Chroniques noires et partisanes

Étiquette : l’ouest le vrai

L’HOMME DE LA PLAINE de T. T. Flynn / L’Ouest, le vrai / Actes Sud

The Man from Laramie

Traduction : Yannis Urano

Voilà donc le 24e titre publié dans une de nos collections préférées qui continue d’avancer malgré la disparation de son grand manitou, Bertrand Tavernier. Si la lecture du 23e et précédent western m’avait fait craindre des difficultés à dénicher ou revisiter de bons textes, ce sentiment est balayé à cette étape. T. T. Flynn n’avait jamais été traduit jusque-là en français et ce prolifique auteur pourrait bien offrir à l’avenir d’autres duels de ce calibre.

Will Lockhart est en quête de vengeance après la mort de son frère, tué par des Apaches armés de fusils fournis illégalement par des marchands d’armes blancs. Lorsque Lockhart arrive à Coronado, le puissant rancher Alec Waggoman et ses fils, Dave et Vic, règnent sur la région avec une poigne de fer. Son enquête dérange vite un pouvoir assis sur la corruption et la violence…

Pour beaucoup, L’homme de la plaine est donc un western d’Anthony Mann (son plus beau disent certains) avec James Stewart en vedette. Et sans doute que l’adaptation cinématographique et son épure scénaristique ont donné une aura nouvelle à une histoire plus ramifiée sur le papier. Mais Theodore Thomas Flynn (1902-1979) est un écrivain de pulps, de romans d’aventures, de westerns, un pro, méticuleux dans son approche documentaire, rôdé aux canons de l’écriture de genre.

Pour décrire les montagnes du Nouveau-Mexique, il a lui-même parcouru le terrain. Lumières, reliefs, variété minérale ou végétale… éclatent d’authenticité. Les chevaux et leur maniement sont particulièrement mis en valeur. Cela révèle la passion de l’auteur qui, plus tard dans sa vie, abandonnera la plume pour tout leur consacrer. Mais il y a une enquête au cœur de ce western, qui l’apparente à un bon petit polar d’époque : qui a détourné et vendu les armes de l’US Cavalry aux Apaches qui ont tué le frère de Will Lockart ? En congé officieux de ses propres fonctions militaires, Will apparaît dans une communauté du Sud-Ouest aux fragiles équilibres. Un baron local, déclinant, y tient le haut du pavé, position obtenue par une brutalité ouverte. Mais elle est peut-être à l’image d’un rude pays. Ce système craque parce que Will l’ébranle par sa perspicacité, son opiniâtreté et sa volonté d’en découdre. La communauté se divise, les vilaines figures se dévoilent, les armes sortent des holsters et les secrets sortent du placard. Avec un suspens spécifique aux suites feuilletonesques, T. T. Flyn nous fait vivre les rebondissements de l’enquête de Lockart, sur le fil du rasoir.

C’est aussi un western sur le pouvoir et son tribut, sur la richesse économique, acceptable même si elle s’affirme par le rapport de force, dévoyée quand les escrocs et profiteurs la détournent sans scrupules.

Un style parfois un brin désuet (pour reflet, les ourlets de James Stewart au-dessus des bottes sur cette belle couverture) pour un texte valeureux, généreux en action. A découvrir donc.

Paotrsaout




PASO POR AQUI de Eugene Manlove Rhodes / L’Ouest, le vrai / Actes Sud

Pasó por aquí

Traduction : Serge Chauvin

La collection L’Ouest, le vrai poursuit son bonhomme de chemin en publiant ce printemps un nouvel opus qui inspira le film Four Faces West / 3000 $ mort ou vif d’Alan E. Green (1948), un des rares du genre à ne pas mettre en scène un combat à l’arme de poing. L’auteur peut se targuer d’avoir été un authentique westerner et lui-même cow-boy, une expérience qui inspira son œuvre, mélange de romans et nouvelles consacrés à un Ouest déjà crépusculaire.

