lieux qu’il traverse se rapprochent de l’urbex, mais sur un terrain géant, une zone de plusieurs centaines de km² interdite et à l’abandon. On imagine souvent cette zone comme un endroit où le temps se serait arrêté en avril 1986, alors qu’elle grouille de vie, des soldats et des policiers, des ermites et des revenants, des pillards, des promeneurs, ainsi que des touristes amateurs de ruines, et énormément d’animaux sauvages : loups, lynx, sangliers, cerfs et biches, etc.
Mettons-nous d’accord. Pas de raids, ni de marches ni aucun autre terme galvaudés du vocabulaire militaire. Une promenade dans la Zone, point final. Il n’y a rien dans cette Zone qui puisse en faire un endroit ultra dangereux, une épreuve d’endurance pour les plus braves de l’humanité. Si c’est ça que vous cherchez, allez dans la toundra, descendez dans les cratères de volcans. Dans la Zone, il n’y a que des promenades paisibles au milieu des forêts mixtes.
L’homme se fait des montagnes de tout.
Il brosse le tableau du Tchernobyl actuel, de ce qui est et de ceux qui y vivent en s’accommodant avec leur environnement, sans vraiment évoquer l’accident de 1986. C’est une toute autre vision que celles de Svetlana Alexievitch ou de Galia Ackerman par exemple.
Markiyan Kamysh aime être dans la zone, tout en sachant que son comportement est quasi suicidaire, sa fascination pour ses lieux n’a rien de glauque et son récit n’est pas catastrophiste, il oscille constamment entre désespoir et décadence, avec toujours un humour bien particulier.
NicoTag
P.S : Depuis le début de la guerre, Markiyan Kamysh écrit depuis Kiev pour différents journaux européens.
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