Chroniques noires et partisanes

Étiquette : lot 49

UNE SINGULARITÉ NUE de Sergio De La Pava / Le Cherche Midi / LOT 49

Traduction: Claro.

Avant tout et même si je l’ai déjà dit par le passé, LOT 49 au Cherche Midi est une collection unique et irremplaçable pour qui veut découvrir une littérature ricaine originale. Plus tordus que ceux de Terres d’Amérique et vantant nettement moins les grands espaces que ceux de Gallmeister autres très grands découvreurs de ce que l’Amérique propose de riche et de passionnant en littérature, les romans de LOT 49, souvent, se méritent, proposant souvent au lecteur un âpre combat afin d’extraire la substance, le nectar précieusement caché entre leurs pages, fruits d’une réflexion aboutie de grands écrivains tels que Richard Powers, Willam H. Gass, Brian Evenson. Alors, parfois, cela ne fonctionne pas. Je cherche encore à comprendre ce que voulait bien vouloir dire l’auteur de « divin scrotum » lu l’an dernier. Dans tous les cas, la lecture d’un roman LOT 49 est un grand voyage parfois périlleux mais toujours ambitieux et ce n’est évidemment pas un hasard si la collection a pris pour nom un roman de Thomas Pynchon.

« Casi est un avocat new-yorkais qui n’a jamais perdu un procès. Fils d’immigrants colombiens, il vit chichement à Brooklyn jusqu’au jour où un collègue lui propose le crime parfait qui le mettra définitivement à l’abri du besoin. Devant cette opportunité, c’est d’abord son sens éthique de la justice et de la morale qui va vaciller, puis sa personnalité, enfin, son univers tout entier…

C’est une façon de résumer le livre. Il y en aurait d’autres, beaucoup d’autres, tant les événements qui se multiplient autour de Casi sont nombreux et variés… »

« Une singularité nue » ne fera pas exception, il faudra le conquérir de haute lutte et vivre avec acharnement ses 800 pages folles. Sergio De La Pava dont c’est le premier roman a eu un mal fou à être édité aux USA avant de rencontrer le succès et, ma foi, c’est compréhensible parce que son roman est tout sauf un roman ordinaire. Telles les œuvres de Pynchon, son écrit est truffé de digressions qui font le roman. S’il est question d’un forfait, d’un vol parfait dans le livre, ce ne le sera en fait qu’ à partir de la moitié du pavé et l’ arnaque envisagée, finalement, peut être considérée, elle aussi, comme une digression.

« Une singularité nue » entre autres multiples thèmes parle principalement des avocats new-yorkais, de leur tâche ardue à défendre des gens dans des affaires bien poisseuses, ordinaires et glauques avec des clients démunis financièrement comme intellectuellement dans les cas qui nous sont proposés dans le roman. C’est l’outrance du système judiciaire américain qui est montré et développé par le biais des affaires traitées par Casi et par sa défense d’un condamné à mort en Alabama.

Le second grand thème, c’est Sergio De La Pava himself,  new-yorkais, avocat et d’origine colombienne comme son héros qui, il m’a semblé, se racontait à travers les pages: ses victoires comme ses défaites, ses combats, ses convictions, ses peurs, ses incertitudes, ses fantasmes, ses joies, ses peines, ses interrogations… Alors cela donne une immense vague, un tsunami d’idées qui, si vous êtes sensible à sa belle plume et aux sujets traités vous ravira mais qui, bien sûr, pourra aussi vous ennuyer voire vous assommer si elles ne vous touchent pas. Il n’y a pas de bonnes et de mauvaises digressions dans un roman, il y a celles qui vous intéressent et celles qui ne vous intéressent pas. J’avoue avoir sauté la parenthèse sur la gastronomie colombienne mais j’ai été épaté par certaines considérations philosophiques, réjoui par certaines passages franchement hilarants, ému par certaines histoires et passionné par le destin d’un boxeur. De multiples « voyages » souvent désopilants.

Bien sûr, il ne faut pas négliger l’aspect thriller dans la seconde partie mais celui-ci, malgré un ton très réjouissant à cause de lui justement, ne ravira pas totalement les amateurs du genre. Il faut plutôt considérer ce côté polar comme une autre digression dans un roman qui n’en manque pourtant pas.

Enfin, « Une singularité nue » a une saveur très Manhattan qui parlera à toutes celles et ceux qui ont déjà côtoyé certains sympathiques allumés qui peuplent ou bossent sur cette partie de la ville et qui aiment tant passer des heures passionnées sur des sujets parfois pourtant bien futiles.

Allumé et très attachant!

Wollanup.

 

 

LE CONVALESCENT de Jessica Anthony / LOT 49 le Cherche Midi.

La collection LOT 49 du Cherche Midi propose depuis des années des romans puissants et exigeants d’auteurs particulièrement doués comme Richard Powers, William Vollmann ou William Gass ainsi que des oeuvres particulièrement déjantées, foutraques et jouissives tels que les écrits du furieux Brian Evenson, de Christopher Miller et son formidable et méconnu « l’Univers de carton » ou de Mark Leyner dont je n’ai hélas pas compris grand chose à son « Divin scrotum ».