Ross McEwen cambriole un magasin au Nouveau-Mexique avant de s’enfuir dans les montagnes, pourchassé par Pat Garrett et sa milice. Au bord de l’épuisement, le cow-boy aperçoit un moulin à vent et une cabane isolée. Il titube vers la source d’eau et l’abri pour ensuite découvrir qu’ils sont occupés par une famille de peones atteinte de diphtérie. « Je suis là pour aider » leur dit-il. Mais l’opiniâtre shérif va bientôt découvrir que McEwen n’est pas un desperado comme les autres…

C’est la première fois que la collection publie, non pas un roman mais une novella d’une centaine de pages. On peut regretter que l’introduction et l’issue de cette cavale dans les sierras nous soient données au travers des propos de personnages secondaires, assez lointains du héros, Ross McEwen, un procédé indirect presque daté. Toutefois quand enfin, Eugene Manlove Rhodes place son fugitif au cœur du récit, il est aisé de comprendre qu’il connaît parfaitement le territoire et les mœurs des caballeros du Nouveau-Mexique. Les paysages décrits avec acuité et les mouvements pleins de ruse et de sagacité du cavalier en fuite ne peuvent se justifier que par une intimité réelle avec le sujet.

De plus, Ross McEwen campe un cow-boy peu ordinaire, prolixe et ironique, même si ses remarques s’adressent avant tout aux oreilles de son cheval. Il n’y a rien chez lui du pistolero brutal. Le hold-up qui exige sa fuite, McEwen donne l’impression de l’avoir fait comme une mauvaise blague. Il est désormais dans le pétrin et compte sur sa science des sierras pour échapper à ses poursuivants qui ne lui feront pas de cadeau. Sur son chemin, le sort d’une famille mexicaine l’émeut. Il fait tous les efforts (et par la même, compromet ses chances de fuite) pour la secourir et rameuter de l’aide extérieure. Notre desperado a en fait un grand cœur. Lui sera-t-il suffisant pour survivre ?

De sympathiques signaux de fumée montent de l’horizon : L’Ouest, le vrai est de retour. Mais le format et la nature de cette récente publication font désirer plus que tout d’autres romans aussi flamboyants, aussi épiques que ceux des premières saisons.

Paotrsaout

HONDO (suivi de L’offrande de Cochise) de Louis L’Amour / « L’Ouest, le vrai » / Actes Sud

Traduction: Joseph Majault

A l’origine, il y a une nouvelle, écrite par le prolifique auteur Louis L’Amour, pseudonyme de Louis Dearborn LaMoore d’ascendance bretonne et irlandaise (1908-1988). Il prendrait un peu de temps de recenser tous les romans et toutes les nouvelles (principalement d’inspiration western) produits par le natif du Dakota du Nord. Cette nouvelle donc, L’offrande de Cochise, judicieusement adjointe au texte de notre roman par l’éditeur, est repérée par John Wayne qui en achète les droits et demande au scénariste James Edwards Grant d’en tirer un scénario. Adapté au cinéma en version 3D, Hondo sort en 1953 avec The Duke en premier rôle. Pour ne pas être en reste, Louis L’Amour a réécrit sa nouvelle dans une version plus longue et romanesque cette fois, éditée à la même période. La collection « L’Ouest, le vrai » réinvestit ce texte, une première fois traduit en français aux éditions Télémaque en 2016 (Hondo, l’homme du désert).
Arizona, 1880. Après deux ans d’une paix fragile, la guerre embrase à nouveau le territoire. Vittorio, le chef des Apaches mimbrenos, écume la région, il assiège et pille fermes, ranchs et villages, tend des embuscades meurtrières à la cavalerie américaine. L’ordre yankee chancelle dans une province accablée de poussière, de sueur et de sang.Hondo Lane, éclaireur de l’armée américaine, arrive dans un ranch isolé en territoire apache, où il ne trouve qu’Angie Lowe, une femme au caractère bien trempé, et son petit garçon. Ils refusent de quitter leur ferme malgré la menace que constituent les Apaches. Tombé amoureux d’Angie, Hondo fera tout pour les protéger.

La petite histoire du cinéma retient que le film se démarque des autres westerns réalisés à la même époque, en dépeignant les Indiens. autrement  que comme d’affreux sauvages belliqueux et violents. Le roman de Louis L’Amour porte tout autant un grand respect à la personne et à la culture des Apaches dont il évoque les croyances, les savoirs, les capacités d’adaptation à leur environnement hostile mais quand il rappelle le tournant historique (et tragique) qui les bouscule. Voici une de leurs dernières révoltes avant d’être écrasés par l’Amérique blanche. Hondo Lane lui-même exprime des dispositions héroïques nourries par son métissage et son intégration – un temps – dans la vie quotidienne des Apaches. En effet, il a appris toutes sortes de  choses nécessaires à la pure survie dans un environnement désertique hostile et face à des adversaires apaches, certes insaisissables et mortels mais porteurs d’une certaine noblesse aux yeux de L’Amour. Ce regard dénué de manichéisme est à saluer.

