Et si soudain, au hasard d’un hall de gare, vous tombiez sur un volume idoine, magnifique et inespéré, une sorte de SAS ou OSS 117 luxueux ? Oui, vous souriez face à l’impossible rencontre. Pourtant cette chimère existe et vient d’être publiée sous la plume et l’égide du certes hautement crédible Marc Dugain. De l’auteur nous connaissions La Chambre des officiers (1998) bien sûr, d’autres Une exécution ordinaire (2007) ou La Malédiction d’Edgar (2005). Nous le savions multicarte, enseignant, capitaine d’industrie, économiste, réalisateur… Et, cerise sur le gâteau, nous apprenions récemment qu’il prenait la baguette de chef d’orchestre d’une nouvelle collection Espionnage chez Gallimard. C’est donc avec un appétit aiguisé que nous recevions en avril dernier un premier opus intitulé Des hommes sans nom, signé Hubert Maury et Marc Victor, jolies prémices d’une souche dont le maître de cérémonie paraphe lui-même le second volet.
Action, dépaysement, séduction, magouilles, paranoïa, coups fourrés, doubles jeux, tous les ingrédients chers à Ian Fleming ou Graham Greene sont ici présents, transcendés par une écriture qui ne laisse rien ni au hasard ni à la facilité. Différence de taille néanmoins, la présence récurrente de paragraphes limpides et érudits sur la géopolitique, sur les réflexions et les arrangements collectifs ou individuels : « l’existence n’a aucun sens, raison pour laquelle nous cherchons à lui en donner un ». On est dans l’aventure, certes, mais rien ne saurait être juste survolé ou négligé, la privant ainsi de ses amarres à une réalité passionnante. Un équilibre parfait s’opère entre une histoire échevelée, menée ventre à terre, et ses ramifications historiques, coloniales, guerrières ou muettes. Bref, la gâchette et les tractations n’empêchent pas la pensée et l’élévation. Ce livre est un bonheur à la fois simple et éclairé.
De Somalie au Maroc, de Paris au Groenland, via l’Islande, les courts chapitres s’accélèrent pour tisser une toile où les volte-face et la conjuration des intérêts surfent sur les pentes savonneuses du volcan mondial. « La vie est bien l’exception et la mort la règle » : alors autant jouer le jeu en improvisant un hold-up suicidaire et baroque au service de l’équilibre planétaire et de quelques visées plus personnelles.
Le narrateur, Lévia et Ben s’y collent avec autant de minutie que de désinvolture. Et ça marche, avec même un président orange en guest-star. Les fonds serviront la planète. Quant à l’autre fond, celui du livre, entre punchlines et vraies questions, le tout servi par une verve magistrale, il confère à ces Paysages trompeurs une rare et habile symétrie entre sens et vivacité. On y pense, on s’y dépense, entre nécessités du jour et aléas d’hier. Les décennies s’y télescopent avec brio : même les obligés flashbacks tintent comme du cristal, même les services secrets, tellement à contre-courant de l’exhibitionnisme de l’époque, s’y trouvent bousculés et soudain désuets. Reste le business roi et ses lois inaltérées depuis trois mille ans : « Le business c’est la zone de tolérance absolue, la seule où n’importe quel individu est susceptible de s’accorder avec n’importe quel autre. Religion, couleur, race, croyances, idéologie, classe sociale, tout disparaît miraculeusement, comme si ces différences n’étaient entretenues que pour divertir l’opinion pendant que circule l’argent, le vrai ».
Le monde moderne n’est plus le nôtre, ni celui des personnages de Marc Dugain. Mais si, à l’occasion, Robin des Bois peut encore gommer quelques dysfonctionnements, alors nous retrouverons foi en lui. En attendant, on flingue, et ça nous détend joliment.
JLM
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