Pas un seul roman fade, tiédasse dans la collection mais toujours des bouquins hors du commun, demandant parfois un grand effort au lecteur qui veut s’intéresser à une littérature qui ne se vendra jamais dans les supermarchés ou les halls de gare.

Ce premier roman de l’Américaine Jessica Anthony est à ranger dans la catégorie des romans barrés et provoquera à la fois réflexion, interrogations et énormes tranches de rire.

« Il est petit. Chétif. Infirme. Hirsute. Il vit seul dans un vieux bus déglingué, échoué à perpétuité au milieu d’un champ, dans un trou perdu de Virginie. Boucher de son état et paria parmi les parias, Rovar Ákos Pfliegman est, de son propre aveu, « le dernier descendant d’une des lignées les plus misérables de toute l’histoire de l’humanité ».
L’histoire de Rovar commence en effet quelques siècles plus tôt, dans le bassin des Carpates, à l’époque où se constitue la nation hongroise, née de l’unification de dix tribus barbares. Rovar est issu de celle des Pfliegman, qu’on pourrait définir comme le plus éclatant ratage de toute la création.
Cette anomalie de l’évolution est aujourd’hui parvenue à son stade ultime, et disparaîtra bientôt. Mais la rencontre de Rovar avec le Dr Monica, une jolie pédiatre qui décide de le prendre sous son aile et dont il ne tarde pas à tomber amoureux, va peut-être changer la donne… »

Rovar est le dernier specimen d’une tribu hongroise parmi les plus démunies, la plus démunie depuis au moins un millénaire qu’elle est recensée et qui a passé les siècles à la remorque de l’humanité, sans rien faire d’utile. Il vit dans son bus qui s’est arrêté un jour, en panne, dans un champ dans un coin perdu de l’Amérique. Dès les premières lignes, on sent poindre un tableau peu éloigné du film Borat avec cette rencontre improbable entre la civilisation ricaine de Virginie et cet accident de l’Histoire perdu là. D’ailleurs, Darwin est souvent convoqué pour comprendre les agissements de ce pauvre troll bien inoffensif et muet de surcroît qui s’intéresse à un brin d’herbe nommé Marjorie qui pousse dans sa « propriété » et a pour animal de compagnie un énorme cafard qu’il a appelé madame Kipner. On aura compris qu’il est ici question d’une fable à la fois cruelle et tendrement mélancolique autour d’un personnage finalement très attachant si on est capable de s’intéresser à cette histoire particulièrement bien racontée.

Jessica Anthony, souvent très en retenue, très tendre avec son « héros », manie avec aisance un humour qui s’apparente à celui de Charlie Chaplin et qui, du coup, ne fera pas mouche à tous les coups quand elle raconte la passion amoureuse de Rovar Akos Pfliegman et devient franchement désopilante et irrésistible quand elle raconte la saga de la famille Pliegman à travers les siècles mais surtout dans le bas Moyen Age. Certaines scènes mêlant personnages ayant réellement existé de l’histoire de la Hongrie dont l’origine du peuplement n’est d’ailleurs pas encore totalement connue par les spécialistes tel que le grand prince Arpad seigneur des dix tribus qui colonisèrent une région sur les bords du Danube à la fin du 9ème siècle et les boulets de la tribu Pfliegman collant à leurs basques tels les gros nullos qu’ils étaient, poussés vers l’Ouest par un peuple Petchénègue bien décidé à prendre ses aises dans la région.

Mêlant scènes héroïques dignes d’une chanson de geste magyare et couillonnades des inénarrables Pfliegman, Jessica Anthony y va de bon cœur pour le plus grand bonheur du lecteur ahuri par tant de crétineries au mètre carré sous la tente des tarés Pfliegman, toujours prêts à comprendre et à agir de travers dans des temps pourtant déjà bien perturbés. Grandes envolées lyriques et discours de bas étage, un régal.

« les églises ne bruissaient que d’une seule prière, dont l’écho se répercutait jusqu’aux confins du pittoresque et pastoral univers médiéval:De sagittis Hungarorum libera nos, Domine- Seigneur, garde-nous des flèches des Hongrois! » Quoique une autre prière fût également assez en vogue à cette époque: « Nom de dieu de bordel de merde, faut qu’on se les chope, ces enculés. »

Après, quand il y a de telles explosions, quand l’auteur part dans de tels délires, parfois, on a un peu de mal à comprendre certaines choses et je dois reconnaître que la  fin de cette étrange et belle fable reste encore obscure pour moi, surprenante et à la fois très étrange, une métaphore que je n’ai pas comprise… Mais le roman recèle tant de saveurs réjouissantes que vous auriez tort de vous priver de l’histoire de la Hongrie vue par Jessica Anthony ainsi que du portrait d’une certaine Amérique qu’elle dresse sans complaisance.

Bouffonnesque!

Wollanup.

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