Ce qui fait la redoutable efficacité du texte est son inspiration pulp et son épure d’écriture (restituée par la traduction). Allons à l’essentiel semble dire Louis L’Amour. Les phrases de la plus simple construction (sujet-verbe-complément) s’enchaînent et c’est un décor, une scène, une action qui apparaissent avec netteté et fluidité. Louis L’Amour n’est bien entendu pas le seul à maîtriser la technique mais c’est ici d’un impact incroyable.

Il y a quelque chose de crépusculaire dans ce roman, de façon évidente avec l’anéantissement amorcé des Apaches, plus subtile avec ce héros, homme solitaire habitué à l’ascèse des sierras, ému par les puissances naturelles, qui va céder à l’impulsion de son désir et à l’appel de ses sentiments quitte à tourner le dos à une vie libre mais terrible pour se ranger. Concentrée dans Hondo Lane, c’est une époque qui se termine. Notons enfin que ce western dégage dans certains passages une électricité érotique, résultat de l’attirance entre notre héros et Angie Lowe, avec laquelle Louis L’Amour (c’est déjà fatidique) va dynamiser aussi son récit. Des fois, il fait chaud dans le désert. On ne le remarque pas assez dans certains westerns.

200 pages qui vous ramènent au corral concassé par l’expectative, les dénivelés et les chevauchées meurtrières. Et puis, une confirmation, la collection « L’Ouest, le vrai » en a encore sous le sabot.

L’ESCADRON NOIR. Une Iliade au Kansas de W. R. Burnett / L’Ouest, le vrai/Actes Sud

The Dark Command. A Kansas Iliad

Traduction : Fabienne Duvigneau

La disparition de Bertrand Tavernier le 25 mars 2021 semblait annoncer la fin de la collection L’ouest, le vrai chez Actes Sud. Il en était le directeur passionné, apôtre de la réhabilitation du western littéraire. C’est donc une joie de découvrir que Bertrand Tavernier a eu le temps de transmettre le flambeau. Thierry Frémaux, directeur de l’Institut Lumière de Lyon, cadre ainsi la publication de ce texte inédit de William Riley Burnett (auteur phare de la collection L’Ouest, chroniqué déjà par Nyctalopes) en rédigeant la postface de L’escadron noir.

Grâce à son oncle, le jeune Johnny Seton va pouvoir entrer dans le cabinet de l’influent avocat Jim Wade. A la clé une situation, et la respectabilité aux yeux des McCloud, dont il convoite la fille, Mary. Mais c’est sans compter sur Polk Cantrell. Redouté dans plus de six comtés, l’homme, qui se cache des Missouriens depuis qu’il a tiré sur un shérif pro-esclavagiste, est venu se réfugier à Pleasant Hill, Ohio. Le cœur de Mary ne tarde pas à balancer, déclenchant l’engrenage d’un duel sans merci.

Que ceux qui ont déjà regardé le western de Walsh (avec John Wayne, Claire Trevor, Walter Pidgeon et Roy Rogers) ne s’attendent pas à retrouver une histoire semblable dans le roman de Burnett. Le scénario a pris beaucoup de liberté par rapport à son socle d’origine. Pour un résultat mitigé car le film ne figure pas au firmament de l’œuvre de Walsh. Mais le scénario n’est pas seul en cause.

Quand Burnett écrit L’escadron noir en 1938, il est en pleine maîtrise de son style, une prose sèche et pourtant généreuse en informations, qu’il a exercé dans le genre policier. Car Burnett est avant tout un romancier de la pègre et des trafics, expert des personnages à plusieurs facettes. C’est ce que nous découvrons avec John Seton, Mary et Polk Cantrell, engagés très vite dans un classique triangle amoureux dans une tranquille ville de l’Ohio du milieu du XIXe siècle. Le premier est un peu naïf, la deuxième versatile, le troisième dégage une aura trouble. La fille de bonne famille se fait la belle avec le bad boy et John Seton a un gros chagrin d’amour. On pourrait résumer ainsi le premier quart du roman et se dire qu’on attendait autre chose qu’une western romance.

