D’un gars qui fut toute sa vie charpentier-tôlier à l’arsenal de Brest, il ne faut certes pas attendre des pétales de roses à peine susurrés. Et effectivement, Yvon Coquil crache une fois encore des scories métalliques, sombres et mordantes. À l’instar des onze nouvelles qui charpentaient son précédent Métal amer (éditions Sixto), le présent Liste noire télescope des trafics torves sur des destins mal ébarbés en une trame équarrie au marteau-pilon. Sans révolutionner le genre noir, Yvon Coquil maîtrise l’art d’en conjuguer les thèmes, de les souder plutôt, puisque c’est justement son présent sujet.

Une vague de licenciements rince l’ambiance des docks brestois et Lucas, soudeur donc sur les chantiers navals, attend le ressac qui l’entrainera à son tour. L’annonce d’une prochaine liste de têtes à faire tomber le pousse à gamberger de travers et bouscule ses neurones déjà mis à mal par l’alcool et le besoin primaire d’argent. Entre autres garrots budgétaires, on retrouve ici, sous le spectre du chômage, le délicat sujet du financement du mouroir des parents. On pense du coup à l’excellent Aux animaux la guerre, le premier roman de Nicolas Mathieu, récent lauréat du Goncourt pour Leurs enfants après eux (parus tous les deux chez Actes Sud). Pour Lucas, la seule solution s’appelle Marco, un collègue à deux encablures de la retraite, qui pourrait bien anticiper son départ, et ainsi sauver un poste. Hélas, le Marco en question se volatilise et la pirouette semble prendre l’eau.

En 76 pages raides comme une lame d’acier, cette novella, publiée dans la collection Polaroid dirigée par Marc Villard aux éditions In8, fonce sans digressions superflues entre une écriture simple, mais régulièrement lacérée à grands coups de griffe tour à tour souriants ou aigres, et des phrases courtes qui éclatent au métronome comme des gouttes de pluie sur le bitume breton. Sûr qu’Yvon Coquil s’y connait question rythme. En marge, nous le remercierons d’ailleurs de citer Humble Pie, les Faces, les Kinks et les Yardbirds, seuls traits lumineux au milieu d’un décor gris et d’existence ternes.

Et lorsque la fameuse liste tombe enfin, c’est Clarisse, l’ex de Lucas devenue responsable syndicale, qui la débite…

 

   « Nous ne formons plus qu’un seul corps, tendu vers l’oratrice, le souffle court dans l’attente de l’annonce de l’Apocalypse.

   – Mécaniciens, dix-sept. Electriciens, douze. Chaudronniers, trois. Charpentiers-tôliers, six. Soudeurs, un. »

Un seul soudeur ! Reste à retrouver Marco, englué dans ses trafics miteux de drogue et de caravanes, et le convaincre de faire valoir ses droits. Ça se dessine et l’avenir s’éclaircit brièvement. Mais l’horizon reste bouché à jamais et les lendemains ne sauraient passer que de peu à rien.

JLM