Traduction: Eric Fontaine.

Deux ans après Troupe 52, chroniqué par les Nyctalopes, Nick Cutter revient nous livrer un autre roman pour – ce serait voulu – foutre les jetons. Nick Cutter est un pseudonyme. Malgré une tentative de laisser planer le mystère en 4e de couv’, il est facile, à partir de la bibliographie en entrée, de comprendre que Nick Cutter est Craig Davidson, auteur notamment de De rouille et d’os et de Cataract City. C’est en lecteur peu enclin à savourer l’appellation « Epouvante » que je me suis emparé de ce roman.


« Le passé est un molosse qui vous poursuit à travers champs et collines, tenaillé par une faim dévorante, vous pistant jusqu’à ce que ce que, une nuit, vous l’entendiez, gratter à la porte. Le mal ne meurt jamais ; il sommeille. »«

1980, Nouveau-Mexique. Micah, Minerva, Ebenezer, trois vieilles connaissances, trois chasseurs de primes ou mercenaires plus ou moins rangés des camions, se retrouvent quand la fille de Micah disparaît, enlevée. Ils le comprennent, ils doivent retourner à Little Heaven…

1966, Nouveau-Mexique. Micah, Minerva et Ebenezer font équipe, presque malgré eux. Ils ont pour mission de retrouver un enfant enlevé par une secte obscure, retranché dans un coin reculé : Little Heaven. Sous la direction du révérend Amos Flesher, les fidèles mènent une vie morne et réglée, soumis à la parole illuminée de leur leader. Mais depuis quelque temps, une présence maléfique protéiforme encercle petit à petit la communauté. Micah, Minerva et Ebenezer vont comprendre qu’il n’est pas aussi simple de s’échapper de Little Heaven, intact sur un plan physique et moral au sens le plus profond du terme…

La jubilation et la perversité avec lesquelles Nick Cutter a écrit ce texte nous contaminent dès les premières pages. Quelque chose ici vous agrippe et ne vous lâche plus. Le speed, la violence, la tension, les personnages, badass comme nos trois mercenaires ou tordus dégueulasses comme d’autres, sont projetés dans ces pages avec brio. C’est un régal suffocant que de recevoir les gnons, les projectiles et les mutilations létales distribués en mode semi-automatique.

Nick Cutter nous sert également des punchlines qui font mouche, capables de faire naître le sourire au milieu des moments les plus chauds, nous refourgue des créatures en écrasé pop de tous les films d’horreur, d’épouvante ou gore de ces quarante dernières années, des personnages kidnappés de faits-divers réels, retentissants de sordide, de cette même période. Ce serait malheureusement spolier le lecteur amateur de genres des seventies et eighties que de les énumérer.

Il faut reconnaître un talent, celui d’amener une certaine moiteur aux tempes et au bout des doigts, car il y a bien une attente (même si la plupart du temps éteinte par l’intensité du récit) : qu’est-ce que cette entité maléfique que les trois personnages d’un western déjanté doivent affronter ? Elle ne sera récompensée qu’assez tard dans le récit mais avec un sens certain de la prospection morale et psychologique et un luxe de détails douloureux.

« Amos Flesher pressentait que cette chose lui réservait un sort bien pire que celui d’être mangé. Des souffrances qui se situaient au-delà des confins rationnels de la douleur ou de la folie humaine l’attendaient. Cette créature allait se repaître avec une lenteur délirante et méthodique qui éclipserait toute taxonomie de la douleur connue de la chair et de l’esprit. Il avait seulement la certitude que sa souffrance serait immense et sa solitude sans fin. : prisonnier de cette obscurité désespérante, il n’aurait aucun moyen de marquer les années ni les décennies au cours desquelles cette chose le dépècerait sans relâche, un morceau à la fois.

Pitié, pensa-t-il frénétiquement. Ne me faites pas de mal je ferai tout ce que vous voulez vous pourrez faire de moi ce que vous voulez mais ne me faites pas mal pitié mon Dieu ne me faites pas maaaal…

Je ne te ferai aucun mal lui répondit la voix en roucoulant. Je vais t’aimer. Je vais t’aimer plus que tu ne l’aurais jamais cru possible.

L’amour. Jamais dans toute l’existence d’Amos ce mot n’avait eu une connotation aussi sinistre.

La chose se contorsionnait autour de ses hanches à présent et s’approchait de la large fente dans son dos. Le révérend se débattait furieusement : ses jambes inertes claquaient l’une contre l’autre en produisant des bruits comiques. Les cordes le maintenaient en place. La chaleur et l’émerveillement qu’elles lui avaient procurés s’étaient envolés. Elles n’étaient plus que de loyaux appareils de contention.

Le bébé entreprit de se glisser dans l’ouverture béante de la chair d’Amos. Comme pour prolonger le plaisir, il y pénétrait un millimètre à la fois, savourant ce dépucelage. La douleur était monolithique ; le cerveau d’Amos hurlait, ses synapses vibraient. Il couina, le souffle coupé ; le son s’envola dans l’obscurité pour y mourir. »

Un trip très physique dans la souffrance intense et claustrophobique. Extatiquement happant.

Paotrsaout