Mais Burnett a planté les graines d’un drame sanglant en rattachant son roman aux troubles années 1850. La question esclavagiste divise en effet l’Amérique jusque dans son expansion vers l’ouest. Les nouveaux territoires (Kansas, Nebraska) doivent-ils se rapprocher des législations sudistes ou les rejeter ? Sur le terrain, pros et antis se disputent, se battent, s’assassinent. Les organisation ou milices Red Legs, Jayhawkers, Bushwackers lancent des raids contre leurs adversaires, brûlent leurs propriétés, pendent ou flinguent à tout va. C’est une véritable guerre civile. Le célèbre John Brown lui-même y participe. Elle perdurera dans la région pendant le conflit officiel de la Guerre de Sécession et explosera en massacres de sinistre mémoire. Pour Burnett, il n’y a pas matière à philosopher. Cet arrière-fond historique apporte une dynamique à son récit très local, influence ses personnages et, bien sûr, alimente le caractère dramatique des événements vécus à hauteur d’homme.

N’ayant pas renoncé à Mary, John Seton s’installe dans le Kansas, dans la même ville que les nouveaux mariés. L’affrontement avec Polk Cantrell est inévitable. Il s’aggrave du désaveu électoral qui est infligé à l’ambitieux Cantrell. Vexé, celui-ci rallie les Bushwackers pour se venger de la communauté dont Seton devient un membre honorable. Tandis qu’il essaie de séduire Mary, toujours sceptique sur son caractère, Seton s’étoffe physiquement et moralement dans sa nouvelle vie. Il paraît toujours un cran au-dessous de son rival, retors et rancunier, pistolero sans scrupules. Dans le grand final d’une chevauchée sanglante, emblématique des troubles de cette époque, leur rivalité devra se régler une fois pour toute. Pour le vainqueur, peut-être, une Mary séduite.

Un western aux approches sentimentales et psychologiques (avec un héros un peu barbant) qui libère finalement l’intensité et la brutalité de son genre.

Paotrsaout

LES PIONNIERS de Ernest Haycox / « L’Ouest, le vrai » Actes Sud

The Earthbreakers

Traduction : Fabienne Duvigneau

Dans la collection « L’Ouest, le vrai », le roman posthume d’Ernest Haycox, publié en 1952, deux ans après la disparition de son auteur, se pose à part. En effet, contrairement à tous les autres titres, il n’a jamais été adapté au cinéma. Peu étonnant quand on découvre l’ampleur de cette fresque historique, aux multiples personnages et aux intrigues entrecroisées. Elle a la carrure pour s’imposer au-dehors du cadre western.

« Ils viennent du Missouri et ont tout abandonné dans l’espoir de trouver une terre à des milliers de kilomètres de leurs foyers. Ce voyage où ils affrontent les rapides, le froid, les pluies diluviennes qui vous transpercent, la faim, constitue une suite d’épreuves exténuantes que Haycox restitue avec une ampleur, un lyrisme, une vérité inégalés. Le cinéma, à de rares exceptions près, paraît timide, aseptisé, face à l’acuité d’un tel livre. Parvenus à destination, les survivants doivent construire un nouveau monde avec ses règles, ses usages et ce malgré les rivalités, les préjugés raciaux, les barrières de classes. Les Pionniers est l’un des très grands romans, sinon le plus grand, le plus lucide, sur la colonisation, l’apprentissage de la civilisation, avec les conflits que celle-ci entraîne entre une vision humaniste et les pulsions de violence, entre les intérêts particuliers et le sens de la collectivité. Peut-être le grand œuvre de Haycox, cet immense écrivain qu’admirait Ernest Hemingway, qui marie le souffle de l’épopée à la chaleur de l’intime, avec d’inoubliables personnages de femmes. À coup sûr son livre testament, et rien moins qu’un chef-d’œuvre de la littérature américaine. » 

Si jamais la collection devait se clore un jour, ceci pourrait constituer le plot ultime de l’aventure éditoriale, par son sujet même. Tandis que de nombreuses histoires nous ont fait connaître l’aventure, l’exploration, l’affrontement contre la géographie et les forces de Nature, contre les peuples natifs, les duels entre hommes aux mœurs brutales, quelque chose de l’Ouest, peut-être défini par notre propre romantisme, se fige ici : un groupe de pionniers apprend à construire et enraciner une nouvelle société. Ce qui est sauvage doit disparaître, ou moins être canalisé. Les hommes qui ont goûté à la vie violente et sans attaches de la Frontière doivent plier, se redéfinir ou mourir. Tel est le cas de Rice Burnett, de Hawn, l’homme à squaw, de l’irascible Lockyear. 

Le roman fait une large place aux questions de mœurs, de morale, de la place des femmes. Certains de ces personnages sont proprement sidérants d’audace et l’auteur nous donne toute la profondeur de leurs questionnements et états d’âme. Mais c’est plus largement le microcosme pionnier, à l’intersection d’une paire de vallées détrempées par les brouillards de l’Oregon, qui devient de portée universelle sous la plume de Haycox. Foisonnante, difficile à résumer, voilà assurément une grande œuvre, qu’il est presque douloureux de lire si on y discerne aussi le crépuscule d’un mythe, d’un genre, d’un mouvement, le western, entraîné par le sens de l’histoire vers une société établie et le monde moderne.

Paotrsaout

LA FUREUR DES HOMMES de Charles O. Locke / « L’Ouest, le vrai »/Actes sud

Road to Socorro (titre alternatif : The Hell Bent Kid)

Traduction : Hubert Tézenas

Au bout de sept années d’existence de la série L’Ouest, le vrai, son projet aura échappé à peu de monde : rechercher (parfois exhumer), traduire et publier les textes littéraires d’intérêt à l’origine des scénarios de films western entrés au panthéon du genre. Après les grands textes épiques, lyriques aussi, du début, la série creuse désormais dans des romans aux approches plus originales. 

Bertrand Tavernier le confesse, il n’a pas été simple de tirer de l’oubli le roman de Charles O. Locke adapté à l’écran par Henry Hathaway sous le titre de From Hell to Texas (1958) et exploité en France sous celui de La fureur des hommes. En effet, les informations sont floues sur Charles O. Locke (1895-1977), pourtant auteur de plusieurs westerns à partir des années 1950. Comment par exemple le titre original du roman, très évocateur (hell bent signifiant « totalement déterminé », « indomptable ») a pu glisser vers une plus prosaïque « route de Socorro » ?

Tot Lohman a beau savoir tirer mieux que personne, c’est un jeune homme farouchement non violent. Mais lors d’un bal, brutalement agressé par le jeune Shorty Boyd, il est contraint de se défendre et tue son adversaire. Riches éleveurs, les Boyd sont nombreux, puissants. Le patriarche, assoiffé de vengeance, ne reconnaît pas la légitime défense et le clan se lance aux trousses du jeune homme. Traqué, sans personne vers qui se tourner, Lohman prend la fuite et tente de rejoindre le Nouveau-Mexique pour y retrouver son père. Dans ce long et douloureux périple, il doit affronter une nature hostile et des poursuivants impitoyables qui l’entraînent malgré lui dans un engrenage de violence qui risque de le broyer.

Tot Lohman est un personnage atypique dans l’Ouest. Eduqué (il sait écrire et se sert plusieurs fois de la voie épistolaire pour délivrer messages ou se raconter), doté de principes moraux hérités des croyances religieuses de sa mère, pacifiste mais hélas, détenteur d’un véritable don pour le maniement de la carabine. Tot Lohman est d’abord consterné par la rage et l’acharnement dont font preuve les Boyd, le père autocrate et ses fils, pour le traquer. Ils ne sont pas du même monde : les Boyd sont de grands éleveurs sans scrupules et la force a toujours constitué pour eux un moyen de s’imposer. Lui n’est qu’un jeune cow-boy bien seul, déjà éprouvé par la vie : sa mère est morte, sa petite sœur a péri à la suite d’un raid comanche, son père est parti dans l’Etat voisin, deux de ses trois frères ont succombé sous les balles en voulant faire respecter la loi. Sous le fouet des épreuves physiques et morales, une colère formidable va s’emparer du jeune homme et ébranler ses valeurs. Doit-il se montrer aussi ou plus cruel que ceux qui le pourchassent ? Peut-il vaincre en provocant le carnage ? 

Introduit par le témoignage d’un rancher, clos par celui d’un autre, qui étaient tous deux les mieux disposés à l’égard du jeune homme, (ce qui apporte au texte des points de vue de narration peu usités ailleurs), le récit, âpre et tendu, se concentre sur la cavalcade de Tot Lohman. La nature est rude et ne pardonne pas elle non plus. Quand le jeune homme croise le chemin d’autres hommes, il doit souvent craindre la traîtrise ou déjouer une embuscade. Les Indiens rôdent et les Boyd ont une large partie de la contrée à leur pogne. Il y a des rencontres tendues. La talentueuse économie de mots de Charles O. Locke s’adapte aussi aux lignes de dialogue qui claquent par leur drôlerie ou leur acidité. Sur son chemin de croix, quelques-uns osent apporter leur aide au jeune fugitif. Pour l’esprit assiégé de Tot Lohman, c’est un répit, de l’émotion. Pourtant, il écarte aide et possibilité d’un autre destin, pour mettre fin, seul et à sa manière, au cycle de la violence. Depuis le début, le crack du fusil galopait vers la tragédie, sa conscience son plus implacable ennemi. 

Un western marquant par sa cruauté et le personnage émouvant du Hell Bent Kid.

Paotrsaout

LES FURIES de Niven Busch / Actes sud / L’ ouest le vrai.

Traduction: José André Lacour et Gilles Dantin.

18e titre publié dans la collection « L’Ouest, le vrai », Les furies est, à l’origine, un roman paru en 1948. Son auteur, Niven Busch, est un écrivain et scénariste américain, à qui l’on doit les scénarios des westerns Le Cavalier du désert (Wyler, 1940), La Vallée de la peur (Walsh, 1947), Les aventures du capitaine Wyatt (Walsh encore, 1951) ainsi que le roman à l’origine de Duel au soleil (Vidor, 1946). L’adaptation cinématographique des Furies (1950) a été faite par un des rois du genre, Anthony Mann, de façon fidèle et magistrale, selon Bertrand Tavernier.

1889. Dans le Territoire du Nouveau-Mexique, Temple Caddy Jeffords est un riche propriétaire terrien régnant comme bon lui semble sur un immense domaine. Sa fille Vance, plus que ses deux fils qu’il juge moins aptes, est destinée à hériter de la propriété. Cruellement, le père écarte tout autre destin possible pour sa fille. Un jour, il revient d’un voyage à San Francisco accompagné de Flo Burnett, sa première idylle sérieuse depuis son long veuvage. Flo s’installe au ranch et Jeffords la demande en mariage.

La future Mme Jeffords a des projets pour le domaine, de manière intéressée. Vance comprend qu’elle ne gérera plus l’entreprise familiale auprès de son père. Au cours d’une dispute Vance essaie de tuer Flo avec une paire de ciseaux. Elle ne parvint qu’à la défigurer. Elle s’enfuit du domaine, puis essaie de se construire une vie en se mariant. La vengeance du père la rattrape, il fait pendre son mari après lui avoir tendu un piège. Vance jure alors de se venger et intrigue pour déposséder son père fortement endetté et le jeter à bas de son piédestal, avec l’aide de Curley Darragh, son ancien amant, évincé par TC Jeffords.

Dans une collection de textes qui nous avaient habitués à la description de paysages puissants, à la pertinence d’éléments historiques et à un souffle épique, Les furies se démarquent. En effet, Niven Busch s’attarde un minimum sur ces aspects. Ils sont brossés de façon rapide mais judicieuse. Le Territoire du Nouveau-Mexique est à la fin des années 1880 une jeune extension des Etats-Unis. Quelques décennies de présence américaine se sont surimposées à des siècles de présence indienne, espagnole, mexicaine et ont surtout marginalisé les représentants de ces populations, victimes d’un racisme bon teint. Est venu le temps de ces barons fonciers sans scrupules qui se sont taillés la part du lion dans la vie et l’économie locales. C’est dans ce cadre que l’affrontement shakespearien, plein de drame, de désir et de sang, raconté par Niven Busch se place. Les furies sont trois personnages de femmes, auxquelles ce western fait la part belle. La mère, décédée, mais dont planent l’amertume et le sentiment de trahison. La prétendante, Flo Burnett, intelligente et déterminée, alors que l’âge vient lui rappeler qu’elle est sur le déclin, à tirer le meilleur profit de sa relation avec TC Jeffords, en écartant toute rivale. Et enfin et surtout, Vance, la fille, belle, rusée, faite de silex, d’un caractère propre à mener sa barque à tout prix dans un monde impitoyablement individualiste et masculin. Auprès de son père, elle apprend tout ce qu’il faut savoir pour conduire ses affaires et doubler ou écraser ses adversaires. TC Jeffords semble miser tout sur elle d’ailleurs. Mais cela a un prix. En patriarche autoritaire et brutal, il étouffe toute velléité de sa fille de contracter ce qu’il considère être une mésalliance. Aussi, quand Vance comprend que cet adoubement ne lui rapportera pas l’héritage qu’elle en attend, elle s’échappe. Quand la vengeance de son père la frappe, elle sombre dans la haine la plus tenace et élabore un plan pour détruire son père, dont l’aboutissement ne la privera ni de déception ni d’un sentiment de perte.

Perceptible dans d’autres titres auparavant, l’avènement de personnages féminins centraux s’impose dans les dernières publications de la collection « L’Ouest, le vrai ». Et Les furies marque bien un palier dans cette tendance. Un western colérique, de sentiments et de passions, habité par des personnages féminins complexes et forts.

Paotrsaout

CIEL ROUGE de Luke Short /Actes Sud/ collection « l’ouest,le vrai ».

Traduction:Arthur Lochmann.

Chez Actes sud, « l’ouest, le vrai » est une collection qui  s’adresse tout particulièrement aux vieux cowboys. Elle est dirigée de main de maître par Bertrand Tavernier à qui on doit une adaptation cinématographique réussie d’un roman de James Lee Burke « Dans la brume électrique avec les soldats confédérés »  et dont il raconte avec minutie le tournage dans « pas à pas dans la brume électrique » aux éditions Flammarion en 2009.                                                                          Cette collection forte d’une douzaine de sorties propose des romans sortis des greniers et de l’oubli, écrits à une époque où les romans westerns étaient particulièrement à la mode aux USA tout comme les films créés à la gloire de l’homme blanc triomphant.Si vous aimez ce théâtre et ces représentations de l’histoire des USA, vous trouverez ici sûrement votre bonheur.

Il n’est pas exclu non plus d’y trouver aussi l’écho  de thèmes d’actualité, des thématiques assez novatrices pour ce genre littéraire et une écriture particulièrement efficace comme ici.

« La cupidité oppose deux hommes, et la fille de l’un d’eux aime celui qui s’apprête à escroquer son père. Sur fond d’élevage de bétail et de répression d’Indiens croupissant dans des réserves dépourvues de bonnes terres, Luke Short compose un western efficace et exemplaire qui a été adapté par Robert Wise sous le même titre. Robert Mitchum et Barbara Bel Geddes tiennent les rôles principaux dans ce film, considéré comme l’un des meilleurs westerns noirs. »

La quatrième de couverture déjà vous indique clairement, et vous pouvez la croire, qu’on n’a pas affaire à un nanard, c’est du costaud dans les relations psychologiques tout comme dans les comportements des différents acteurs.

« Luke Short fait bifurquer le western vers le roman et le film noirs en tournant le dos à certaines péripéties, en mettant l’accent sur des sentiments troubles, un climat que ronge une violence sous-jacente. »

Quand le directeur de la collection y va de de quelques paragraphes dans une postface brillante et éclairante, le blogueur néophyte ou presque n’a plus qu’à s’effacer tant ses commentaires ne seront que verbiage et paraphrase  du discours de Bertrand Tavernier.

Signalons néanmoins que malgré son positionnement évident vers un Noir réaliste, « Ciel rouge » est avant tout un western avec tout le décorum qui est familier aux amateurs du genre et on y retrouve bien le thème archi éculé de la littérature américaine, la rédemption, dans un suspense qui se lit avec plaisir.

Plaisant.

Wollanup.

PS: la couverture est magnifique.

 

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